Uribe contre Coronell
10/10/2007
- Opinión
Lorsque Daniel Coronell se leva avant-hier matin, il se prépara probablement pour aller recevoir le prix Simón Bolivar de meilleur chroniqueur colombien de l’année, il réfléchissait peut-être à comment il allait s’habiller pour la cérémonie, il se faisait peut-être des illusions en croyant que l’époque où il dut quitter le pays était révolue. Mais, il ne s’imaginait pas qu’un débat de plus d’une heure avec le président de la République, Alvaro Uribe Vélez l’attendait.
Daniel est un journaliste de la vieille école, avec un goût pour l’investigation - ce qui se reflète dans ses articles - et pour démasquer la corruption et les comportements immoraux de ceux qui exercent une fonction publique ou travaillent dans le monde de la finance. Ses enquêtes sont le fruit d’un travail en équipe, un groupe avec lequel il est resté en contact même après avoir dû quitter le pays. Aujourd’hui, Daniel est probablement le journaliste le plus influent et le plus lu en Colombie ; le débat politique est reflété dans ses articles (…).
C’est lui qui a parlé, pour la première fois, aux Colombiens et au monde, de la présence de plusieurs anciens officiers de l’armée israélienne, comme Yair Klein, dans le Cartel de Medellin. Sa tache était d’entraîner un groupe de sicarios, de tueurs à gage, qui, avec le temps, est devenue l’armée paramilitaire la plus sanguinaire et violente du continent.
En 2002, il a été le premier à parler d’un hélicoptère du père de l’actuel président, trouvé dans un des plus grands laboratoires jamais découverts de [transformation de la] coca.
Des nouvelles qui ont fait le tour du monde et qui lui ont coûté très cher.
La dernière chronique de Daniel fait référence à un texte écrit par Virginia Vallejo : « Amando a Pablo, odiando a Escobar ». Virginia était une célèbre présentatrice de télévision dans les années 80, mais elle est surtout connue pour avoir été la maîtresse de Pablo Escobar.
Dans le livre, l’ancienne présentatrice parle de la relation entre le chef du Cartel de Medellin et l’actuel président de la République qui, à l’époque, était le directeur de l’aéronautique civil.
Le texte de Virginia Vallejo a mis le président en colère contre Gonzalo Guillén, reporter du New Herald en Colombie. Uribe l’a accusé d’avoir été le « ghost writer » du livre. Guillen, qui avait déjà été menacé de mort en mai dernier - raison pour laquelle il vivait sous protection – a nié les accusations sans fondement du président, mais il a tout de même décidé de quitter le pays par sécurité. La Fondation pour la liberté de presse (FLIP) a confirmé que le journaliste a quitté la Colombie car sa sécurité est encore plus menacée suite aux accusations du président.
La chronique de Daniel reprend le sujet en ajoutant qu’il existe des preuves de la relation entre l’actuel président et le plus grand narcotrafiquant du monde (Pablo Escobar) et que cette relation va encore plus loin de ce que Virginia Vallejo dit dans son livre.
L’enquête a permis à Daniel de trouver un article de 1983 publié dans le journal El Mundo de Medellin où on peut lire qu’« un hélicoptère moderne, propriété de Pablo Escobar et piloté par Jaime Sandoval, avait décollé de Medellin à 6h45, pour conduire Santiago (Uribe) en urgence à Medellin pour être hospitalisé. Le permis fut octroyé par l’aéronautique civile, à la demande de l’ancien directeur de l’institution et ancien maire de Medellin, Alvaro Uribe… Toutefois, l’hélicoptère n’a pas pu atterrir à Yolombó à cause du mauvais temps et a dû retourner le soir même à l’aéroport Olaya Herrera. De retour à Medellin, Uribe Vélez a pris connaissance, dans le hangar même, de la gravité des faits ».
Cette histoire eut lieu le jour où le père et le frère, Santiago, du président Uribe furent victimes d’un attentat.
Cette fois, la colère du président a pris Daniel Coronell pour cible.
Au cours d’un entretien avec RCN Radio, le chef de l’État colombien a demandé qu’on appelle Daniel pour un débat public. Les journalistes les ont mis en communication et le pays a dû assister à un spectacle dégradant de 80 minutes où le président de la République a insulté l’un des meilleurs journalistes de son pays sans répondre à ses questions. « Un dialogue de sourds », commenta Daniel, au milieu du débat.
