Banlieues : 10 questions

14/11/2005
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1. La France supprimera-t-elle l'apartheid ? On assiste à un curieux phénomène : les dirigeants politiques français se précipitent tous à la télé, la bouche en coeur : « Nous vous avons compris, on va faire quelque chose pour vous ! » Tous connaissent les causes du problème et tous savent ce qu'il faut faire. Mais alors, si vous saviez, pourquoi avez-vous fait tout le contraire depuis trente ans, et surtout dernièrement ? Pourquoi, ces deux dernières années, le gouvernement français a-t-il liquidé son soutien aux initiatives locales ? Qui a supprimé 15% des crédits alloués à la lutte contre l'habitat insalubre dans le budget 2006 ? Qui a remplacé les polices de proximité par des CRS avec leurs humiliations systématiques et arrestations arbitraires dont même Amnesty dénonçait le caractère violent et raciste dans un récent rapport ? 2. Que cachez-vous ? De deux choses l'une. Ou bien vous, dirigeants, saviez vraiment quelle était la cause des problèmes, à savoir l'injustice sociale, le « pas d'avenir », et pourtant vous n'avez rien fait, alors pourquoi vous ferait-on confiance à partir de maintenant ? Ou bien vous n'avez pas de solution, parce que l'injustice sociale est au coeur de votre système, et que vous ne voulez pas toucher aux privilèges des puissants, et alors pourquoi vous ferait-on confiance à partir de maintenant ? 3. « La violence ne résoud rien » ? Une fois encore, Messieurs les bourgeois, vous seriez fort aimables d'indiquer aux pauvres quelle méthode de lutte vous leur suggérez puisqu'aucune autre n'a été entendue et que leur situation ne fait que s'aggraver ! Et surtout soyez un peu moins hypocrites ! Par quelle méthode la bourgeoisie française a-t-elle commencé à construire ses immenses fortunes sinon la traite des esclaves, puis le pillage des richesses de l'Afrique ? L'armée française allait-elle apporter des bouquets de fleurs aux Algériens, aux Marocains et autres peuples occupés et massacrés ? Et, aujourd'hui encore, dans quelques néocolonies qui font la fortune des multinationales comme Total et Bouygues, mais la misère des populations locales ? 4. Où est la plus grande violence ? Quel mot employer pour qualifier un système qui, d'un côté accumule des fortunes colossales en détruisant toujours plus d'emplois, et qui, de l'autre côté, entasse des millions de gens dans des ghettos, logements insalubres, tours dégradées, écoles-parkings, stages bidon, petits boulots sans lendemain, harcèlements policiers « au faciès » ? Chaque année, de plus en plus de gens doivent survivre avec des revenus insuffisants alors que tous les gouvernements ne cessent de baisser les impôts sur les grosses fortunes. Chaque année, des centaines d'êtres humains meurent sur les trottoirs de Paris. Quel mot pour qualifier un système qui ne laisse aucune issue à un jeune : « Je m'en fous d'aller en prison, ma vie est quand même déjà foutue ! » N'est-ce pas ce système lui-même qui est violent ? 5. « On n'est pas aux Etats-Unis, quand même ? », disaient nos médias lors du scandale Katrina - Bush. Mais est-ce que nous n'en prenons pas le chemin à toute allure ? Avec la Constitution Européenne et Bolkestein et aussi toutes les mesures appliquées partout en Europe depuis les accords de Lisbonne (2000), n'assiste-on pas à une offensive générale qui rabaisse les salaires, les pensions, les allocations sociales ? Ne sommes-nous pas en train de rattraper Bush et ses 40 millions de gens sous le seuil de pauvreté ? Cette obsession actuelle de faire travailler les vieux plus longtemps, n'est-ce pas la meilleure manière de produire une masse supplémentaire de jeunes chômeurs sans espoir ? Est-il normal que les travailleurs de Shell-Hollande soient obligés de faire grève pour préserver leur droit à la pension alors que les profits de cette multinationale ont explosé (18 milliards de dollars en 2004, et 68% de plus cette année) ? Ne faudrait-il pas, au contraire, réduire radicalement le temps du travail, afin de le partager ? Et le seul obstacle, n'est-ce pas le caractère intouchable des super-profits des grosses sociétés, pudiquement recouverts du joli nom de « compétitivité » ? 6. Des êtres humains à la poubelle ? Quand les jeunes brûlent des voitures, ils dérangent et on s'en occupe. Quand c'était leur vie qui partait en fumée et en désespoir, quel média en parlait ? Pouvons-nous encore croire au mythe du prétendu « ascenseur social » quand on entend un des plus grands économistes occidentaux déclarer froidement : « Il y a six milliards d'êtres humains sur terre, dont cinq milliards ne pourront jamais être utilisés » ? Ne vivons-nous pas dans un système inhumain ? Les uns sont exploités jusqu'au trognon, les autres sont « jetés » littéralement à la poubelle ? Faut-il baser la société de demain sur les profits des multinationales ou sur les besoins de l'humanité ? 