La phase démentielle du totalitarisme néolibéral
06/08/2014
- Opinión
Il ne faut pas être un grand expert pour voir que ces derniers mois, et d’une manière de plus en plus accélérée, l’impérialisme US et ses alliés de l’OTAN essaient de créer toutes les conditions pour transformer les relations internationales en un nouveau théâtre de confrontations en vue de maintenir le déjà controversé système international unipolaire et l’hégémonie néolibérale.
Il y a à peine trois ans, quand a pointé à l’horizon la multipolarité avec les efforts de création de l’UNASUR et de la Communauté des États Latinoaméricains et Caribéens (CELAC), avec la Russie en essayant de consolider une région eurasienne, et les BRICS en explorant une alternative à la tyrannie néolibérale, l’impérialisme s’est jeté dans la création de nouveaux foyers de tension, intervenant en Libye – qui à cette époque était un pays clef de la nécessaire intégration africaine, en Syrie et dans d’autres pays d’Afrique, et a relancé avec vigueur la subversion dans plusieurs pays latinoaméricains.
Dans la deuxième moitié de 2013, alors que redoublait l’agression interventionniste en Syrie - le dernier grand pays du Monde Arabo-musulman avec un système où coexistaient divers peuples, cultures et religions- la Russie, dans le cadre de la réunion du G20 à Saint-Pétersbourg et grâce à la lettre du Pape Francisco, a introduit le sujet de la Syrie, menacée de bombardements aériens par les États-Unis d’Amérique (EU) et les pays de l’Union Européenne (UE) pour l’usage supposé et inventé d’armes chimiques par le gouvernement syrien, et a mené une négociation délicate pour freiner la menace de bombardements en échange de la sortie de l’arsenal chimique de la Syrie et de sa destruction.
La position ferme russe dans le cas de la Syrie, qui a disposé de l’appui de la Chine et de la majorité des pays du monde, a montré pour la première fois qu’existaient des forces capables dans la scène internationale de mettre une limite ou un terme au système unipolaire créé par les USA depuis la chute de l’Union soviétique, et de commencer le rétablissement d’un ordre multipolaire, quelque chose qui pour l’impérialisme signifierait le début de la fin de son projet d’hégémonie néolibérale totale.
Ce n’est pas en vain que dès 2013, et en particulier pendant la première partie de 2014 - quand la CELAC s’est formée, et avec la perspective de la rencontre au sommet au Brésil, quand les BRICS ébauchent leurs intentions de créer des instruments financiers pour se libérer du dollar- que directement ou à travers ses vassaux locaux, les Etats-Unis et leurs alliés ont redoublé leurs tentatives subversives au Venezuela et ont accru la déstabilisation politique, financière et économique dans d’autres pays latinoaméricains.
C’est dans cette perspective de déstabilisation, en particulier du gouvernement de la présidente Cristina Fernández, que la décision et tout ce que fait le juge Thomas Griesa de New York pour favoriser les « fonds vautour » jour un rôle important : cette décision constitue une nouvelle arme du système judiciaire US pour soumettre les pays débiteurs, qui sont en majorité dans le monde, à une loi US qui est toujours interprétée de manière à satisfaire le grand capital.
Et depuis un janvier dernier l’impérialisme néolibéral a mis en action les forces qu’il finançait depuis des années, dont les ultranationalistes et néonazis, pour créer un dangereux foyer de tension permanente en Ukraine, « porte d’entrée » de la Russie.
Le rejet du président constitutionnel Víctor Yakunovich d’une intégration avec l’Union Européenne, qui signifiait la désindustrialisation du pays, a lancé l’opération pour le renverser et pour le remplacer par une personne qui accepterait, comme c’était le cas et très rapidement, la dictat de Washington, du FMI et de l’OTAN, en détruisant à coups de canon et de bombardements l’opposition interne à l’est du pays, avec la claire tentative génocidaire d’éliminer la population russophone, comme l’ adit à la télévision un « journaliste » ukrainien [1], et ainsi récupérer leurs terres. Il n’a pas dit, mais on peut deviner, qu’une fois « nettoyés » des « gens inutiles » ces territoires serviraient à installer des armements offensifs de l’OTAN et créer une menace constante directe à la sécurité de la Russie.