Le président, par contre, a dépassé les bornes, en affirmant : « Les faibles, comme vous, ont tendance à confondre le tempérament avec la colère et moi, j’ai un tempérament très fort ». C’est une des nombreuses phrases que Daniel Coronell a dû digérer. Ce commentaire était accompagné d’autres insultes comme celle de « misérable » répétée à plusieurs reprises ou bien : « La seule chose que vous faites c’est de vous cacher derrières vos privilèges de journaliste pour me blesser en me calomniant. Laissez un tel cynisme hors de votre, entre guillemets, éthique professionnelle ».
En plus des agressions personnelles envers Daniel, qui, il n’y a pas longtemps, est revenu au pays après l’avoir quitté en toute hâte en raison d’une série de menaces contre sa vie et celle de sa famille, le journaliste a dû aussi écouter le président déclarer en direct : « Vous êtes parti parce que vous êtes un lâche, car ici vous bénéficiez de toute la protection imaginable »
Daniel répondit ainsi : « En général, après de tels litiges avec vous en public, des menaces suivent, comme je l’ai vécu en 2002. »
Ou tout comme en 2005, lorsque les menaces prirent la famille de Daniel Coronell pour cible. Des menaces qui, d’après les recherches qu’il a menées avec son équipe, venaient de l’ordinateur d’un proche du président et de sa famille, nous a-t-il confié dans une interview récente.
« …Cette même matinée, j’ai reçu l’appel le plus effroyable de tous. Un homme, à l’autre bout du fil, m’a raconté que ma fille est arrivée à l’école à 7h30, accompagnée de ma femme et de deux gardes de corps : ‘ces deux-là sont de la tarte pour nous – continua le type – tu n’as pas voulu te tirer, fils de pute, on va te rendre ta fille découpée en morceaux. »
« Ils l’ont décrite dans les moindres détails : la façon dont elle était habillée, même la pince dans ses cheveux »
« A l’époque, j’avais déjà demandé de l’aide aux autorités et, en théorie, ils pouvaient repérer l’origine de tous les appels mais ils n’y sont pas arrivés ».
« Quelques jours plus tard, l’avocat de notre entreprise, chroniqueur lui aussi du journal El Espectador, a reçu un email qui disait : ‘Tu vas voir ce qui va arriver à Daniel Coronell cette semaine ou la semaine prochaine’. »
« Grâce à l’aide d’un informaticien qui travaille avec nous, nous avons commencé à remonter la piste de l’email, par nous-même, sans l’aide des autorités. L’adresse IP du PC d’origine était cachée, (…). Nous avons suivi la fausse adresse IP pendant 4 jours jusqu’à ce que le dimanche d’après, à 16h, le « bip » sonne annonçant que l’ordinateur d’où les menaces avaient été envoyées venait de se connecter »
« L’ordinateur appartenait à un ancien parlementaire, bon ami du président Uribe et de sa famille, Monsieur Carlos Nader Simmonds, qui, dans les années 80, fit un séjour en prison aux Etats-Unis, après avoir été condamné à 3 ans de prison ferme pour trafic de drogue. Aujourd’hui, Il est l’hôte de nombreux aristocrates colombiens logés fréquemment dans sa mansion en Espagne, toute proche de celle de Beckham, le joueur de football »
« Je ne comprenais pas ce que ce monsieur voulais obtenir de moi, car je ne l’avais jamais rencontré. Avec l’aide de la rédaction, on a commencé à récolter des informations sur lui »
« Le jeudi suivant, j’avais déjà un dossier complet sur Carlos Nader et je décidai d’écrire un article dans la revue Semana pour le dénoncer. Ce même jour, je suis allé porter plainte à la police. Il existe une petite incise dans le Code pénal colombien qui m’a permis de demander une perquisition immédiate de sa maison. L’article allait être publié ce dimanche-là et il aurait pu détruire les preuves. »
« La police a trouvé dans son ordinateur tous les emails menaçants qu’on m’a envoyés. Cependant, il est encore libre et il s’est défendu en affirmant que beaucoup de gens avaient accès à son ordinateur », y compris les enfants d’Uribe.
