La seule bataille que l'on est sûr de perdre

26/11/2008
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Faire de la politique c’est souvent garder la tête froide devant la propagande de l’adversaire et bien mesurer ce qu’il en est en réalité. Un exemple nous en a été fourni ce week end avec les élections vénézuéliennes. Ce qui m’a frappé à la lecture des articles sur aporrea et rebelion (sites hispaniques), c’était la distance entre les résultats réels et les commentaires des intervenants de gauche. C’était une grande victoire pour le socialisme bolivarien qui était en train d’être transformée en déroute par ses partisans.Inventer une défaite, s’affaiblir soi-même, était non seulement erroné mais une stupidité puisque c’était crédibiliser la propagande de l’adversaire, se mettre sur le dos un handicap imaginaire. I- De l’art de transformer une victoire en défaite…et vice versa Comment peut-on en arriver à cela, l’exemple de la situation vénézuélienne devrait nous servir d’enseignement. La plupart des intervenants qui, dès l’aube, avaient écrit un article desespéré (souvent fort long) pour clamer leur propre défaite est un phénomène en soi. Foin de ce que pour une fois la presse étrangère saluait comme une victoire de Chavez, il n’était plus question que de la victoire inespérée de l’opposition de droite à Caracas et à Miranda. Une telle interprétation peut être mieux comprise si l’on sait que la plupart de ces gens - au demeurant sincères- vivent dans la capitale Caracas. Ils réagissaient un peu à la manière dont en France le politico médiatique ne voit que Paris. Pas seulement la presse de droite, non y compris la direction du PCF, tous s’obstinent à confondre la capitale avec le reste de la France. A chaque élection ils découvrent que le peuple ne vote pas comme Paris intra-muros et ils l’oublient aussitôt, occupés comme ils le sont à parler entre eux sur les plateaux de télévision. Certes pour ce que je sais du Venezuela, les intervenants pouvaient avoir des liens privilégiés avec le maire de Caracas. Celui-ci avait un rapport privilégié avec les intellectuels et parfois avec certains pour lesquels il y avait un manque de discernement (1). Perdre Paris et sa mairie a dans ces couches une résonnance particulière même si la quasi totalité du pays se prononce pour le socialisme. Ne va-t-on pas une fois de plus en profiter pour ignorer le fait bien réel, qu’il s’agisse de Miranda ou de la ville de Caracas, est-ce que les problèmes de sécurité n’ont pas pesé lourdement? L’oligarchie, la CIA les provoquent entretiennent des mafias criminelles et après font leur propagande sur le laxisme du pouvoir. La politique n’est-ce pas comme le souligne Spinoza l’art de gérer le besoin de sécurité du collectif, et donc de donner un sens aux multiples besoin de sécurité des couches populaires: emploi, santé, éducation mais aussi lutte difficile contre la délinquance. Il suffit de connaître Caracas, la couronne de bidonville qui encercle la capitale et Miranda pour imaginer le poids de cette pression de la misère, de la lutte constante du gouvernement pour stabiliser l’emploi, soigner, éduquer. Il n’y a aucun doute non plus sur le fait que la frontière avec la Colombie est le lieu de tous les dangers, là où les mafias de la drogue liées au paramilitaires, et à la CIA tentent une déstabilisation permanente du Venezuela. C’est une situation qu’aucun gouvernement ne peut oublier et contre laquelle il doit mener un combat permanent. Mais tous ces constats mettaient aussi en relief le fait que 75% des votes étaient allés au parti du président, qu’au bout de dix ans il témoignait de l’adhésion des populations, qu’il avait retrouvé les voix perdu au dernier référendum? Que des élections dont personne ne pouvait nier la transparence et l’adhésion massive de la population avaient dit haut et fort que les vénézuéliens voulaient poursuivre dans la voie du socialisme. C’était là l’enjeu, il était élevé. L’ensemble des résultats montre encore plus ce triomphe en forme de plébiscite. Un exemple, il y avait 19 mairies en lice dans l’Etat de Zulia, 16 ont été emportées par le parti du président. Vu les pouvoirs actuels des mairies, le gouverneur chef de l’opposition se retrouve avec un Etat dont la plupart des mairies ne relayent pas son pouvoir mais celui du gouvernement national. L’analyse doit dire la vérité sur le rapport de forces mais aussi le faire en regardant la perspective, au profit de qui, ne pas céder à la sinistrose, aux handicaps que nous crée l’adversaire. II- A