Conjurons nos fatalités

18/07/2016
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“J’ai peur pour les miens” me confiait un après-midi de mars un célèbre journaliste qui devait lui-même périr quelques jours plus tard sous des balles assassines. Ce journaliste avait dans un de ses célèbres éditoriaux martelé que « les assassins sont dans la ville ».

 

De son poste de vigie sur la colline de Delmas, il voyait venir cette immense tragédie qui depuis de trop longues années enveloppe notre pays. Et cela quelque soit le régime au pouvoir, nous avons depuis pris les chemins de la mort par habitude.

 

Plus de quinze ans et des centaines de cadavres plus tard, le pays nage encore en pleine nébuleuse politique, les institutions sont au bord de l’effondrement : l’Université d’Etat est en crise, les hôpitaux publics en grève, le parlement balkanisé et impuissant à se dépatouiller dans une crise qu’elle contribue, par omission et par action, à entretenir.

 

Or aujourd’hui les assassins ne sont plus seulement dans la ville, ils prennent le pouvoir en défiant ouvertement les autorités et l’ensemble de la société, et tuent à ciel ouvert. On ne compte plus les attentats, on n’a plus temps de pleurer nos morts que déjà il faut déplorer un nouveau drame. Ils ont tué le poète des « plaies intérimaires », Willems Edouard, qui n’avait demandé qu’à vivre paisiblement en rude travailleur dans son pays, comme ils tuent chaque jour des dizaines d’anonymes.

 

C’est peut-être le moment d’arrêter l’hémorragie, de ramasser notre dignité qui baigne dans le sang de nos concitoyens pour, dans un sursaut, dire halte à ces donneurs de morts qui tuent à petit feu ce qui reste d’une économie exsangue en s’attaquant à ceux qui sortent des banques. Beaucoup de gens parlent de ne plus se rendre à la banque, des employés ne peuvent plus se présenter à un guichet retirer le montant de leurs salaires. Une paralysie s’installe progressivement dans ce secteur de l’économie qui devait attirer l’attention des autorités politiques et financières. Les organisations du secteur privé doivent aussi prendre leurs responsabilités et au lieu de chercher des solutions individuelles comme l’achat de voitures blindées, les « puissances d’argent » de ce pays doivent comprendre que nous sommes tous sur un bateau en pleine dérive et que la solution sera nationale, collective, sinon c’est le naufrage. Il n’y aura pas « d’arche de Noé ».

 

Il faut sortir le pays de sa léthargie face à cette machine scélérate du crime, cette méduse qui pointe sa gueule menaçante au détour de nos rues, et qui se nourrit de la chronique de nos sept misères.

 

Cette situation interpelle nos partis politiques et tous ceux qui prétendent diriger ce pays et qui en appellent au vote de ce peuple pour qu’enfin, ils sortent des ombres d’une gouvernance en faillite et réinventent un nouveau leadership. Mais c’est aussi l’ensemble de la société qui a besoin de se remobiliser. Un mouvement des « indignés » d’une situation inacceptable et qui, enverrait un message que la société haïtienne ne veut plus de ce leadership de l’échec.

 

Le gouvernement actuel s’est pris les pieds dans le tapis d’une conjoncture compliqué à dessein par les spécialistes de nos crises « épileptiques ». Certains de nos parlementaires font le show tous les matins sur les ondes de nos radios et jouent en pleine crise au « je te tiens, tu me tiens par la barbichette ». C’est à qui aura trouvé la meilleure manœuvre procédurière pour piéger l’autre camp. Vous me direz que c’est de bonne guerre dans une démocratie. Oui mais pas dans un pays où tout s’effondre et où il faut, pour parler comme l’autre, de la célérité dans l’urgence.

 

La police est dépassée par les évènements et les fouilles entreprises sont tellement ostentatoires que les bandits ricanent en attendant de frapper. Par un curieux retour des choses, les bandits de tout poil ont l’air plus renseignés et plus organisés que la force publique. Ils tuent et s’engouffrent dans le bassin populacier d’une ville tassée sur elle-même. Les attaques répétées sur des policiers en poste constituent un symbole qu’ils veulent détruire la structure légale chargée de la sécurité de la cité et s’approprier ainsi le monopole de la violence armée.

 

On incendie aussi des tribunaux par défiance, par méfiance, par rejet d’une justice trop souvent engluée dans des magouilles foncières. Mais attention à la guerre de chacun contre chacun, à l’anarchie suicidaire.

 

Ce sont des signes qui ne trompent pas et qui devraient provoquer une réaction à la mesure de la menace. Nous n’avons pas les moyens d’un « plan vigie pirate » tel celui adopté en France quand la nation est en péril. Toujours est-il que les forces de sécurité doivent faire connaitre ce fameux plan de sécurité et ce qu’ils attendent exactement de la population.

 

Dans ce marasme généralisé, il n’y a que le CEP qui semble envoyer des signaux velléitaires d’organisation et quelques maires de la zone métropolitaine qui semblent sonner les trompettes d’un rassemblement autour d’une opération ville-propre. Pourvu que ces appels dépassent les effets d’annonce. Au moment d’écrire cet article, la radio annonce que les groupes au parlement ont enfin trouvé une entente pour tenir l’assemblée nationale d’exception qui devra décider du sort du Président.

 

Quoiqu’il en soit le vieux système est à bout de souffle, c’est aux citoyens et aux différents secteurs organisés d’en être conscients et de tenter enfin autre chose sur les ruines d’un Etat failli et meurtrier dans sa lente agonie.

 

- Roody Edmé est éducateur, éditorialiste

 

Spécial pour AlterPresse, 18 juillet 2016

http://www.alterpresse.org/spip.php?article20400#.V40bkRLYSyc

 

https://www.alainet.org/fr/articulo/178866?language=es
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