Après le 28 juillet, que restera-t-il de la mémoire de l’occupation américaine d’Haïti, il y a cent ans ?
- Opinión
P-au-P., 31 juil 2015 [AlterPresse] --- Une fois passé le momentum du 28 juillet, date de la première intervention militaire américaine en 1915 en Haïti, on se demande perplexe, quelle attention les acteurs étatiques et civils accorderont-ils durant le reste de l’année au centenaire du débarquement des marines à Port-au-Prince ?
Déjà, si on fait une évaluation objective, on dira que la commémoration ou la remémoration de cette date a été relativement timide.
Le poids de cette occupation durant 19 ans, qui ont définitivement façonné le présent haïtien et détermineront surement le futur du pays, n’a pas été reflété à travers la maigre palette d’activités recensées.
Le gouvernement s’est manifesté à la dernière minute, avec deux initiatives du ministère de la culture et un discours à la nation du premier ministre Evans Paul, qui invite les Haïtiens à assumer leurs responsabilités vers le changement après un siècle de la première occupation américaine.
Plusieurs activités ont été entreprises par la Société haïtienne d’histoire, de géographie et de géologie (Shhgg), qui a souligné plusieurs lieux de mémoire affectés directement par les évènements douloureux de 1915.
Il y a eu cette visite à Bizoton (périphérie sud de la capitale), à la base navale Amiral Hammerton Killick, communément appelée la Marine haïtienne, où les premiers militaires américains ont débarqué. La visite a été suivie d’un pèlerinage au site où se trouvait l’arsenal, pour honorer la mémoire des défenseurs de cette place.
Quelques rencontres, expositions et une marche accompagnée de théâtre de rue ont été organisés par des entités du secteur social.
Peu d’initiatives ont été prises par les médias dans ce contexte électoral qui domine l’actualité et la dominera encore jusqu’à la fin de l’année. Les élections législatives, municipales, locales et présidentielles se déroulent en 3 tours, d’aout à décembre.
Oubli, insouciance ou frilosité ?
Certaines structures ont annoncé des actions pour le reste de l’année, mais on peine à croire que ces gestes auront l’envergure qui correspondrait à l’importance que revêt ce centenaire.
Pas seulement à cause de la conjoncture, mais probablement aussi à cause d’un certain état d’esprit qui règne dans la société haïtienne aujourd’hui.
On dirait qu’il y aurait une espèce de frilosité par rapport à la commémoration de la date du 28 juillet, pour des raisons que nous ignorons. De toute façon, peu de ferveur a été relevée. Une sorte d’indifférence serait même perceptible.
Faut-il attribuer ces attitudes (supposées) à une peur de regarder l’histoire en face, ou de s’exposer à des conséquences fâcheuses qui découleraient d’un comportement critique vis-à-vis de la puissance américaine, cent ans après ?
Ou bien, l’oubli aurait-il tellement bien fait son travail à travers notamment une éducation non adaptée, que les évènements d’il y a cent ans n’auraient plus aucun sens pour la majorité de la société haïtienne ?
Dans un cas comme dans l’autre, on serait en présence de la manifestation d’une crise profonde qu’il faudrait adresser en toute urgence. Car rien ni personne ne saurait empêcher aux pays européens de commémorer les grandes dates de la seconde guerre mondiale (1939-1945), malgré la douleur que provoque cette page d’inimitié en Europe.
L’amitié franco-allemande d’aujourd’hui ne saurait faire oublier les camps de concentration où des milliers de juifs ont été exterminés par le régime nazi d’Adolf Hitler.
Dans certains milieux américains on serait étonné que l’oubli, l’insouciance ou la peur puisse conduire les Haïtiens à de telles attitudes. Car on ne pense pas que la République étoilée pourrait un jour faire une croix sur les attaques du 11 septembre 2001…
De même que les relations américano-cubaines renouées récemment après des négociations secrètes ne pourront gommer « l’attaque de la baie des cochons » cette tentative, en avril 1961, d’invasion militaire de Cuba par des exilés cubains soutenus par Washington.
Envers et contre tout, garder la mémoire
Alors, il importe de garder la mémoire, envers et contre tout. Soupeser la honte et l’humiliation éternelles de cette occupation. Garder la mémoire du sang versé, mais aussi de la résistance.
Des rassemblements comme celui tenu le 28 juillet dernier sur la cour de la Faculté des sciences humaines, à l’initiative d’un regroupement d’organisations des milieux sociaux peuvent être utiles, dans le cadre des démarches de construction ou d’entretien de la mémoire collective.
C’était une rencontre des générations, où, pendant plusieurs heures, l’histoire, en connexion avec le présent, a été au centre des interventions, sur fond de performances culturelles.
1er août 2015
http://www.alterpresse.org/spip.php?article18588#.VcIxD7V1yyc
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