La diaspora : Moteur de l’économie haïtienne
30/10/2012
- Opinión
Les haïtiens de l’extérieur jouent un rôle déterminant dans la vie d’Haïti. D’un côté, il y a les écrivains et les artistes qui portent haut notre étendard, projetant une image rayonnante contre ceux qui s’amusent à décrier le pays et à n’y voir que nos malheurs. D’un autre côté, il y a les transferts de devises de la diaspora qui améliorent les conditions de vie de bon nombre de nos compatriotes résidant en Haïti. Le second point revêt une importance particulière, compte tenu de la grande contribution des transferts à l’économie haïtienne. Pour montrer la participation de la diaspora dans la vie économique du pays, on fera une étude comparée entre la diaspora haïtienne et la dominicaine, relative aux transferts. Puis, on analysera l’importance de ces derniers dans le niveau de dollarisation des deux pays.
1 – Transferts de devises vers Haïti et vers la République Dominicaine
De 1998 à 2011, les transferts de devise de la diaspora haïtienne sont passés de 327 millions à 1.57 milliards de dollars. Pendant les cinq dernières années, la diaspora a effectué en moyenne des transferts de l’ordre de 1.4 milliards de dollars, soit un quart du PIB de cette même période. Cette proportion s’élève à 2.29 milliards et atteint 31% (presqu’un tiers) du PIB, quand on y inclut les transferts informels, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas passés par des maisons de transfert [1]. Quant aux transferts dominicains au cours de la même période, ils sont évalués à 1.4 et 3.7 milliards de dollar en 1998 et 2011. Pendant les cinq dernières années, les transferts de la diaspora dominicaine vers le pays d’origine sont estimés en moyenne à 3.5 milliards de dollar soit 9% du PIB de la République Dominicaine. La participation des transferts de la diaspora haïtienne dans le PIB d’Haïti représente 3.45 fois le pourcentage des transferts de la diaspora dominicaine dans le PIB dominicain au cours du quinquennat (2007-2011). Ce qui met en évidence le rôle déterminant des haïtiens de l’extérieur dans l’économie du pays.
2 – Les diasporas haïtienne et dominicaine : une même classe sociale
Pour l’année 2008, la banque mondiale a estimé que les transferts officiels de devise vers Haïti étaient à hauteur de 1.4 milliards de dollar. Ce qui pourrait s’élever à 2 milliards si on y incluait les transferts non officiels. Georges Anglade [2] a estimé à plus de quatre millions les haïtiens de la diaspora. Mais la première vague migratoire suivant son étude remonte à l’occupation américaine (1915-1934). Par contre, Suivant les estimations de Radio Canada [3], la diaspora haïtienne serait composée de 2 millions d’haïtiens. Vu l’objectif de notre analyse consistant à comparer les transferts par habitant de la diaspora, on utilisera la donnée de la Radio Canada, car on ne suppose pas que des ressortissants d’Haïti de trois ou de quatre générations et leurs descendants ont encore en Haïti des parents ou des proches qu’ils supportent financièrement. Au cas où tel serait le cas, il ne fait aucun doute que cela n’est pas à un niveau considérable. Une étude cofinancée par La mission d’Appui à l’Action Internationale des ONG et le Ministère des Affaires Etrangères Français a abouti à une même estimation pour la diaspora dominicaine, soit deux millions de dominicains (Bouvier [4], 2009). Toutefois, il est bon de rappeler que ces chiffres ne sont que des estimations et varient considérablement d’une source à une autre. Par exemple, pour la Radio Canada, les haïtiens en République Dominicaine sont au nombre de 500 mille, alors que Georges Anglade les a estimés à 750 mille en 2009. L’inconsistance des estimations se révèle de plus en plus remarquable quand on sait que les autorités dominicaines ont évalué à plus d’un million le nombre d’Haïtiens se trouvant en leur territoire avant 2010, auxquels s’ajouteraient 200 mille après le séisme du 12 janvier [5].
A la base d’un même nombre de deux millions d’habitants pour chacune des deux diasporas en 2011, les transferts annuels par « habitant de la diaspora » sont évalués à 1147 dollars pour les haïtiens et 1848 dollars pour les dominicains, soit 61% de plus que ceux vers Haïti. Cet indicateur, dans le cas d’Haïti, serait beaucoup plus élevé, si on pouvait en soustraire les haïtiens en République Dominicaine, car les transferts qu’ils effectuent vers Haïti, vu leur condition de vie, sont nettement inférieurs à ceux provenant d’autres pays comme les Etats-Unis ou le Canada. Si les envois des devises reflétaient les conditions de vie et les niveaux sociaux des haïtiens et des dominicains vivant hors de leur pays d’origine, les deux groupes pourraient appartenir à une même classe sociale suivant les modèles de Thompson et Hickey (2005) [6] et Beeghley (2004) [7] compte tenu de la différence séparant les transferts par habitant entre les deux diasporas.
Toutefois, une comparaison entre le PIB per capita d’Haïti et celui de la République Dominicaine montre que cette ressemblance entre les diasporas diffère totalement de la réalité des deux pays. Suivant les données de la Banque Mondiale, le PIB per capita d’Haïti passe de 658 à 726 dollars en 2008 et 2011, respectivement, alors que celui de la République Dominicaine pour ces deux années sont 4739 et 5530 dollars, respectivement. Le PIB per capita de la RD de 2011 est en moyenne 7.6 fois celui d’Haïti. Ce qui signifie que le dominicain (en République Dominicaine) est en moyenne 6.6 fois plus riche que l’haïtien (en Haïti), alors que l’haïtien à l’étranger est presqu’aussi riche que le dominicain de l’extérieur.
