Le mouvement sans terre en Bolivie
23/09/2004
- Opinión
Le problème du "manque" de terre, n'a paradoxalement pas de
frontière en Amérique latine. En dépit de la superficie
presque illimitée de ce vaste continent et sans pression
démographique majeure... peu sont ceux qui possèdent beaucoup.
La grande majorité n'a rien ou si peu. La Bolivie n'échappe
pas à ce paradoxe économique et social. Près de 4 millions de
ses habitants manquent d'une parcelle minimale qui assurerait
leur subsistance, comme le souligne lors d'une interview
exclusive Juana Chambi, jeune dirigeante et responsable du
travail avec les femmes du Mouvement sans terre (MST). Moins
connu au niveau international que son homologue brésilien, le
MST bolivien vit cependant un processus accéléré de
consolidation à la faveur de l'ampleur de la protestation, de
la lutte sociale et de l'organisation collective.
DES PROMESSES HISTORIQUES NON TENUES
Comment définir le MST bolivien ?
Il s'agit d'un mouvement de familles, d'hommes et de femmes
sans terre. En Bolivie, la distribution injuste des terres est
due à la mauvaise gestion de ce thème si sensible par les
différents gouvernements successifs. En 1953, une réforme
agraire a été mise en oeuvre. Elle se définissait très
rhétoriquement par le slogan "la terre à celui qui la
travaille". Mais en même temps, le latifundio se consolidait à
l'est du pays et le minifundio à l'ouest. Ensuite, la loi de
l'INRA (Institut de Réforme agraire) a été promulguée. Selon
ce texte la terre est destinée à celui qui a de l'argent, des
armes et du pouvoir. Le MST est né de cette situation. Il
s'agit d'un mouvement dans lequel tous ceux qui n'ont pas de
terre ou qui n'en possèdent pas assez se sont organisés. Notre
objectif principal est de pouvoir vivre et d'aider à trouver
une issue à la crise que traverse notre pays.
Si vous deviez le comparer au MST brésilien, quels seraient
les point communs et quelles seraient les différences entre
ces deux mouvements ?
Des objectifs similaires nous animent. Il s'agit de récupérer
des terres pour les familles qui n'en ont pas. D'entamer une
lutte théorique et pratique contre les grands propriétaires
terriens qui accaparent les terres pour la spéculation et des
manœuvres suspectes. Les deux mouvements mettent en place des
processus d'information, de communication, de consolidation et
d'organisation des familles sans terre. Enfin,
malheureusement, les deux mouvements ont aussi leurs martyres
... Les différences principales sont des conséquences de
l'histoire et du développement de ces deux mouvements. Le MST
brésilien existe depuis vingt ans alors que nous n'existons
seulement que depuis quatre ans. Ils ont déjà réussi à obtenir
des titres de propriété pour une bonne partie des terres en
conflit. Nous, nous sommes à peine dans un processus
d'organisation et très peu de titres de propriété ont été
octroyés en notre faveur. Le MST brésilien a des projet de
développement en cours et peut compter sur le soutien
d'organisations internationales. Nous, nous ne pouvons compter
que sur le soutien sporadique de quelques organisations non
gouvernementales (ONG) et de quelques amis.
Et en ce qui concerne les membres ?
Nous avons 5.000 affiliés directs et 20.000 membres
indirects.... Près de 200.000 personnes se sont rapprochées du
mouvement pour demander des informations. De toutes façons, il
s'agit d'un défi majeur puisque 4 millions de Boliviens n'ont
aujourd'hui pas de terre. C'est la population qui est en train
d'émigrer vers les centres urbains et les banlieues et qui
habitent les périphéries pauvres, se transformant en main
d'œuvre bon marché ou en véritable armée de sans emplois.
UNE ETAPE TOUJOURS CRITIQUE
La Bolivie se présente depuis trois ou quatre ans comme une
des nations les plus dynamiques et les plus combatives du
continent au niveau social. Pourriez-vous nous expliquer dans
les grandes lignes, quel moment politique traverse
actuellement le pays ?
