Référendum en Équateur : une consultation dont on connaît l’issue, mais pas la suite

02/02/2018
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Le 4 février, les Équatoriens devront répondre à sept questions référendaires éclatées. Les sondages prévoyant une réponse positive laissent entendre que l'enjeu est ailleurs. Presque tous les partis approuvent sauf… d’une faction importante d’Alianza PAÍS (AP), le parti du président. Cette faction est menée par l’ex-président Rafael Correa. Que comprendre de cette joute électorale et de ce qu’elle annonce pour la suite?

 

Contexte

 

Lenín Moreno a remporté l’élection présidentielle au deuxième tour en mai 2017 avec une faible marge (51%-49%) contre son opposant de droite, l'ancien banquier Guillermo Lasso. Ce dernier s’est empressé de crier à la fraude électorale, rappelant la stratégie anti-institutionnelle commune à la droite du sous-continent. De cette faible victoire a émergé une analyse suggérant qu’il s’agissait d’un gouvernement faible, même si le parti AP contrôlait également une majorité des sièges de l’Assemblée nationale, et qu’il fallait apporter des correctifs.

 

Bien qu’à la tête du parti qui représentait la continuité de la gauche au pouvoir, Lenín Moreno annonçait aussi un changement de style important. Contrairement au ton batailleur, tranchant, voire arrogant de Rafael Correa, Moreno se présentait comme le candidat du dialogue, de l’échange pacifique et de la concertation. Cette attitude conciliante ne lui aura cependant pas permis de résoudre la fracture grandissante entre lui et son prédécesseur dès les débuts de son mandat. Rafael Correa multiplia les dénonciations des décisions de Moreno.

 

Notons entre autres, la concession pour 100 ans de l’édifice public prêté à la CONAIE, la confédération autochtone la plus importante du pays. Depuis sa retraite en Belgique, Correa a qualifié ce geste d’affront à sa gestion, lui qui avait tenté de retirer le local à l’organisation en 2014.

 

L’accusation pour corruption du vice-président Jorge Glas, autre second de Correa, dramatisa la querelle. Jugé coupable au cours de l’automne, Jorge Glas purge actuellement une peine de six ans de prison pour association illégale dans une cause complexe liée au scandale Odebrecht, cette compagnie d’ingénierie civile brésilienne dont les pratiques de corruption éclaboussent plusieurs gouvernants d’Amérique du Sud et d’Afrique.

 

Bref, dans un contexte où la forme d’exercice du pouvoir pratiquée par Correa, plutôt centralisée et prompte à confronter les mouvements sociaux critiques, devenait de moins en moins populaire, et où une impression de corruption ternissait l’image du gouvernement, Moreno a décidé de prendre ses distances. Pour ce faire, il a multiplié les rencontres avec les secteurs organisés de la société, convoquant notamment un grand forum sur la productivité et l’impôt, qui a aidé le patronat à se concerter afin de présenter les 139 propositions dominantes du secteur.

 

Parallèlement à cette initiative, le chef d’État a appelé l’ensemble de la société à présenter des propositions pour une consultation populaire. Alors que des centaines d’organisations répondaient à l’appel et déposaient des milliers de propositions, la présidence s’est chargée d’en faire le tri et de formuler les sept questions qui seront posées à l’électorat le dimanche 4 février.

 

Les questions

 

Même si elles forment un ensemble éparpillée et hétéroclite, on peut tenter de regrouper les sept questions en quatre blocs thématiques.

 

Bloc institutionnel : C’est sans doute celui qui irrite le plus les partisans de Rafael Correa. La question no2 propose de restaurer l'interdiction de la réélection à un même poste plus d’une fois (article 114 de la Constitution de 2008), que le parti de Correa avait supprimé en 2015 en s’appuyant sur la majorité des deux tiers de son parti à l’Assemblée nationale. Il argüait alors qu’il fallait respecter la liberté de choix de l’électorat et les droits de ceux et celles qui veulent se représenter. Adoptée, cette question empêcherait Rafael Correa de se représenter à la présidence aux prochaines élections.

 

La question no3 demande si les membres du Conseil de participation citoyenne et de contrôle social (CPCCS) doivent être élus au suffrage universel. Ce conseil, innovation de la constitution de 2008, est notamment chargé de nommer les autorités de contrôle telles que le vérificateur général (contralor) et le procureur général (fiscal). Jouissant d’une forte majorité à l’Assemblée nationale, Correa était parvenu à remplir le CPCCS de proches partisans. Approuvée, cette disposition remplacerait immédiatement les membres actuels par un conseil transitoire dont la désignation serait largement influencée par l'actuel président. Il pourrait aussi revoir les anciennes nominations, autorisant ainsi la révocation des autorités de vérification et de contrôle.