7. Une stratégie pour diviser ? Bien sûr, brûler la voiture de son voisin de banlieue, c'est tomber dans le panneau du pouvoir. Car ce voisin qui l'utilise pour se rendre au boulot (et se faire exploiter un maximum), ce voisin aussi est victime d'une politique européenne imposée par les multinationales. Tout comme le petit pensionné plongé dans l'insécurité financière lorsque le pouvoir rogne ses moyens d'existence. Et le pouvoir ne craint-il pas justement que s'unissent les résistances à cette exploitation ? Le racisme n'est-il pas délibérément alimenté en présentant des statistiques gonflées et faussées sur la petite délinquance tandis que celle en col blanc est protégée ? Présenter les musulmans comme dangereux alors qu'il y a des extrémistes partout, criminaliser le port du foulard, n'est-ce pas volontairement occulter la question sociale derrière un faux problème de religion ? Afin de mieux dresser les victimes de l'exploitation les unes contre les autres. Enfermer les plus pauvres dans des ghettos, et dresser autour d'eux un Mur de flics, a été la stratégie la plus géniale pour briser la résistance. Aussi longtemps que les petits Blancs s'en prendront aux petits Noirs ou aux petits Beurs, les grands riches (dont l'argent n'a pas de couleur) pourront dormir sur leurs deux oreilles. Et le gros problème, c'est que la démagogie de Sarkozy marche bien. Alors que ce gros bourgeois prépare une politique antisociale à la Bush, son discours passe bien chez une majorité de travailleurs en France, mais aussi en Belgique. Nous avons un gros boulot, là ! 8. Qu'est-ce que Fachozy est en train de faire passer ? Bien sûr, hypocritement, ses rivaux tentent de lui faire porter le chapeau et de l'éliminer de la présidentielle. Mais en même temps, ils sont bien contents qu'il fasse leur sale travail. Car chacun sait que le problème social ne fait que commencer, et que la révolte ne disparaîtra pas. D'où l'utilité de « Monsieur Karcher ». Bien avant les émeutes, Fachozy avait préparé des lois liberticides qui nous visent tous et qui vont se mettre en place dans toute l'U.E. : écoutes, espionnage d'Internet, extraditions pour délits politiques, expulsions arbitraires... Après avoir délibérément créé la tension, Fachozy va l'exploiter pour faire passer ces lois anti-démocratiques. Qu'il utilisera aussi contre les mouvements sociaux et syndicaux. Et contre notre liberté d'expression (n'oublions pas qu'il a fait emprisonner un jeune immigré pour l'avoir « insulté »). 9. Quelles solutions proposent-ils ? Ceux qui « ont bien compris l'inquiétude des jeunes », assurent qu'ils vont remettre un peu plus de sous pour les banlieues, et y ramener les polices de proximité et assistants sociaux qu'ils venaient de supprimer. Seulement, les flics et les assistants sociaux calmeront peut-être la situation un temps, mais ils ne créeront pas de l'emploi. Pour s'intégrer, il faut un vrai boulot, un vrai revenu. Mais tant que le système sera basé sur l'intérêt et le profit maximum de quelques uns, comment pourrait-on créer les emplois nécessaires et satisfaire les besoins de la population ? Si nous voulons qu'on cesse de jeter des êtres humains à la poubelle, n'est-il pas temps de remplacer la loi de la jungle par une forme supérieure des relations humaines ? Aujourd'hui, il est parfaitement possible de supprimer la faim dans le monde : cela coûterait moins qu'un quart du budget annuel de l'armée US. Alors ? 10. Les laisser dans leur ghetto ? Il est trop facile de reprocher aux jeunes des banlieues de n'avoir pas de programme, et de se tromper de cible. Au début de l'existence de la classe ouvrière, les travailleurs surexploités ont commencé par briser les machines, ce qui était tout aussi suicidaire. La vraie question est : d'où pourraient leur venir ces revendications claires, cette analyse des causes de leur malheur ? Qu'a fait le mouvement ouvrier, qu'ont fait les intellectuels progressistes pour surmonter la division entre ces jeunes et les autres couches populaires ? Pour surmonter cette division, il faudra absolument jeter des ponts et communiquer l'expérience des luttes passées. Mais, avant d'être professeur, il faudra d'abord être élève. A l'écoute. Car la « haine » que ces jeunes éprouvent n'est pas un sentiment négatif. C'est l'indignation face à l'injustice. Et ce sentiment a toujours été, à toutes les époques, le point de départ pour résister et pour changer le monde.
https://www.alainet.org/fr/articulo/113497?language=en
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