Bolsonaro n’apportera pas la paix mais la guerre
- Análisis
Les deux principaux arguments pour lesquels beaucoup de gens ont voté en faveur de l’extrême droite au Brésil : la lutte contre la criminalité et la corruption, [N.d.T. Lors du premier tour, le 7 octobre 2018. Le deuxième tour aura lieu ce 28 octobre]. La revendication légitime de nombreux électeurs est simple : les gens veulent vivre en paix et en sécurité, ils ne veulent pas tricher ni abuser, ils veulent la prospérité pour eux-mêmes et leurs familles. Eh bien, Bolsonaro, ceux qui tirent les ficelles derrière lui et ceux qui le soutiennent, représentent tout le contraire.
S’il réussit à remporter le second tour des élections, il ne combattra les corrompus ni au parlement, ni dans l’appareil d’État, ni dans les affaires ou dans les médias parce qu’il en a besoin pour gouverner.
Si Bolsonaro l’emporte, il n’amènera pas la paix mais la guerre.
Guerre contre les pauvres, les paysans et la classe moyenne ouvrière
Le programme économique du fascisme brésilien sera dirigé par le financier Paulo Guedes, formé et exercé au fanatisme néolibéral. Il privatisera les entreprises et les biens publics et établira un régime similaire à celui de Pinochet au Chili : les droits du travail seront réduits, tout comme les étrennes garanties par la loi et les heures supplémentaires, le système de retraite sera privatisé, condamnant les retraités actuels à la misère, et il n’y aura plus de programmes d’aide aux pauvres, comme la Bolsa Familia et autres.
Guedes est également partenaire et membre du comité exécutif d’un fonds d’investissement ; il est donc facile de comprendre que le Brésil deviendra une économie financière, dépendante, avec une prédominance de l’exportation primaire, laissant de côté le développement industriel et scientifique, ce qui rendra difficile l’entrée sur le marché du travail pour le personnel ayant une formation technique et supérieure.
Avec la spéculation et la vente des biens et des institutions de l’État, des millions d’emplois seront liquidés, qui aujourd’hui sont le soutien de la classe moyenne ouvrière, et la consommation ainsi que le marché intérieur, dont vivent les commerçants et la majorité des classes moyennes indépendantes vont se réduire comme cela se passe actuellement en Argentine.
Au fur et à mesure que le chômage se répandra, les salaires diminueront et le travail sera précaire, dépendant de la volonté de l’employeur, comme ce fut le cas avant les réformes de l’ère Vargas.
Le candidat soutenu par le pouvoir a également déclaré qu’il mettra fin à l' »activisme », en référence claire aux mouvements qui réclament des terres et un toit respectivement dans les zones rurales et urbaines. Il donne ainsi un signal clair à ses associés propriétaires terriens dans les campagnes, qui auront plus que jamais carte blanche pour attaquer d’abord les paysans organisés, avec des tueurs à gages et des milices, puis pour expulser quiconque s’oppose à leurs ordres et à l’extension de leurs dominations dans la campagne. De même, ce discours ouvre la voie à la répression de toute protestation sociale pacifique revendiquant des droits sociaux, consolidant les prémisses anti-populaires et esclavagistes qui ont fomenté le putsch contre le gouvernement de Dilma.
Pour toutes ces raisons, aucun pauvre, aucun paysan, aucune personne de classe moyenne, ne devrait voter pour Bolsonaro au second tour.
Guerre contre l’éducation, la santé et la culture
Bolsonaro ne sera pas celui qui gouvernera, mais une marionnette. Ceux qui gouverneront ce sont les banques, l’armée, un secteur de l’Église pentecôtiste, et en contrôle à distance, les Etats-Unis. Ce sera un pays pour quelques-uns, pour ceux qui peuvent payer. De cette façon, l’éducation et la santé de qualité seront payantes. Les universités ne seront plus financées, l’enseignement public sera négligé, les programmes d’aide au développement éducatif des secteurs marginalisés seront supprimés. Les centres de santé dans les périphéries seront fermés et les hôpitaux d’Etat ne seront plus approvisionnés.
Le public sera évacué pour forcer les gens à se tourner vers le domaine privé, comme ce fut le cas dans les années 1990. La culture sera un privilège pour les riches comme à l’époque aristocratique et monarchique. Il n’y aura pas de promotion publique pour le cinéma et les arts, et la culture libre devra survivre avec d’autres ressources, si elle en trouve….
Par conséquent, aucun étudiant, enseignant, médecin, infirmière ou usager de la santé publique, aucun chanteur, peintre, sculpteur, écrivain, aucune personne du monde de l’art et de la culture ne devrait voter pour Bolsonaro lors du second tour de l’élection.
