Entrevue à François Houtart :
Amérique latine : Une société en transition ?
05/03/2008
- Opinión
La "Rencontre latino-américaine du Forum Mondial des Alternatives : des résistances aux Alternatives", qui a eu lieu à Quito du 26 au 29 février, a permis à intellectuels et acteurs sociaux et politiques de toute la région, y quelques-uns de l'Europe, mettre en commun leurs réflexions par rapport à la construction de théorie et les expériences de la région, dans cette étape de transition vers une logique post-capitaliste ou socialiste.
Dans le document de Conclusions de cette rencontre, on signale que :
« Il est nécessaire de construire dans la pratique et la théorie un post-capitalisme, c'est-à-dire le socialisme, sur la base de principes qui incluent l'utilisation durable des ressources naturelles et leur appropriation sociale, la prédominance de la valeur de l'utilisation, c'est-à-dire les solutions aux nécessités des gens, sur la valeur du changement, la démocratie généralisée à toutes les relations sociales, politiques, économiques, culturelles, de genre et de la multi-culturalité, en permettant à toutes les cultures, savoirs, philosophies et religions de faire leur propre apport à la nouvelle construction sociale (...)
« Ce qui es nouveau, c'est que dans cette région on est passé des résistances à la recherche d'alternatives, qui s'exprime dans la construction de nouvelles expressions institutionnelles, à travers les processus d'Assemblées Constitutives ; le développement de processus d'intégration comme l'Alternative bolivarienne pour l'Amérique latine ALBA, les travaux articulés des réseaux et les instruments de communication comme Telesur et le Satellite Simon Bolivar. Plusieurs aspects de l'expérience latino-américaine aident à comprendre comment on peut confronter la logique du capitalisme, pour entrer dans un processus de transition au socialisme. Ce sont des processus divers, avec des acteurs multiples qui font face à des oppositions radicales en fonction d'intérêts de classe ou de groupes dominants. Ils retrouvent, comme tous les processus sociaux, des difficultés d'organisation, d'ordre culturel, éthique et idéologique. Ce sont des processus dialectiques qui exigent détermination, réalisme, stratégies concrètes, mais surtout clarté de vision. » (1)
François Houtart, secrétaire exécutif du Forum Mondial des Alternatives (FMA), a dialogué avec ALAI sur les résultats de cet événement.
- Est-ce que tu pourrais faire un bilan des points les plus saillants des débats de ces derniers jours ? Quels ont été les principaux thèmes et les idées force ?
L'idée fondamentale de notre réunion était d'essayer d'analyser ce qui se passe aujourd'hui en Amérique latine, dans le sens de passer des résistances à la construction d'alternatives. À ce sujet on a abordé toute une série de problèmes bien spécifiques, dans les domaines économique, social, politique et culturel. Et ce qui était une vraie découverte, pour moi, c'était de discerner de plus près quels sont les mécanismes de changement et de tâcher de se demander : est-ce une transition, n'est-ce pas une transition, et une transition ver quoi ? Et il est évident que pour le groupe qui était réuni par le Forum Mondial des Alternatives (FMA) en Amérique latine, l'objectif c'était vraiment la transition au socialisme.
Donc c'est en fonction de cela qu'on a réfléchi sur ce que signifiait l'ALBA,la Banque du Sud, les différentes initiatives qui existent en Amérique latine, et des cas concrets comme l'Equateur, comme le Venezuela ou la Bolivie , pour essayer de se demander dans quelle mesure est-ce que ce sont des pas en avant qui sont une vraie transition vers une autre logique que le capitalisme, ou si ce sont des pas qui permettent seulement de transformer un peu la situation sans attaquer la logique même du système.