Il est extrêmement irresponsable de la part du président Uribe d’exposer publiquement les journalistes qui ne font que leur travail. Ceci, en Colombie, équivaut à mettre leur tête et celles des membres de leur famille sur un stand de tir.
Traduction : G.N., pour le RISAL (http://risal.collectifs.net).
Daniel est un journaliste de la vieille école, avec un goût pour l’investigation - ce qui se reflète dans ses articles - et pour démasquer la corruption et les comportements immoraux de ceux qui exercent une fonction publique ou travaillent dans le monde de la finance. Ses enquêtes sont le fruit d’un travail en équipe, un groupe avec lequel il est resté en contact même après avoir dû quitter le pays. Aujourd’hui, Daniel est probablement le journaliste le plus influent et le plus lu en Colombie ; le débat politique est reflété dans ses articles (…).
C’est lui qui a parlé, pour la première fois, aux Colombiens et au monde, de la présence de plusieurs anciens officiers de l’armée israélienne, comme Yair Klein, dans le Cartel de Medellin. Sa tache était d’entraîner un groupe de sicarios, de tueurs à gage, qui, avec le temps, est devenue l’armée paramilitaire la plus sanguinaire et violente du continent.
En 2002, il a été le premier à parler d’un hélicoptère du père de l’actuel président, trouvé dans un des plus grands laboratoires jamais découverts de [transformation de la] coca.
Des nouvelles qui ont fait le tour du monde et qui lui ont coûté très cher.
La dernière chronique de Daniel fait référence à un texte écrit par Virginia Vallejo : « Amando a Pablo, odiando a Escobar ». Virginia était une célèbre présentatrice de télévision dans les années 80, mais elle est surtout connue pour avoir été la maîtresse de Pablo Escobar.
Dans le livre, l’ancienne présentatrice parle de la relation entre le chef du Cartel de Medellin et l’actuel président de la République qui, à l’époque, était le directeur de l’aéronautique civil.
Le texte de Virginia Vallejo a mis le président en colère contre Gonzalo Guillén, reporter du New Herald en Colombie. Uribe l’a accusé d’avoir été le « ghost writer » du livre. Guillen, qui avait déjà été menacé de mort en mai dernier - raison pour laquelle il vivait sous protection – a nié les accusations sans fondement du président, mais il a tout de même décidé de quitter le pays par sécurité. La Fondation pour la liberté de presse (FLIP) a confirmé que le journaliste a quitté la Colombie car sa sécurité est encore plus menacée suite aux accusations du président.
La chronique de Daniel reprend le sujet en ajoutant qu’il existe des preuves de la relation entre l’actuel président et le plus grand narcotrafiquant du monde (Pablo Escobar) et que cette relation va encore plus loin de ce que Virginia Vallejo dit dans son livre.
L’enquête a permis à Daniel de trouver un article de 1983 publié dans le journal El Mundo de Medellin où on peut lire qu’« un hélicoptère moderne, propriété de Pablo Escobar et piloté par Jaime Sandoval, avait décollé de Medellin à 6h45, pour conduire Santiago (Uribe) en urgence à Medellin pour être hospitalisé. Le permis fut octroyé par l’aéronautique civile, à la demande de l’ancien directeur de l’institution et ancien maire de Medellin, Alvaro Uribe… Toutefois, l’hélicoptère n’a pas pu atterrir à Yolombó à cause du mauvais temps et a dû retourner le soir même à l’aéroport Olaya Herrera. De retour à Medellin, Uribe Vélez a pris connaissance, dans le hangar même, de la gravité des faits ».
Cette histoire eut lieu le jour où le père et le frère, Santiago, du président Uribe furent victimes d’un attentat.
Cette fois, la colère du président a pris Daniel Coronell pour cible.
Au cours d’un entretien avec RCN Radio, le chef de l’État colombien a demandé qu’on appelle Daniel pour un débat public. Les journalistes les ont mis en communication et le pays a dû assister à un spectacle dégradant de 80 minutes où le président de la République a insulté l’un des meilleurs journalistes de son pays sans répondre à ses questions. « Un dialogue de sourds », commenta Daniel, au milieu du débat.