Guerre armée
S’il est élu, le candidat extrémiste militarisera la lutte contre le crime. Il est naïf de croire que cela mettra fin au crime ou au trafic de drogue. La seule chose que l’on puisse en attendre, c’est l’augmentation aveugle de la violence et des meurtres. Il suffit de regarder ce qui s’est passé au Mexique. Selon des sources officielles, entre 2006 – date à laquelle le gouvernement de Calderón a instauré la « guerre contre la drogue » avec des effectifs militaires – et 2018, 250.000 personnes sont mortes dans ce pays. La grande majorité, des pauvres, d’un côté comme de l’autre. Mais aussi de nombreuses personnes innocentes, femmes, enfants, journalistes et défenseurs des droits humains. Le Brésil compte 200 millions d’habitants, soit 75 millions de plus que le Mexique ; une telle politique serait tout simplement un génocide.
D’autre part, Bolsonaro a explicitement dit qu’il veut libérer le port d’armes, à la manière nord-américaine. Cela conduirait à des meurtres dans les écoles, à faire justice soi-même en tous lieux, à des règlements de comptes permanents, à un état virtuel de guerre civile. De plus, loin de diminuer, la criminalité augmentera en raison de la facilité avec laquelle les criminels pourront se procurer des armes.
Par conséquent, ceux qui voudront vraiment vivre en paix, ceux qui détestent le crime et la violence, ne doivent pas voter pour Bolsonaro lors du second tour.
Guerre de religion
Tout au long de son histoire, le Brésil a été une nation tolérante envers les croyances les plus diverses. Le christianisme et les cultes d’origine africaine coexistaient dans ce grand pays, et d’importantes communautés d’immigrants de confessions musulmane, juive, shintoïste et bouddhiste ont été accueillies et intégrées. De même, la culture spirite s’est épanouie dans ce pays, l’athéisme et plusieurs générations ont grandi dans la chaleur de la foi positiviste, qui exprimait son influence dans la devise qui porte le drapeau vert et jaune.
Il y a une vingtaine d’années, un courant pentecôtiste militant a commencé à se développer au sein même du christianisme, gagnant un fort soutien parmi la population oubliée des périphéries. Bolsonaro, qui a été catholique toute sa vie et s’est converti à l’Église évangélique en 2016 – probablement par calcul politique – a établi une alliance, pour accéder au pouvoir, avec le millionnaire Edir Macedo, fondateur de l’Église universelle du Royaume de Dieu et propriétaire du Rede Record multimédia au Brésil. [N.d.T. Réseau de télévision brésilien].
L’objectif est clair : convertir progressivement le Brésil en une sorte de théocratie évangélique, en modifiant l’appareil judiciaire comme le fait le fondamentalisme islamiste dans plusieurs pays du Moyen-Orient et d’Afrique.
C’est pourquoi, quiconque s’enorgueillit de sa tolérance religieuse et vit sa spiritualité comme un amour du prochain, qui rejette avec indignation la possibilité d’imposer une foi unique discriminant et persécutant les êtres différents, celui qui par dessus tout sent l’humanité en chacun, sans égard pour son appartenance religieuse, ne votera pas Bolsonaro au second tour.
La guerre contre ceux qui pensent ou vivent différemment
C’est précisément la différence qui horrifie le fascisme. La liberté d’expression et d’opinion, liberté de choix en fonction du sexe, la multiplicité des structures familiales et communautaires, les choix, la diversité. La vision du monde du fascisme est d’uniformiser tout le monde et tout, c’est penser d’une seule façon, ce n’est pas remettre en question le monde, les normes, les habitudes. Tout doit être déterminé et obéi, sous peine de sanction ou d’exclusion. La prédication intolérante, homophobe, machiste, la justification de la haine empoisonneront l’atmosphère sociale, déchaînant dans un secteur de la population une forte agressivité, qui au-delà des pratiques gouvernementales, conduira sans doute à de nouveaux actes de violence.
Par conséquent, toute personne critique et démocrate qui aime la liberté et aime l’échange d’opinions, la diversité des couleurs de l’arc-en-ciel et la profusion des formes et des espèces existant dans la nature elle-même, quiconque admire le génie créatif et l’inventivité humaine ne devrait pas voter pour Bolsonaro au second tour.
La guerre contre les Noirs et les indiens
Quand on regarde comment les régions du Brésil ont voté, une vérité historique se dégage. S’il est vrai que les gouvernements de Lula et de Dilma ont fait beaucoup pour le Nord-Est brésilien retardataire – ce qui a été récompensé lors des élections par le soutien de Haddad – il est évident que le Sud, qui concentre la majeure partie de l’économie brésilienne, a favorisé le candidat de droite. Tout comme dans les États esclavagistes du sud des États-Unis avant la guerre de Sécession, le sud du Brésil semble encore abriter un secteur raciste, et le Nord-Est, patrie des Quilombos, semble être à nouveau une redoute d’indépendance pour les descendants des anciens Marrons libérés d’un esclavage honteux.