Et là on est arrivé parfois à des discussions pas toujours unanimes, mais dans l'ensemble, ce qui apparaît c'est qu'il existe des pas qui vont dans le sens de la construction d'une autre logique. Ceci dit, ça se passe dans des conditions tout-à-fait concrètes qui sont souvent contradictoires, où parfois le discours ne correspond pas toujours avec la réalité ; mais ce sont des situations, des initiatives, comme ici en Equateur ou ailleurs, qui -et ça c'était unanime dans le groupe- même s'ils ont leurs ambigüités, doivent être soutenus ; critiquement, mais doivent être soutenus. En plus, on a vu qu'il ne s'agit pas de développer une sorte d'espace d'intellectuels, qui du haut des nuages, jugent, et parfois très correctement, les processus, mais qui finalement deviennent des alliés objectifs de l'opposition. Donc oui, je crois qu'il ya des pas en avant qui sont absolument indiscutables, il y a des situations concrètes qui sont critiquables, mais il est évident que quand on compare à ce qui existe dans d'autres régions du monde, ou dans d'autres pays, -ici je pense àla Colombie et le Mexique par exemple-, il est évident que ce sont des transformations qui sont véritablement profondes ; et qu'il faut les encourager, tout en se disant que les objectifs restent des utopies, qui n'existent pas aujourd'hui, mais qui peuvent exister demain, qu'il fait faire exister demain. C'est dans ce sens que nous avons travaillé.
- Les principaux points d'accord sont manifestés dans les conclusions ; mais quels sont les thèmes où le consensus n'est pas encore fait, ou bien où on sent qu'il faut approfondir le débat ?
Une des choses que je crois qu'il faut continuer dans l'avenir, c'est une analyse plus réelle des mécanismes tels qu'ils se produisent aujourd'hui dans les différents pays qui font un effort alternatif. Autrement dit, dans la réalité, quels effets est-ce que ça produit ? Est-ce que se sont les effets qu'on pense, ou bien est-ce que ça produit aussi des effets inattendus ? Et je pense que probablement nous n'avions pas suffisamment d'information sur ces aspects de la question ; mais ça me parait très important. Par exemple, dans certains pays où il y a des transformations, est-ce que ces transformations sont en train de construire une nouvelle classe dirigeante, finalement très détachée du peuple, peut-être même, dans certains cas, une nouvelle bourgeoisie ? Il s'agit de pouvoir réfléchir sur l'aspect dialectique des mécanismes ; parce-que la réalité ne correspond pas toujours aux buts que l'on s'est proposés, pour beaucoup de raisons -cela ne dépend pas de la bonne volonté-, mais qui dépendent des circonstances objectives, et qui dépendent aussi des lois sociales ; au fait que lorsqu'on construit une nouvelle étape, on construit une nouvelle bureaucratie, c'est évident. Avec le danger que cette nouvelle bureaucratie s'approprie des pouvoirs de décision. Donc c'est un processus dialectique et là je crois que nous ne sommes pas encore arrivés à pouvoir véritablement analyser cela avec des instruments d'analyse qui soient suffisamment développés.
- Cette rencontre fait partie d'un processus mondial de rencontres régionaux qui vont ver la réalisation d'un événement mondial du FMA en octobre. Quel serait l'apport spécifique le plus important de l'Amérique latine pour ce processus mondial ?
Je crois que le plus spécifique c'est précisément d'avoir mis en route des alternatives, notamment sur le plan politique, mais qui ont des répercussions sur le plan économique, pour essayer de mettre en route une série de mécanismes qui contredisent la logique du capital, ce qui n'existe pas dans d'autres continents. Donc c'est l'analyse de cela qui me parait la contribution que l'Amérique latine peut apporter à d'autres continents.
- Quels sont les objectifs de la rencontre mondial, qu'est-ce que vous en attendez ?
Ils sont les mêmes objectifs que cette rencontre-ci, c'est-à-dire, comment pouvons-nous réfléchir à la manière de construire une autre logique, et avec quelles acteurs, avec quelles stratégies et avec quels résultats ? Comment redéfinir une transition vers le socialisme ? Quelles sont les concessions qu'on est obligé de faire ? Quel est le cout de ces concessions ? Et de voir en fonction des réalités différentes, de l'Asie, de l'Afrique, du monde Arabe, etc., comment ces choses-là se mettent en route.
- Quelles nouvelles perspectives s'ouvrent pour l'articulation régionale et mondiale des intellectuels de gauche, à partir de ce processus ? Quels sont les défis actuels ?