Le mérite de la diaspora haïtienne, compte tenu de son importance pour l’économie haïtienne, est d’autant plus grand qu’elle a su vaincre les humiliations, les injustices dont elle est victime, lesquelles sont beaucoup plus atroces que celles auxquelles les dominicains de l’extérieur sont confrontés. En dépit de ce déséquilibre dans les opportunités offertes aux deux diasporas, les haïtiens ont pu, par amour pour leurs proches, par amour pour leur pays, s’aligner avec les dominicains en termes de transferts par « habitant de la diaspora ».
3 –Transferts de devises, investissements et dollarisation
Il est surprenant de noter que les transferts de devises vers Haïti et ceux vers la République Dominicaine comme proportion du total des dépôts en dollars aient un même niveau, soit une moyenne annuelle de 131% pour la dernière décennie et 95% pour l’année 2011. De plus, il faut aussi remarquer la tendance à la hausse des transferts vers Haïti contre le niveau pratiquement constant des investissements directs. Si les transferts de la diaspora haïtienne sont chiffrés en milliards de dollar, les investissements directs n’ont jamais atteint 200 millions de dollars, car leur niveau le plus élevé, atteint en 2011, est évalué à 181 millions. Bref, les transferts de la diaspora haïtienne représentent environ 13 fois les investissements directs en Haïti, alors que les devises envoyées par les dominicains sont moins de deux fois les investissements directs en République Dominicaine.
Quand on sait que la participation des investissements directs en Haïti en 2011 n’a représenté que 11% du total des dépôts en dollar et que le montant envoyé par les haïtiens de l’extérieur en est 95%, on peut facilement conclure que la dollarisation d’Haïti est expliquée pour une large part par les transferts de la diaspora.
Bien qu’on ne dispose pas de données sur les dépenses annuelles des ONG, elles constituent en toute évidence un groupe déterminant dans la dollarisation en Haïti. Actuellement, l’aide internationale passe par les ONG et l’Etat haïtien n’en reçoit qu’une mince partie. Au passage, il est bon de rappeler que les ONG fourmillent dans le pays. Elles sont 10 mille environ, suivant les données du gouvernement, parmi lesquelles seulement 400 sont enregistrées au Ministère de la Planification [8].
Conclusion
Les transferts de la diaspora ont atteint 2.2 milliards de dollar en 2011 et représenté 31% du PIB et 95% du total des dépôts en dollar, alors que les investissements directs pour cette année n’ont représenté que 2.4% et 11% du PIB et des dépôts en dollar, respectivement. Les haïtiens et les dominicains de l’étranger appartiendraient a une même clase sociale, si les transferts de devises « par habitant de la diaspora » vers les pays d’origine reflétaient les conditions de vie et les niveaux sociaux des expéditeurs, alors que le dominicain en République Dominicaine est en moyenne 6.6 fois plus riche que l’haïtien en Haïti.
En somme, la diaspora, avec ses transferts croissants jusqu’à atteindre 2.2 milliards de dollar en 2011, soit 31% du PIB, demeure incontestablement l’un des moteurs de l’économie haïtienne.
Par ailleurs, la dollarisation en Haïti et en République Dominicaine ne résulte pas principalement de la peur de l’inflation ou la dévaluation provoquant la perte de valeur des dépôts en monnaie locale. Elle s’origine plutôt des investissements directs et des transferts dans le cas de la République Dominicaine diaspora, alors que pour le cas d’Haïti, elle est causée principalement par les devises envoyées par la diaspora, et par les ONG.
mardi 30 octobre 2012
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Références
[1] Le chiffre 2.29 milliards est inféré à partir de l’estimation de la totalité des transferts (formels et informels) de la banque Mondiale pour l’année 2008. En 2008, les transferts s’élevèrent à 2 milliards de dollars dont 630 millions pour les envois informels. Considérant un même taux de variation pour les deux types de transferts, je suis arrivé à la valeur de 2.29 milliards pour l’année 2011.
Pour l’information de la Banque Mondiale, voir :
World Bank (2010, 17 may). "Haiti Remittances Key to Earthquake Recovery"
http://web.worldbank.org/WBSITE/EXT...
World Bank (2010, 17 may). "Haiti Remittances Key to Earthquake Recovery"
http://web.worldbank.org/WBSITE/EXT...
[4] Bouvier C. (2009). La diaspora dominicaine : Une mobilisation en devenir. ENDA
http://diapode.enda-europe.org/tl_f...
http://diapode.enda-europe.org/tl_f...
[5] Unos 200 mil haitianos se quedaron luego del sismo, Listin diario, 1 novembre 2010. http://www.listin.com.do/la-republi...
[6] Thompson, W. & Hickey, J. (2005). Society in Focus. Boston, MA : Allyn & Bacon, Pearson.
[7] Beeghley, L. (2004). The Structure of Social Stratification in the United States. Boston, MA : Allyn & Bacon, Pearson.
[8] Grégoire N. (2012, 1 juin). "Les priorités du gouvernement débattus en Conseil des ministres", Le Nouvelliste. http://lenouvelliste.com/article4.p...
Source: AlterPresse
https://www.alainet.org/fr/active/59249?language=es
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