quoi et à qui sert la crise ? Ces faits sont éclairants sur la puissance médiatique, sur la manière dont ils sont souvent en situation de nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Voici des années qu’une telle entreprise est menée en France contre toute volonté de changement réel. En ce moment même tout est fait pour nous convaincre que seul le Capital et ceux qui le suivent sont réalistes, ont les solutions. Il y a la manière dont les médias aux ordres transforment le président français le plus vain, le plus inutilement agité, le plus déconsidéré internationalement en souverain de la France, puis du monde, bientôt ils le placeront en orbite de l’univers. Une telle vision repose sur ce que nous connaissons bien des médias aux ordres, que le pouvoir tance s’ils sortent de la “ligne. Mais cela repose aussi sur nos propres préjugés, la solution ne peut venir que de notre “système” fut-il aussi pourri qu’il l’est, donc sur une hypertrophie d’un Occident en faillite derrière le maître étasunien. Et à cette vision là de la toute puissance, de la suprématie coloniale, qui veut y renoncer ? Pourtant désormais puisque nous en sommes à l’impérialisme stade suprême du capitalisme, l’occidentalisation, ses multinationales financiatrisées, sa domination politique et militaire sont bien les ennemis de tous, l’origine de la crise qui nous atteint tous. Regardez comme nous tentons de sauver “la démocratie nord-américaine”. Certes Bush et son équipe sont complètement déconsidérés mais tout est fait pour limiter les dégâts à ce petit groupe de dirigeants calamiteux et à ne pas mettre en cause le système. Les Etats-Unis ne viennent-ils pas de prouver qu’ils sont une grande démocratie ? Ce que l’on tente de nous masquer c’est que le capitalisme est en faillite, qu’il déverse des sommes fabuleuses en pure perte. L’agence Bloomberg a fait le compte de l’ensemble des sommes garanties, prêtées ou dépensées par les autorités US depuis le début de la crise : 7 400 milliards de dollars, soit 50% du PIB US. Et ce total ne prend pas en compte les mesures de ces trois derniers jours, qui augmentent de plus de 1 000 milliards la facture potentielle des interventions de l’Etat avec le renflouement de la banque Citi Group et l’annonce d’un nouveau programme d’acquisition d’obligations et de titres destiné à soutenir les crédits à la consommation, d’un montant de 800 milliards (2) . En Europe, en France, après nous avoir bercé d’illusions depuis plus d’un an, nous avoir raconté que la crise financière n’atteindrait pas “l’économie réelle”, voici que désormais ils pataugent dans les définitions. Non seulement il n’est plus question de nier la récession, la messe est dite: le Japon y est, des pays européens y sont aussi, les États-Unis sont probablement dedans jusqu’aux oreilles et le Canada est en train d’y passer. Maintenant, le débat consiste à savoir si l’accélération de la débandade économique va nous conduire vers une période de déflation. La déflation, c’est l’inverse de l’inflation : une période où les prix, au lieu d’augmenter, se mettent à baisser. Il est vrai que la chute des prix du pétrole entraîne vers le bas, sans que pour autant cette baisse soit répercutée ni à la pompe, ni dans le prix du chauffage. On peut s’interroger sur la raison d’un tel “pessimisme”, n’est-ce pas pour mieux faire payer les pays sous développés, voire émergents, comme chez nous les salariés. C’est la crise, n’exigez rien… Les prix montent c’est mauvais, les prix baissent c’est encore pire, mais pour qui? Pour vous et moi… III- Il n’y a rien à faire, laissez-nous faire… Et ceci me conduit au troisième leurre, qui va de pair avec les deux premiers. A l’exemple vénézuélien, il emprunte l’art de transformer la victoire de ceux qui veulent le socialisme, changer la société, la justice et la paix, en défaite avec la complicité active ou innocente de leurs partisans. A l’exemple de la présentation de la crise, il emprunte l’idée fondamentale que seuls ceux qui nous mettent en récession, ceux qui ne pensent qu’à s’enrichir ont la solution pour nous sortir de là. Il y a parfois un art de dépeindre la nocivité des Etats-Unis et de la CIA, comme une toute puissance face à laquelle nous ne pouvons rien. On ne voit plus les peuples, leurs luttes, il n’y a plus qu’un gigantesque complot… Et à quoi cela aboutit? Sinon à décourager ceux qui doivent intervenir pour que les choses changent, les masses, elles n’existent plus. En revanche, le personnel politique est tiré vers “le réalisme”: regardez le