Je crois qu'en effet la première chose c'est de pouvoir échanger les informations, les analyses, les résultats des travaux que l'on fait. En Amérique latine on connaît très mal ce qui se fait en Asie ; en Afrique on s'intéresse beaucoup à l'Amérique latine mais on ne connaît pas très bien comment ça se passe, donc cet échange entre intellectuels, -mais intellectuels pas dans le sens purement académique, sinon de ceux qui sont véritablement liés au processus de changement-, cet échange est très important. Comment est-ce que ça se passe dans des pays comme ceux de l'Asie de l'est, qui sont en plein boom neoliberal, mais qui développent une minorité de leur population seulement ? Comment cela se passe en Afrique, où on est au début seulement d'une récupération politique qui pourrait déboucher sur certaines orientations économiques ? Comment est-ce qu'un continent comme l'Afrique peut profiter de l'expérience latino-américaine, pour la récupération de la souveraineté sur les ressources naturelles, par exemple ? C'est tout cela qui est en jeu.
(1) Conclusiones dela Reunión Latinoamericana del Foro Mundial de Alternativas : http://alainet.org/active/22493 (traduction libre).
Dans le document de Conclusions de cette rencontre, on signale que :
« Il est nécessaire de construire dans la pratique et la théorie un post-capitalisme, c'est-à-dire le socialisme, sur la base de principes qui incluent l'utilisation durable des ressources naturelles et leur appropriation sociale, la prédominance de la valeur de l'utilisation, c'est-à-dire les solutions aux nécessités des gens, sur la valeur du changement, la démocratie généralisée à toutes les relations sociales, politiques, économiques, culturelles, de genre et de la multi-culturalité, en permettant à toutes les cultures, savoirs, philosophies et religions de faire leur propre apport à la nouvelle construction sociale (...)
« Ce qui es nouveau, c'est que dans cette région on est passé des résistances à la recherche d'alternatives, qui s'exprime dans la construction de nouvelles expressions institutionnelles, à travers les processus d'Assemblées Constitutives ; le développement de processus d'intégration comme l'Alternative bolivarienne pour l'Amérique latine ALBA, les travaux articulés des réseaux et les instruments de communication comme Telesur et le Satellite Simon Bolivar. Plusieurs aspects de l'expérience latino-américaine aident à comprendre comment on peut confronter la logique du capitalisme, pour entrer dans un processus de transition au socialisme. Ce sont des processus divers, avec des acteurs multiples qui font face à des oppositions radicales en fonction d'intérêts de classe ou de groupes dominants. Ils retrouvent, comme tous les processus sociaux, des difficultés d'organisation, d'ordre culturel, éthique et idéologique. Ce sont des processus dialectiques qui exigent détermination, réalisme, stratégies concrètes, mais surtout clarté de vision. » (1)
François Houtart, secrétaire exécutif du Forum Mondial des Alternatives (FMA), a dialogué avec ALAI sur les résultats de cet événement.
- Est-ce que tu pourrais faire un bilan des points les plus saillants des débats de ces derniers jours ? Quels ont été les principaux thèmes et les idées force ?
L'idée fondamentale de notre réunion était d'essayer d'analyser ce qui se passe aujourd'hui en Amérique latine, dans le sens de passer des résistances à la construction d'alternatives. À ce sujet on a abordé toute une série de problèmes bien spécifiques, dans les domaines économique, social, politique et culturel. Et ce qui était une vraie découverte, pour moi, c'était de discerner de plus près quels sont les mécanismes de changement et de tâcher de se demander : est-ce une transition, n'est-ce pas une transition, et une transition ver quoi ? Et il est évident que pour le groupe qui était réuni par le Forum Mondial des Alternatives (FMA) en Amérique latine, l'objectif c'était vraiment la transition au socialisme.
Donc c'est en fonction de cela qu'on a réfléchi sur ce que signifiait l'ALBA,
Et là on est arrivé parfois à des discussions pas toujours unanimes, mais dans l'ensemble, ce qui apparaît c'est qu'il existe des pas qui vont dans le sens de la construction d'une autre logique. Ceci dit, ça se passe dans des conditions tout-à-fait concrètes qui sont souvent contradictoires, où parfois le discours ne correspond pas toujours avec la réalité ; mais ce sont des situations, des initiatives, comme ici en Equateur ou ailleurs, qui -et ça c'était unanime dans le groupe- même s'ils ont leurs ambigüités, doivent être soutenus ; critiquement, mais doivent être soutenus. En plus, on a vu qu'il ne s'agit pas de développer une sorte d'espace d'intellectuels, qui du haut des nuages, jugent, et parfois très correctement, les processus, mais qui finalement deviennent des alliés objectifs de l'opposition. Donc oui, je crois qu'il ya des pas en avant qui sont absolument indiscutables, il y a des situations concrètes qui sont critiquables, mais il est évident que quand on compare à ce qui existe dans d'autres régions du monde, ou dans d'autres pays, -ici je pense à
- Les principaux points d'accord sont manifestés dans les conclusions ; mais quels sont les thèmes où le consensus n'est pas encore fait, ou bien où on sent qu'il faut approfondir le débat ?
