Les cas de l
Mouvement social et pouvoir d
30/08/2004
- Opinión
Le débat impulsé par le néo-zapatisme sur le pouvoir d'Etat
court le risque de rester sur le terrain abstrait des débats
idéologiques s'il ne s'articule pas avec les expériences
concrètes des mouvements anti-systémiques. L'histoire
récente de l'Amérique latine permet d'avancer sur les
résultats de l'option "étatiste", surtout dans les pays où
les mouvements sociaux participent à différents niveaux de
pouvoir. Evaluer comment cela a influencé leur force, leur
capacité de mobilisation, leur cohérence interne et leur
crédibilité face à leur base est une source de leçons pour
l'ensemble des mouvements.
La participation du mouvement social équatorien au
gouvernement de Lucio Gutiérrez, malgré le court laps de
temps pendant lequel ses dirigeants ont assumé des charges
gouvernementales, peut être une bonne occasion pour ramener
sur la terre ferme le débat proposé par les Zapatistes. Le
mouvement équatorien était sans doute le plus puissant du
continent. Depuis 1990, le mouvement indigène, rassemblé
dans la CONAIE, a été capable de promouvoir et d'organiser
plusieurs soulèvements nationaux, de tisser des alliances
avec de vastes secteurs populaires, de renverser deux
présidents, de freiner l'application de mesures néolibérales
et de créer un réseau très dense de contre-pouvoirs, à
l'échelle locale, régionale et même nationale, qui
s'appuyait sur les vagues successives de la mobilisation
sociale. Après une décennie de forte activité sociale,
l'Etat est entré en crise en janvier 2000, le moment clé
pour comprendre le tournant politique sur lequel a reposé le
triomphe de Gutiérrez [élu à la présidence de l'Equateur en
novembre 2002, ndlr] et la participation du mouvement
indigène - la principale force organisée du pays - dans son
nouveau gouvernement.
Cette notable capacité de mobilisation contraste fortement
avec la situation qui a suivi la sortie du Mouvement
Pachakutik - le bras politico-électoral de la CONAIE - du
gouvernement Gutiérrez dont l'appui avait été décisif pour
son arrivée au pouvoir. La situation actuelle est au
contraire marquée par la division et la faible capacité de
mobilisation, l'usure et la faiblesse. Non seulement des
clivages ont surgit entre les dirigeants - dont certains
continuent à soutenir le gouvernement néolibéral - mais
également entre les organisations de la sierra [la région
montagneuse, ndlr] et celles de l'Amazonie, ainsi que, après
leur passage au pouvoir, entre les dirigeants historiques et
leurs bases.
Bien que toutes ces divisions ne soient pas totalement
nouvelles, elles s'approfondissent dans un contexte où
l'appareil d'Etat a récupéré sa capacité de neutralisation
et de cooptation de par l'appui sur lequel il peut compter
de la part d'éminents dirigeants sociaux ainsi que de
secteurs entiers du mouvement. La situation est réellement
devenue difficile et de nombreuses voix évoquent une
véritable "inflexion" (revue Tintaji n°47) et même une
période de recul "pour une décennie" du principal mouvement
équatorien.
La situation opposée est celle que traverse le Mouvement des
sans terre au Brésil. Il a depuis toujours maintenu des
relations étroites avec le Parti des Travailleurs (PT) et a
appuyé la candidature de Lula, mais il a tout autant
toujours su garder ses distances avec le gouvernement et
approfondir son autonomie. Les sans terre - à la différence
des Equatoriens - ne participent pas avec des cadres ni des
dirigeants au gouvernement du PT. Dans une récente interview
publiée par la revue OSAL, Joao Pedro Stédile, principal
dirigeant du mouvement, y soutient la thèse qu'avec le
gouvernement Lula il est possible d'avancer dans la réforme
agraire vu qu'il y a un changement des rapports de forces
dans le pays, mais, prévient-il, c'est "un moment
d'accumulation des forces". Il n'évoque pas la possibilité
de rompre avec le gouvernement, mais en quelques mois le MST
a organisé des centaines d'actions et il y a déjà 200.000
familles, soit un million de personnes, qui campent à la
limite des grandes propriétés afin de faire pression pour
l'octroi de terres. C'est la plus importante campagne
d'occupations de l'histoire du mouvement. La récente
campagne dénommée "avril rouge" fut la plus importante
mobilisation nationale, avec 140 occupations de terres qui
ont renforcé l'autonomie du MST et coupé court à toute
tentative de cooptation ou de subordination de la part du
gouvernement Lula.
Actuellement, le MST est engagé dans l'impulsion d'un
"processus de luttes sociales et de mobilisations qui puisse
déclencher une ascension du mouvement des masses" afin
d'infléchir la politique néolibérale du gouvernement. Pour
ce faire, une Coordination des Mouvements sociaux a été mise
sur pieds et cette dernière appelle à une journée nationale
de mobilisation centrée sur la question du chômage pour le 7
septembre prochain, "journée des exclus".
Bien qu'il ne l'évoque pas de manière explicite, le MST
semble estimer que l'arrivée au pouvoir du PT représente une
déroute historique pour la gauche, car, comme l'affirme
Stédile, "au Brésil, nous devons reconstruire une pratique
de gauche" car "dans les 20 dernières années, nous avons
seulement accumulé des forces sur les terrains électoral et
institutionnel".
Ces deux expériences peuvent servir de miroir pour
l'ensemble des mouvements du continent. Mais elles sont,
tout autant, une bonne occasion d'enrichir le débat sur la
prise ou non du pouvoir, sur les relations que doivent
maintenir les mouvements sociaux avec l'Etat et, plus
particulièrement, sur la participation à des instances et
des espaces étatiques. Et de mettre noir sur blanc
l'importance de la construction de l'autonomie comme une
pratique permanente et de trouver les espaces physiques et
territoriaux sur lesquels l'exercer. L'avenir des mouvements
sociaux, et la possibilité d'inverser la situation critique
que traversent les Equatoriens, se situe dans la ferme
autonomie que maintiennent les espaces communautaires de
base.
Source : Servicio Informativo "Alai-amlatina" Agencia
Latinoamericana de Informacion - ALAI, 10 août 2004.
Traduction : Ataulfo Riera, pour RISAL.
https://www.alainet.org/fr/active/6734?language=en
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