Pour lancer la croisade récente contre la Russie, comme l’a dit le ministre des Affaires étrangères de Moscou, Sergei Lavrov, « si cela n’avait pas été l’Ukraine, je vous assure, tout autre aspect de la politique intérieure ou extérieure de la Russie leur aurait servi de raison ». Lavrov a regretté que les bonnes intentions exprimées par des « associés occidentaux en Europe » ne résistent pas à l’inertie de la Guerre Froide qui cherche à « mettre tous les Européens sous le toit de l’OTAN et faire qu’ils s’adressent à la Russie avec un ton sévère ». Cette myopie politique, a-t-il ajouté, est basée sur l’intention d’imposer leur volonté à tout prix, d’adopter des sanctions contre ceux qui sont en désaccord et de faire des représailles contre ceux qui sont pour « l’indépendance et qui n’acceptent pas d’obéir à l’ordre mondial unipolaire » [2]. Cet ordre unipolaire permet aux Etats-Unis et ses alliés l’impunité criminelle qui s’est manifestée dans une énième fois dans l’agression par des bombardements et les forces terrestres qui ont tué près de deux mille personnes, dans la bande de Gaza. Israël agit impunément grâce à l’appui politique, diplomatique et les armes et les renseignements étasuniens, comme le confirment les documents révélés récemment par l’informateur Edward Snowden et publiés par le journaliste Gleen Greenwald [3].
La loi américaine doit prévaloir.
Les États-Unis d’Amérique, dont l’existence n’a jamais été menacée par aucune guerre en dehors de la guerre de Sécession, ne possède qu’une définition idéologique de ses ennemis : ceux qui n’aiment pas le mode de vie US, là où ils se trouvent, affirmait en 2005 l’historien Eric Hobsbawm lors d’une conférence à l’Université de Harvard dédiée à souligner les différences entre l’hégémonie US et l’autrefois hégémonie britannique.
Cet historien a argumenté que la Grande-Bretagne, comme son hégémonie ne dépendait pas de sa puissance impériale mais de son commerce, s’est adaptée plus facilement aux échecs politiques, comme elle l’avait déjà fait quand elle a connu son plus grand échec politique, avec la perte de ses colonies en Amérique. Et ensuite il a rappelé que pendant la Guerre Froide la croissance des entreprises US dans le monde a été faite sous le parrainage du projet politique US, dans lequel se seraient identifiés nombre de grands patrons ainsi que la majorité des Usaméricains. En échange, compte tenue de son hégémonie mondiale, la conviction de Washington de ce que la loi américaine doit prévaloir dans les relations des Usaméricains avec le monde, a acquis une force politique considérable.
Et Hobsbawm finit la conférence par une question dont la réponse est maintenant évidente : « les Etats-Unis d’ Amérique retiendront-ils cette leçon ou céderont-ils à la tentation de maintenir une position qui s’érode en s’appuyant sur la force politico-militaire, engendrant ainsi, non l’ordre mondial mais le désordre, non la paix mondiale mais la guerre, non l’avancée de la civilisation mais celui de la barbarie ? » [4]
Maintenant une promenade par la réalité et le réveil de « l’intelligence sociale »
Par sa nature, qui implique de « désencadrer » l’économie capitaliste de la société et mettre l’État au service exclusif des grands intérêts économiques, financiers et commerciaux, l’impérialisme néolibéral n’a pas d’autre alternative que de détruire toute forme de démocratie et de souveraineté populaire et nationale. Son unique option est le totalitarisme. L’intellectuel hongrois Karl Polanyi, historien de l’économie, considérait l’idée des « marchés autorégulés » au niveau mondial – le néolibéralisme - comme une utopie dangereuse, et déjà en 1945 il remarquait que les Etats-Unis avaient le soubassement historique et idéologique pour essayer de le réaliser [5]
L’utopique mission du néolibéralisme est d’instaurer un régime universel basé sur les lois US, comme nous le rappelle Hobsbawm, et pour cela il doit obtenir que les États souverains cèdent leur souveraineté, acceptent d’appliquer la loi US (n’est-ce pas ce que Griesa exige ?) et abattre les barrières nationales, pour ainsi devenir des États garants d’un système au service exclusif des intérêts économiques représentés dans les oligopoles financiers, industriels, commerciaux, miniers, agroalimentaires, dont les maisons mères sont aux Etats-Unis d’Amérique, dans l’Union Européenne, au Japon, au Canada et d’autres pays de l’orbite impériale.
Un tel système n’admet pas d’alternatives socio-économiques, quelles soient nationales ou régionales et qu’elles se basent ou non sur le capitalisme, qu’elles impliquent l’intervention active des États, les degrés de planification socio-économique et que les peuples à travers des organismes politiques et sociaux, agissant en démocratie, prennent des décisions souveraines pour défendre des intérêts légitimes populaires et nationales.
C’est précisément parce qu’il ne peut tolérer aucune compétition provenant d’autres alternatives socio-économiques, puisque il n’a absolument rien de positif à offrir aux peuples, que le néolibéralisme a pu se déployer dans toute sa dimension à partir de la chute de l’Union soviétique, quand s’est aussi effondré l’ordre mondial multilatéral, qu’il a été appliqué avec un acharnement particulier en Russie et dans les autres ex-pays socialistes.