La mémoire historique et l’intuition se trompent rarement. Un gouvernement sous la tutelle de l’armée brésilienne n’aurait pas grand-chose à offrir aux Noirs, si ce n’est la réactualisation de sinistres chaînes par le retrait du droit à l’égalité des chances.
Quelque chose de semblable se produirait avec les peuples indiens. Ils continueraient à être harcelés, discriminés, expulsés de leurs territoires afin de favoriser l’industrie du bois, l’exploitation minière à grande échelle, la culture du bio diesel, les méga projets d’infrastructure, l’exploitation des aquifères [N.d.T. Un aquifère est une formation géologique ou une roche, suffisamment poreuse et/ou fissurée pour stocker de grandes quantités d’eau (Wikipedia)]. Bref, la dégradation totale d’un environnement qui alimente matériellement et culturellement les 250 communautés indigènes qui habitent le territoire brésilien.
C’est pourquoi, les populations noires, métisses et indigènes ne devraient pas voter pour Bolsonaro.
La guerre en Amérique latine et dans les Caraïbes
Tout comme un gouvernement de Fernando Haddad favoriserait le rapprochement du Brésil avec l’Amérique latine, contribuerait à recomposer l’intégration régionale fermée et serait un facteur de détente diplomatique important, de même une victoire de Bolsonaro au second tour augurerait d’une intensification de l’agression contre des pays gouvernés par la gauche comme le Venezuela, la Bolivie, le Nicaragua ou Le Salvador. Pire encore, le militarisme qui commande aujourd’hui la campagne serait la voix décisive de ce gouvernement, par conséquent il n’est pas déraisonnable de penser qu’il établirait un axe commun avec le gouvernement colombien, qui se trouve actuellement aux mains des Uribistes [N.d.T. Tenants de Alvaro Uribe, ancien président de la Colombie], pour renforcer la menace de possibles actions militaires communes sur la frontière avec le Venezuela.
De puissance mondiale actuelle – alliée par l’intermédiaire du BRIS au multilatéralisme naissant en plein essor – le Brésil ne deviendrait qu’un État subalterne des États-Unis, dégradé au rang de sergent de l’Amérique latine et des Caraïbes.
En même temps, la montée d’un gouvernement sous tutelle militaire – clairement parallèle au cabinet de Trump – encouragerait certains membres et factions de diverses armées latino-américaines à envisager de reproduire le modèle, ramenant ainsi la région entière aux jours sombres des dictatures militaires.
La possibilité de nouveaux conflits armés, de guerres internes concomitantes à la menace d’un gouvernement dictatorial, devraient suffire pour que les amoureux de la paix et du développement humain retirent tout soutien à Bolsonaro.
La guerre contre les femmes
Le candidat d’extrême droite a fait preuve d’une attitude discriminatoire et d’un manque total de respect envers les femmes. Dire d’une femme qu’elle est « trop laide pour être violée », considérer comme une « faiblesse » le fait d’avoir une fille, justifier la différence de salaire entre hommes et femmes, ou s’opposer aux quotas féminins avec ce commentaire « si ils mettent des femmes, ils vont devoir aussi engager des noires » sont quelques insultes à travers lesquelles Bolsonaro révèle ce qu’il pense des femmes (et des noires).
Si l’on ajoute à cette attitude personnelle le caractère profondément rétrograde et violent des groupes qui le soutiennent, la conclusion est évidente : son gouvernement s’opposera aux droits acquis par les femmes en des luttes difficiles, il modifiera ses programmes d’éducation sexuelle et reproductive, il freinera toute initiative tendant à décriminaliser l’avortement. Le viol et la violence à l’égard des femmes redeviendront une affaire privée et non plus d’État, lequel se désintéressera de toute promotion active des femmes dans l’éducation, le travail ou la science.
Cette vision du monde implique en fin de compte que la femme doit remplir le rôle de soumission et d’obéissance que le patriarcat lui assigne.
C’est pour cette raison et pour tout ce qui précède que les femmes brésiliennes ont une mission cruciale le 28 octobre. Comme des millions de leurs sœurs à toutes les époques, elles ont entre leurs mains, leurs cœurs et leurs voix, en union avec la majorité des hommes bons et vraiment pieux, la possibilité d’arrêter la guerre. Cette fois, avant qu’elle ne commence.
Traduit de l’espagnol par Ginette Baudelet
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