Le président, par contre, a dépassé les bornes, en affirmant : « Les faibles, comme vous, ont tendance à confondre le tempérament avec la colère et moi, j’ai un tempérament très fort ». C’est une des nombreuses phrases que Daniel Coronell a dû digérer. Ce commentaire était accompagné d’autres insultes comme celle de « misérable » répétée à plusieurs reprises ou bien : « La seule chose que vous faites c’est de vous cacher derrières vos privilèges de journaliste pour me blesser en me calomniant. Laissez un tel cynisme hors de votre, entre guillemets, éthique professionnelle ».
En plus des agressions personnelles envers Daniel, qui, il n’y a pas longtemps, est revenu au pays après l’avoir quitté en toute hâte en raison d’une série de menaces contre sa vie et celle de sa famille, le journaliste a dû aussi écouter le président déclarer en direct : « Vous êtes parti parce que vous êtes un lâche, car ici vous bénéficiez de toute la protection imaginable »
Daniel répondit ainsi : « En général, après de tels litiges avec vous en public, des menaces suivent, comme je l’ai vécu en 2002. »
Ou tout comme en 2005, lorsque les menaces prirent la famille de Daniel Coronell pour cible. Des menaces qui, d’après les recherches qu’il a menées avec son équipe, venaient de l’ordinateur d’un proche du président et de sa famille, nous a-t-il confié dans une interview récente.
« …Cette même matinée, j’ai reçu l’appel le plus effroyable de tous. Un homme, à l’autre bout du fil, m’a raconté que ma fille est arrivée à l’école à 7h30, accompagnée de ma femme et de deux gardes de corps : ‘ces deux-là sont de la tarte pour nous – continua le type – tu n’as pas voulu te tirer, fils de pute, on va te rendre ta fille découpée en morceaux. »
« Ils l’ont décrite dans les moindres détails : la façon dont elle était habillée, même la pince dans ses cheveux »
« A l’époque, j’avais déjà demandé de l’aide aux autorités et, en théorie, ils pouvaient repérer l’origine de tous les appels mais ils n’y sont pas arrivés ».
« Quelques jours plus tard, l’avocat de notre entreprise, chroniqueur lui aussi du journal El Espectador, a reçu un email qui disait : ‘Tu vas voir ce qui va arriver à Daniel Coronell cette semaine ou la semaine prochaine’. »
« Grâce à l’aide d’un informaticien qui travaille avec nous, nous avons commencé à remonter la piste de l’email, par nous-même, sans l’aide des autorités. L’adresse IP du PC d’origine était cachée, (…). Nous avons suivi la fausse adresse IP pendant 4 jours jusqu’à ce que le dimanche d’après, à 16h, le « bip » sonne annonçant que l’ordinateur d’où les menaces avaient été envoyées venait de se connecter »
« L’ordinateur appartenait à un ancien parlementaire, bon ami du président Uribe et de sa famille, Monsieur Carlos Nader Simmonds, qui, dans les années 80, fit un séjour en prison aux Etats-Unis, après avoir été condamné à 3 ans de prison ferme pour trafic de drogue. Aujourd’hui, Il est l’hôte de nombreux aristocrates colombiens logés fréquemment dans sa mansion en Espagne, toute proche de celle de Beckham, le joueur de football »
« Je ne comprenais pas ce que ce monsieur voulais obtenir de moi, car je ne l’avais jamais rencontré. Avec l’aide de la rédaction, on a commencé à récolter des informations sur lui »
« Le jeudi suivant, j’avais déjà un dossier complet sur Carlos Nader et je décidai d’écrire un article dans la revue Semana pour le dénoncer. Ce même jour, je suis allé porter plainte à la police. Il existe une petite incise dans le Code pénal colombien qui m’a permis de demander une perquisition immédiate de sa maison. L’article allait être publié ce dimanche-là et il aurait pu détruire les preuves. »
« La police a trouvé dans son ordinateur tous les emails menaçants qu’on m’a envoyés. Cependant, il est encore libre et il s’est défendu en affirmant que beaucoup de gens avaient accès à son ordinateur », y compris les enfants d’Uribe.
Il est extrêmement irresponsable de la part du président Uribe d’exposer publiquement les journalistes qui ne font que leur travail. Ceci, en Colombie, équivaut à mettre leur tête et celles des membres de leur famille sur un stand de tir.
Traduction : G.N., pour le RISAL (http://risal.collectifs.net).
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