L’une des raisons pour lesquelles l’impérialisme néolibéral s’est jeté dans ce qui semble une course débridée pour imposer son dictat au niveau mondial, c’est que dans deux régions très importantes, l’Amérique Latine et l’Eurasie, des mouvements d’intégration économique, commerciale, financière et jusqu’à monétaire ont été lancés. Et que ces initiatives – qui incluent le BRICS en tant mécanisme de communication entre ces régions - ont reçu de nouvelles impulsions politiques et avancent vers la création de mécanismes pour fonctionner sans subordination au système néolibéral. Pour le projet impérial US, qui cherche à soumettre tous les peuples, ces initiatives régionales doivent être détruites.
Le membre de la Cour suprême argentine Raúl Zaffaroni, après avoir répondu à la question de Página/12 sur la réflexion que lui inspire, en tant que juriste, et non comme membre de la Cour, la situation qu’imposent les « fonds vautours », a répondu « je vois cela avec un peu de peur. Pour dire la vérité, avec beaucoup de peur. Comme le dirait [Eduardo] Galeano, tout semble les quatre fers en l’air. Si nous amenions quelqu’un qui avait dormi durant quelques décennies, il ne comprendrait rien. J’ai peur pour le monde, c’est vrai. Le pouvoir politique, celui des États, est dépassé par le pouvoir économique des oligarchies, de petits groupes de personnes qui manipulent à leur goût les médias et le pouvoir économique (…) Je le dis plus clairement : il y a toujours eu et c’est inévitable qu’il y ait des liens et des accords entre les pouvoirs politiques et économiques, mais maintenant le premier tend à disparaître ou à être complètement manié par le deuxième transnationalisé ».
Plus loin, et après s’être demandé pourquoi nous nous trouvons aujourd’hui dans une telle situation, le ministre Zaffaroni répond que « c’est la deuxième partie de la question et à propos de laquelle nous devons penser à l’avenir. Nos propres gouvernements ont cédé la souveraineté nationale, en assujettissant à un tribunal provincial étranger (dans le cas du juge de New York, Thomas Griesa) et à une Cour suprême qui déclare n’être pas intéressée, en faveur de quelques spéculateurs qui ont la capacité de payer les avocats et de faire du lobby (…) Je crois que la première chose que nous devons faire pour l’avenir, c’est de réformer la loi et de déclarer imprescriptible une gestion frauduleuse qui porte préjudice aux intérêts nationaux dans toute négociation internationale qui compromet substantiellement l’économie nationale. Je sais qu’ils me mettront n’importe quel affiche pour disqualifier cette opinion, mais le monde pénal international pense ces choses depuis un certain temps » [6]
Le même 3 août dans Página/12, et peut-être comme preuve de ce que se forme cette « intelligence sociale » dont parlait Karl Marx, le philosophe José Pablo Feinmann commence son article en soulignant que « Le capitalisme de ces dernières décennies a évolué de manière vertigineuse », description avec laquelle beaucoup d’analystes et journalistes sommes d’accord, et ensuite ajoute que « l’Empire est l’Empire et il ne parle pas les dialectes, ne respecte pas l’autonomie des « pôles », en finit avec les identités nationales, les Etats nationaux, l’OTAN, l’orgueil des Européens et avec la vie des Irakiens et de tous ceux qui s’opposent à lui. Il n’y a pas de politique multipolaire. Le capitalisme est un système totalitaire. Il l’est depuis 1492, depuis ses origines, et il l’est aujourd’hui plus que jamais du fait de la grande révolution de notre époque qui n’est pas celle du prolétariat marxiste, mais, une nouvelle fois, celle du bourgeois conquistador : celle de la communication. » [7]
Tout ce qui précède me paraît remarquer que le combat contre l’impérialisme néolibéral est le principal travail, et c’est un travail urgent parce que dans sa tentative totalisatrice il est arrivé à une phase démentielle et mortelle pour nos sociétés et la planète. Et juste quand je terminais cet article j’ai lu l’analyse éclairante du philosophe Fernando Buen Abad Domínguez, « la Multipolarité oui, mais anticapitaliste », dont je reproduis une petite partie : « Mais le danger de la confusion (jusqu’à bien ne pas savoir de quelle « multipolarité » nous parlons ou parle chacun) n’annule pas la nécessité de casser la domination de l’empire yankee. Cela n’implique pas non plus annuler - ou diaboliser - toute initiative, même partiale qui permette d’avancer vers la souveraineté concrète pour les peuples. Il faut seulement nous assurer que de telle avancées se dirigent vers là où les peuples commandent et que n’apparaissent pas les pirates réformistes qui détournent toujours les chemins et les sentiers vers leurs royaumes bureaucratiques infestés de dirigeants asservis au capitalisme. La grâce réside de ne pas tomber dans les pièges sémantiques des bourgeoisies. La grâce est de ne pas se faire d’illusions sur une tromperie, de être esclave d’elles. Cette erreur nous a beaucoup coûté. » [8]
* Alberto Rabilotta estjournaliste argentino-canadien.
https://www.alainet.org/fr/articulo/102240
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