 

Bloc judiciaire: La question no4 veut supprimer la prescription (la date à partir de laquelle on ne peut plus accuser un auteur présumé) pour des crimes sexuels impliquant des mineurs. Cette question répond à des incidents conjoncturels de pédophilie dans des écoles qui ont enflammé l'opinion publique.

 

La question no1 instaurerait la mort civile en cas de condamnation pour corruption, interdisant ainsi aux condamnés de postuler toute charge publique ou d’obtenir des contrats de l’État. Elle répond à de récents scandales de corruptions, notamment ceux impliquant l’ancien vice-président.

 

Bloc environnemental : Deux questions sont liées aux préoccupations des mouvements autochtones et environnementalistes. La question no5 suggère d’interdire toutes les activités d’extractions de minéraux métalliques dans les aires protégées (ce qui est déjà le cas) et dans les zones urbaines. Elle n’est cependant pas susceptible d’affecter les projets actuellement conflictuels, tels que le projet Fruta del Norte de la minière canadienne Ludin Gold.

 

La question no7 propose de restreindre l’aire affectée par l’exploitation pétrolière dans le secteur ITT du parc national Yasuni afin d’en réduire l’impact environnemental. Elle réfère au projet Yasuni-ITT qui avait contribué à donner une image environnementaliste au gouvernement de Correa, qui promettait de ne pas extraire le pétrole de cette région de l’Amazonie particulièrement riche en biodiversité si la communauté internationale contribuait à payer la moitié de la valeur des réserves estimées. Une telle mesure aurait protégé les peuples autochtones qui vivent en isolement volontaire dans la région. Le projet fut abandonné en 2013 devant la trop faible réponse des donateurs. Plusieurs organisations environnementales (Acción ecológica, Yasunidos) avaient alors recueilli plus de trois quarts de million de signatures pour maintenir le projet. Elles invitent à voter oui tout en soulignant les limites.

 

Alors que des puits sont creusés depuis quelques années, la restriction de l’aire affectée pourrait en effet contribuer à réduire l’impact environnemental de l’extraction. Mais il existe des technologies de puits directionnels qui peuvent contourner les restrictions géographiques et extraire la même quantité de pétrole. De plus, la jungle amazonienne étant un système d’équilibres instables, il n’est pas certain que les déséquilibres causés par une exploitation sur un territoire restreint soient dans l’ensemble moins néfastes.

 

Question fiscale : La dernière question (no6) propose de suspendre une loi du gouvernement Correa taxant les transactions rapides et successives sur une même propriété. Elle visait à restreindre la spéculation foncière. La loi est accusée par ses détracteurs, notamment les associations liées à la construction prétendant que cela avait affaibli l’industrie.

 

L’issue mieux connue que la suite...

 

L’issue du référendum fait peu de doutes aux yeux des sondeurs. Malgré la campagne active de Correa qui invite à voter non à toutes les questions, il semble peu probable que l’une ou l’autre reçoive moins de 60% d’appuis. Certaines seront cependant plus fortement appuyées que d’autres.

 

Étant donné le choix hétéroclite des questions et leur fort appui, il appert que l’exercice vise à dégager un soutien plébiscitaire plus qu’à résoudre ces questions. C’est l’héritage de la révolution citoyenne directement lié à Correa qui en sera affecté.

 

Il est cependant plus difficile de savoir ce que le gouvernement fera de cette légitimité renouvelée. Cherchera-t-il à rescaper le cœur de gauche du projet de Correa, ou fera-t-il un clair virage à droite?

 

Avec un gouvernement plus perméable à l’influence des groupes de pression, et ayant perdu l’appui du tiers des députés du parti qui ont choisi de suivre Correa, l’élite économique profitera probablement du nouveau contexte. Elle a en effet renforcé sa capacité d’action contre les politiques de Correa au cours des dernières années, notamment en grossissant les rangs de fédérations unitaires de chambres de commerce. Parallèlement, les organisations sociales et populaires critiques des 10 ans de présidence de Correa en sortent affaiblies par une répression insidieuse.

 

Sans connaître la fin de l’histoire, on peut ainsi présager que ce recours au peuple servira à Moreno pour ratifier sa légitimité malgré la division de son parti, et incurvera sa politique vers la droite.

 

Quito, février 2018

 

 

 

https://www.alainet.org/fr/articulo/190817
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