politico-médiatique français, tout est par lui tiré vers la droite. Il s’agit de profiter de la situation de crise extrême pour poursuivre sur une lancée liquidatrice. On le voit bien pour le PS, en finir sous couvert de changement avec tout parti militant se référant plus ou moins à des couches populaires pour construire un vedettariat, des adhérents spectateurs, et aller toujours plus loin vers un centre droit, un parti à l’américaine. Obama l’a emporté, l’image a gagné, voilà la solution, le marketing, l’illusion. Il est vrai que ceux qui “résistent” le font en position défavorable puisqu’ils ont été le premier à liquider à privatiser, à vanter le “libéralisme”, à s’aligner sur une Union européenne jusqu’à la forfaiture… Il ont déjà bien avancé sur le chemin. Ils sont archaïques non parce qu’ils sont “populaires, mais parce que le peuple les juge inefficaces, ils déshonorent les solutions de gauche auxquelles ils tentent de se raccrocher après les avoir si longtemps bafouées. Qui peut croire qu’un Bertrand Delanoë veut réellement défendre un parti proche des travailleurs ? C’est pareil pour le PCF. Après avoir liquidé au niveau de sa direction, tout ce qui le reliait à son passé, aux couches populaires, n’être plus qu’une direction de bobos dans le sillage de la dérive du PS, avoir rêvé d’être un “parti comme les autres”, alors que ceux-ci se déconsidéraient, les voici en train de se vendre à des minoritaires qui n’ont jamais pu mener combat dans leur propre parti et qui viennent achever le PCF, y solliciter des postes aux Européennes, en ne s’intéressant même pas au contenu de l’alliance, à ceux qui les suivent ou ne les suivent pas, c’est une débâcle sans troupe que l’on prétend substituer au communisme… Il faut vraiment que l’on ait réussi à convaincre les troupes qu’elles sont faibles, incapables de changer la société pour aboutir à de telles manoeuvres politiciennes qui donnent de l’air à un Capital en train de s’asphyxier, qui contribuent à renforcer les politiques désastreuses de la droite, la manière dont elle prétend nous faire payer sa propre crise. Alors que faire ? L’exemple d’un Chavez, d’un Fidel Castro est là, il faut prendre conscience de sa force réelle, de ce que l’on peut faire et ce n’est pas négligeable. Etre convaincu que ce système injuste ne saurait durer, et s’employer à faire partager sa conviction qu’il est temps que le malheur s’arrête, que si l’on ne se bat pas aujourd’hui tout ira s’aggravant au lieu de se perdre en tractation de couloir, d’additionner des nullités avec d’autres nullités, donner des contenus. L’objectif est désormais de refuser de céder à la sinistrose : oui on peut faire autrement, oui on peut se battre, nous ne sommes pas seuls, partout les résistances montent et ils savent bien qu’ils ont perdu, c’est pour cela qu’ils nous inventent des faiblesses et des défaites imaginaires. Voici plus de dix ans qu’ils tentent de nous convaincre que tout est de la faute à l’URSS, ce qui est sûr est qu’il est difficile de lui attribuer l’actuelle crise, le capitalisme a joui pendant plus de dix ans de tous les pouvoirs, on voit ce qu’il en a fait… La lutte des classes n’existait plus, c’était la fin d’une “illusion”… Visiblement ils se sont trompés sur toute la ligne et pourtant ils continuent comme si rien ne s’était passé, ils continuent à nous parler de leur défaite… Hasta siempre… La seule bataille que l’on est sûr de perdre est celle que l’on ne mène pas… Et il y en a une devant nous que l’on ne peut pas éviter, celle de ces gens menacés de perdre leur emploi, leur chiffre ne va cesser de gonfler, cette bataille là est la notre à tous. (1) J’avais été stupéfaite de constater que le sociologue de droite post-moderne et sulfureux Mafesolli était reçu à Caracas comme le nouveau gourou de la révolution bolivarienne. On imagine mal la manière somptueuse dont sont accueillis ce type de prophète, le coût de telles opérations dont on voit mal le bénéfice intellectuel et politique. Il n’y a pas que la bureaucratie administrative qui ait ses inerties complices de l’oligarchie et des Etats-Unis, le monde intellectuel sait créer des circuits d’adhésion “culturels” à la CIA. (2) Voir article dans contrinfo. - Danielle Bleitrach est sociologue, auteure de nombreux livres et articules sur le monde du travail et les problèmes du développement dans le cadre de la mondialisation. Ex membre du Comité central du Parti Communiste Français.
https://www.alainet.org/fr/active/27695
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