Peuples indigènes: Pour un changement réel
29/04/2002
- Opinión
Après avoir été confrontés pendant plus de cinq siècles à une situation de
discri-mination, d’exploitation et d’oppres-sion, et après une étape faite
de plaintes, de pleurs et de réclamations pour obtenir des réponses à nos
besoins, nous, peuples indigènes, sommes dans une nouvelle étape qui se
caractérise non par des revendications mais par des proposi-tions concrètes
et directes, non seule-ment à un niveau local mais aussi natio-nal et
international. Nous ne nous limi-tons plus à demander mais nous propo-sons,
et nous ne le faisons plus par l’in-termédiaire de tierces personnes mais
comme des interlocuteurs directs des gouvernements et avec nos propres lea-
ders, issus de nos propres communautés
La société a dû entendre les porte-paroles émanant directement du mouve-
ment indigène
Si, il y a encore quelques décennies, notre mouvement faisait ses
revendica-tions en référence aux besoins de base et aux thèmes en relation
avec l’éducation et la culture, aujourd’hui nous avons élargi nos
propositions et nos revendica-tions à différents niveaux. Nous ne sommes
plus uniquement concentrés sur la survie
Aujourd’hui, le mouvement indigène fait des propositions au plan politique
parce que nous réclamons un change-ment réel des structures économiques et
politiques des États. À la fin du XXème siècle, nous avons présenté des
revendi-cations portant sur notre reconnaissance comme nationalités, comme
peuples, sur les droits à la territorialité, à un environ-nement sain, à la
libre détermination, à l’autogestion et à la reconnaissance d’un État
plurinational, pluriculturel et multi-lingue
C’est ainsi que nous, peuples indigènes, exigeons actuellement notre
reconnaissance comme nationalités et peuples et non seulement comme
regroupement d’individus
De même, nos propositions en référence à la terre et aux droits à la
territorialité dépassent largement la conception étroi-te des " terres
indigènes ", qui se réfère exclusivement à la propriété et à la maî-trise
des terres de caractère économique et productif. Ce sentiment d’identité
avec un territoire déterminé a sa source dans la connaissance et le
patrimoine culturel, et aussi dans le contrôle, la ges-tion et l’entretien
de ces terres. Nous ne parlons pas d’un droit de propriété basé sur des
lois et des règles écrites mais sur une forme d’identité qui peut être
héri-tée mais jamais vendue ou hypothéquée
Ces revendications politiques, de même que la lutte pour les droits
spécifiques des peuples indigènes comme le droit à une éducation
interculturelle et bilingue, nous en sommes venus à la mettre en oeuvre
selon deux stratégies : d’un côté, nous avons promu le dialogue direct avec
les gouvernements et, d’un autre côté, nous avons lancé des actions
concrètes pour exiger nos droits
Si le mouvement indigène a beaucoup progressé ces dernières années, on le
doit à l’effort que nous avons fait pour renforcer les alliances avec
d’autres sec-teurs sociaux, indigènes et non indi-gènes, secteurs qui
vivent des situations similaires de pauvreté et d’exclusion
Nous avons ainsi progressé peu à peu, franchissant un échelon après
l’autre, avec beaucoup d’effort et de travail
Sans vouloir méconnaître la diversité des luttes et des avancées de chacune
Les revendications des peuples indigènes ne sont plus centrées sur les
seuls besoins de survie : elles s’expriment désormais sous forme de
propositions concernant l’en-semble de leurs droits humains ainsi que la
réorganisation des sociétés dans lesquelles ils vivent. Tel est le point de
vue développé dans cet article de Blanca Chancoso, Kichwa équatorien,
membre du Conseil politique de la Confédération des peuples de nationalité
kichwa d’Équa-teur (ECUARUNARI) et ancien dirigeant de la Confédération des
nationalités indigènes d’Équateur (CONAIE). Ce texte est paru dans
ALAI/America latina en movimiento, 30 avril 2002
(9).des organisations indigènes du conti-nent, je crois qu’il est important
de sou-ligner l’apport du mouvement indigène d’Équateur qui est peut-être
l’un des plus organisés. Depuis 1988, la Confédération des nationalités
indi-gènes d’Équateur (CONAIE), a toujours soutenu comme l’une de ses
principales revendications la nécessité de recon-naître un État
plurinational, proposition qui implique que l’on débatte, avec l’en-semble
de la société nationale, du systè-me, des structures et de l’administration
de l’État " démocratique ", qui est en réalité assez dictatorial
Cette revendication signifie qu’il faut construire une nouvelle structure
politi-co- administrative décentralisée, cultu-rellement hétérogène et
ouverte à la représentation spécifique et participati-ve de toutes les
nationalités indigènes et des secteurs sociaux, de ceux qui ont été
marginalisés et exclus de la structure de l’État et du schéma de
développement socio-économique en vigueur. En défi-nitive, il s’agit d’une
revendication dans laquelle on exige un pays fait de tous et fait pour tous
et toutes, ce qui implique que soient repensés les concepts d’État, de
développement et de citoyenneté
Cependant, notre lutte et nos positions n’ont pas toujours été entendues.