Une des choses que je crois qu'il faut continuer dans l'avenir, c'est une analyse plus réelle des mécanismes tels qu'ils se produisent aujourd'hui dans les différents pays qui font un effort alternatif. Autrement dit, dans la réalité, quels effets est-ce que ça produit ? Est-ce que se sont les effets qu'on pense, ou bien est-ce que ça produit aussi des effets inattendus ? Et je pense que probablement nous n'avions pas suffisamment d'information sur ces aspects de la question ; mais ça me parait très important. Par exemple, dans certains pays où il y a des transformations, est-ce que ces transformations sont en train de construire une nouvelle classe dirigeante, finalement très détachée du peuple, peut-être même, dans certains cas, une nouvelle bourgeoisie ? Il s'agit de pouvoir réfléchir sur l'aspect dialectique des mécanismes ; parce-que la réalité ne correspond pas toujours aux buts que l'on s'est proposés, pour beaucoup de raisons -cela ne dépend pas de la bonne volonté-, mais qui dépendent des circonstances objectives, et qui dépendent aussi des lois sociales ; au fait que lorsqu'on construit une nouvelle étape, on construit une nouvelle bureaucratie, c'est évident. Avec le danger que cette nouvelle bureaucratie s'approprie des pouvoirs de décision. Donc c'est un processus dialectique et là je crois que nous ne sommes pas encore arrivés à pouvoir véritablement analyser cela avec des instruments d'analyse qui soient suffisamment développés.
- Cette rencontre fait partie d'un processus mondial de rencontres régionaux qui vont ver la réalisation d'un événement mondial du FMA en octobre. Quel serait l'apport spécifique le plus important de l'Amérique latine pour ce processus mondial ?
Je crois que le plus spécifique c'est précisément d'avoir mis en route des alternatives, notamment sur le plan politique, mais qui ont des répercussions sur le plan économique, pour essayer de mettre en route une série de mécanismes qui contredisent la logique du capital, ce qui n'existe pas dans d'autres continents. Donc c'est l'analyse de cela qui me parait la contribution que l'Amérique latine peut apporter à d'autres continents.
- Quels sont les objectifs de la rencontre mondial, qu'est-ce que vous en attendez ?
Ils sont les mêmes objectifs que cette rencontre-ci, c'est-à-dire, comment pouvons-nous réfléchir à la manière de construire une autre logique, et avec quelles acteurs, avec quelles stratégies et avec quels résultats ? Comment redéfinir une transition vers le socialisme ? Quelles sont les concessions qu'on est obligé de faire ? Quel est le cout de ces concessions ? Et de voir en fonction des réalités différentes, de l'Asie, de l'Afrique, du monde Arabe, etc., comment ces choses-là se mettent en route.
- Quelles nouvelles perspectives s'ouvrent pour l'articulation régionale et mondiale des intellectuels de gauche, à partir de ce processus ? Quels sont les défis actuels ?
Je crois qu'en effet la première chose c'est de pouvoir échanger les informations, les analyses, les résultats des travaux que l'on fait. En Amérique latine on connaît très mal ce qui se fait en Asie ; en Afrique on s'intéresse beaucoup à l'Amérique latine mais on ne connaît pas très bien comment ça se passe, donc cet échange entre intellectuels, -mais intellectuels pas dans le sens purement académique, sinon de ceux qui sont véritablement liés au processus de changement-, cet échange est très important. Comment est-ce que ça se passe dans des pays comme ceux de l'Asie de l'est, qui sont en plein boom neoliberal, mais qui développent une minorité de leur population seulement ? Comment cela se passe en Afrique, où on est au début seulement d'une récupération politique qui pourrait déboucher sur certaines orientations économiques ? Comment est-ce qu'un continent comme l'Afrique peut profiter de l'expérience latino-américaine, pour la récupération de la souveraineté sur les ressources naturelles, par exemple ? C'est tout cela qui est en jeu.
(1) Conclusiones de
https://www.alainet.org/fr/active/22602
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