Nous vivons une étape très critique. Depuis l'année 2000, les
mouvements sociaux, fatigués de tant d'injustice et
d'exclusion, se sont soulevés contre les politiques
néolibérales et ont entamé une lutte pour améliorer les
conditions de vie. C'est pour cela que Gonzalo Sánchez de
Lozada, un représentant indéniable des multinationales, a été
chassé de la présidence du pays [1]. Dès lors, selon la
constitution, Carlos Mesa a été désigné président et a dû
entamer, sous la pression sociale, un timide processus de
transition d'une démocratie représentative vers une démocratie
participative. Quand il est arrivé à la tête du gouvernement,
Mesa a assumé ses trois engagements principaux : réaliser un
referendum sur la politique du gaz qui a eu lieu le 18 juillet
passé, abroger la loi sur les hydrocarbures de Sánchez de
Lozada, la changer en fonction des résultats de la
consultation populaire et convoquer une Assemblée constituante
qui doit se réunir l'année prochaine. Actuellement, le
gouvernement ne peut pas répondre aux demandes principales,
les plus urgentes et les mobilisations sont constantes. En
même temps, les partis politiques traditionnels et d'autres
secteurs déplacés par la mobilisation sociale mettent en
oeuvre de façon permanente un processus de déstabilisation ...
Quel est l'état actuel des mouvements populaires, des
organisations sociales ?
Il y a eu de réelles attentes de changement lors du départ de
Sanchez de Lozada. On pensait que le gouvernement actuel
serait un « gouvernement des pauvres » . Mais le temps a passé
et il a seulement proposé quelques réponses palliatives. Les
mouvements populaires sont dans une grande incertitude...
Le MST bolivien participe, tout comme son homologue brésilien,
à la Vía Campesina...Que signifie pour vous ce référent
international ?
J'ai du participer, il y a peu (du 11 au 20 juin de cette
année) à une rencontre internationale de la Vía Campesina pour
représenter notre mouvement. J'ai eu l'occasion de mieux la
connaître. Notre appartenance est claire puisque ce mouvement
regroupe au niveau international des organisations du monde
entier dont les objectifs sont similaires aux nôtres. Nos
luttes anti-néolibérales, contre les multinationales, contre
la Banque mondiale et l'Organisation mondiale du commerce,
contre ses monstres qui nous affectent directement, toutes ces
luttes nous unissent. D'autre part, la Vía Campesina nous
donne la force nécessaire pour revendiquer nos droits humains
les plus élémentaires : le droit à la terre, à l'éducation, à
la santé, à la souveraineté alimentaire. Elle nous renforce et
stimule le principe de la solidarité internationale.
Impossible de conclure cet entretien sans vous demander
quelque chose de tellement fondamental que j'aurais dû
commencer par là : comment percevez-vous, en tant que femme et
militante d'un mouvement populaire, ce nouveau processus de
rapprochement des acteurs sociaux de la planète lors des
Forums mondiaux ou, par exemple, lors du récent Forum social
des Amériques qui s'est tenu à Quito en juillet passé ?
La femme, et plus particulièrement la paysanne, par les
multiples responsabilités qu'elle assume, est la plus affectée
par les politiques hégémoniques mondiales actuelles et la
pauvreté que celles-ci entraînent. Par conséquent, le nouveau
courant de pensée et d'échange altermondialiste est chaque
jour plus nécessaire, presque indispensable. En tant que
femmes nous devons y prendre part activement. Le travail
quotidien que je dois réaliser, en informant et en
réfléchissant avec d'autres femmes sur des thèmes variés, est
une forme très concrète de soutien à ce courant. Il est
fondamental de renforcer les alliances et de faire croître ces
mouvements. En tant que femmes, nous vivons en première ligne
les problèmes quotidiens et nous les ressentons avec plus de
force. C'est pourquoi la lutte est nécessaire. C'est seulement
grâce à la lutte de tous, femmes, hommes, jeunes qu'une autre
Bolivie et qu'un autre monde seront possibles. C'est un grand
rêve qui peut devenir réalité !
Sergio Ferrari
Entretien réalisé avec la collaboration de COVOSU
(Coordination des Volontaires suisses en Bolivie) et du
Service de presse E-CHANGER (ONG suisse de coopération
solidaire sur la base d'un échange de personnes Nord-Sud-
Nord).
NOTES:
[1] Voir : dossier 'La guerre du gaz' :
theme_mot.php3?id_mot=52.
Traduction : Anne Vereecken, pour RISAL
(http://risal.collectifs.net).
https://www.alainet.org/fr/active/7027?language=es
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