C’est pour cela que nous avons encore une série de défis pour l’avenir
Toujours invisibles
De fait, nous, les peuples indigènes, nous n’avons toujours pas de
visibilité dans le monde dans lequel nous vivons
Aujourd’hui, nous nous trouvons davan-tage appauvris, avec une forte
migration vers les villes et même en dehors de nos pays d’origine, ce qui a
souvent conduit à une désintégration des communautés et finalement des
familles
D’autre part, nous sommes affrontés à une situation de violence et de
persécu-tion
Tel est le cas du harcèlement per-manent visant à achever l’expropriation
des quelques espaces territoriaux qui nous restent encore, sous prétexte
d’ex-ploiter les mines, oubliant que nous fai-sons nous-mêmes partie de
cette terre et que nous avons aussi des droits. Dans le cas des droits des
peuples indigènes dans le cadre des droits humains univer-sels, voilà près
de 20 ans que nous menons cette discussion et on ne recon-naît pas encore
que nous, peuples indi-gènes, sommes des peuples au sens qu’a ce mot dans
le cadre des droits interna-tionaux : libre détermination, droit à la terre
et au territoire, respect de notre culture et de notre langue. Les
questions relatives aux droits collectifs sont enco-re moins reconnues
J’ai parfois l’impression que nous sommes des " proies désirées ", mais ce
n’est pas pour nous inclure, c’est pour nous éliminer. Pour cette raison,
nous sommes prêts à faire avancer notre lutte pour la reconnaissance de
notre identité et de nos droits, et parce que nous sommes opposés à ce
qu’implique pour nous la mondialisation
Nous considérons que la mondialisation est porteuse d’un projet
d’intégration qui se manifeste dans des propositions comme celle de la Zone
de libre échan-ge des Amériques (ZLEA), c’est-à-dire l’intégration à
travers le libre marché
Ceci représente une menace au droit à la différence, à la diversité, à la
pluralité
Le mouvement indigène a justement insisté, dans ses prises de position, sur
la nécessité pour les gouvernements de reconnaître et de revendiquer la
plurali-té, parce que c’est la seule façon de vivre ensemble sous le signe
du respect mutuel. Reconnaître la diversité qui caractérise nos sociétés
est l’unique manière de promouvoir la participation directe de tous les
secteurs et, finale-ment, de conduire à une véritable démo-cratie
Nous recherchons l’unité dans la diversité, bien que nos propositions
n’aient pas toujours été comprises
Quelques rêves et défis
Parmi nos défis dans cette société globa-le, nous peuples indigènes avons
des objectifs qui peuvent peut-être être considérés comme utopiques parce
que nous cherchons à construire une société humaniste, solidaire,
communautaire, véritablement démocratique, reconnais-sant la pluralité.
Pour atteindre tout cela, la route est longue devant nous
Pour atteindre ces objectifs, nous croyons qu’il est important d’être plus
solidaires, d’échanger nos expériences de lutte, de profiter des espaces
interna-tionaux pour présenter nos propositions et, surtout, unifier nos
efforts avec d’autres groupes sociaux comme la population afro-américaine,
les paysans, les femmes, les petits commerçants et autres secteurs qui,
sans être nécessaire-ment pauvres, sont conscients de la nécessité du
changement
Ainsi, par exemple, nous croyons qu’un des grands défis que nous avons
devant nous est en relation avec le Plan Colombie, qui n’est pas seulement
une affaire intérieure de la Colombie et qui n’a pas à voir uniquement avec
la gué-rilla et le narcotrafic. Le Plan Colombie, du moins en Amérique du
Sud, a à voir avec la défense de la souveraineté de nos pays, la dignité
des peuples et notre vie à tous, et tout ceci en pensant à l’avenir et non
pas seulement au présent
Un autre défi consiste à unifier nos efforts contre la ZLEA et nous devons
pour cela – et déjà nous le faisons – pré-parer une proposition conjointe
pour l’avenir. Au coeur de la lutte contre la ZLEA il s’impose de veiller à
la vie de nos peuples en défendant les marchés locaux et les formes de vie
des petits producteurs, l’environnement et les res-sources naturelles. En
définitive, la lutte contre la ZLEA est un appel au droit à la différence,
à la diversité et à la pluralité
J’insiste sur le fait que nous ne pouvons pas mener seuls cette lutte. Le
mouve-ment indigène, et aucun mouvement social contemporain, ne peut être
exclu-sif mais doit renforcer les alliances et établir des consensus avec
d’autres sec-teurs sociaux pour que nous qui avons été exclus nous nous
transformions en une majorité et affrontions ainsi l’injus-tice
Traduction DIAL
https://www.alainet.org/fr/articulo/106224?language=en
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