Création d'un réseau sud-américain de défense des migrant(e)s, des réfugié(e)s et des déplacé(e)s
16/08/2002
- Opinión
La Première Rencontre Sud-américaine de la Société Civile sur les Migrations, qui
s'est tenue à Quito du 14 au 16 août, s'est conclue par la création d'un réseau qui
travaillera pour les droits des migrant(e)s, des réfugié(e)s et des déplacé(e)s. Le
réseau, qui se constitue en un espace de dialogue, d'articulation et de renforcement
des secteurs de la société civile qui travaillent autour du thème de la migration, est
composé de 75 organisations de 14 pays.
Les représentant(e)s de la société civile ont analysé durant trois jours la situation des
personnes qui vivent en dehors de leur pays d'origine, ainsi que les politiques
migratoires et les accords bilatéraux signés par les gouvernements. Finalement, ils
ont établis une liste de demandes et de propositions pour les gouvernements, la
société civile, les organismes financiers internationaux et les médias. Ces demandes
ont été reprises dans la Déclaration de Quito : Migrations, Démocratie,
Développement et Droits Humains, qui permet d'aborder la question migratoire dans
une perspective large et en relation, non seulement avec les questions économiques
et juridiques, mais aussi avec la démocratie, le respect de la diversité culturelle et les
droits humains.
La Déclaration de Quito a été présentée aux vice-ministres des Affaires étrangères
sud-américains qui se sont réunis aux mêmes dates dans la capitale équatorienne,
pour la IIIè Conférence Sud-américaine sur les Migrations. Le document élaboré par
les représentants d'organisations de droits humains, de l'église, de familles de
migrants et de centres académiques, insiste pour que les gouvernements sud-
américains ratifient et intègrent dans leur législation nationale les traités
internationaux de protection des migrant(e)s, des réfugié(e)s, des déplacé(e)s, de
ceux et celles qui reviennent et de leurs familles, en particulier la Convention
Internationale sur la Protection des Droits de tous les Travailleurs Migrants et de leurs
Familles.
La nécessité de ce que les gouvernements garantissent la migration inter-régionale
dans les pays de l'Amérique du Sud en autorisant la libre circulation des migrant(e)s
et de leurs familles, est une autre proposition inclue dans la Déclaration de Quito. Cet
aspect était également à l'ordre du jour des gouvernements sud-américains et ils y
travaillent. Cependant, il s'agit d'une question qui n'est pas facile à aborder puisqu'il
faut aujourd'hui faire face à la réalité de milliers de déplacés et de déplacées du fait
du conflit interne colombien.
Selon les organisations de droits humains qui ont participé à la Rencontre de la
Société Civile, il y a, en Colombie, environ mille déplacés par jour (un peu plus de
100.000 jusqu'en mars 2002, selon la Pastoral Social Colombiana). Beaucoup
parmi eux passent les frontières quotidiennement -surtout celles de l'Equateur et du
Venezuela- mais sans aucune protection ou sécurité que ce soit, et ils sont bien
souvent l'objet d'une stigmatisation de la part des populations d'accueil.
Ces thèmes et d'autres, relatifs au phénomène migratoire, continueront d'être
débattus au sein du réseau sud-américain, dont les représentants se réuniront de
nouveau l'année prochaine au Paraguay. Dans l'immédiat, le réseau Equateur a été
désigné comme lieu de coordination et d'organisation de cette prochaine rencontre
régionale.
Convergences et différences entre gouvernements et société
civile
Les gouvernements et les représentants de la société civile sud-américaine ont été
d'accord pour donner la priorité sur leurs ordres du jour au problème de la circulation
des personnes et du respect des droits humains des populations migrantes. De plus,
ils ont convenus de la nécessité d'harmoniser les législations des pays sud-
américains en matière de migration. Le besoin de créer un observatoire sud-
américain des migrations, qui promeuve l'élaboration de mécanismes d'information
adéquats et un système de veille permanente, est un autre point en commun.
Bien qu'il y ait convergence de vue sur de nombreux thèmes, beaucoup de
représentants de la société civile se sont montrés critiques vis-à-vis de l'attitude des
gouvernements sud-américains, car ils considèrent qu'il n'y a pas eu de volonté
suffisante pour adopter des politiques publiques face à la question de la migration.
C'est pourquoi la Déclaration de Quito signale que, malgré les résolutions adoptées
lors de la IIè Conférence Sud-américaine sur les Migrations, il y a un an, les avancées
vers le respect de ces engagements ont été très lentes.
De la même façon, ceux qui ont participé à la Première Rencontre de la Société
Civile sur les Migrations ont mis en question le fait que la société civile soit exclue
des rencontres officielles qui analysent le phénomène migratoire, et ont demandé la
création d'espaces de rencontre entre les gouvernements et les organisations non
gouvernementales. Pour sa part, la Déclaration Finale des gouvernements reconnaît
la participation des institutions religieuses et des ONG sud-américaines et propose
d'inviter leurs représentants à la prochaine réunion des vice-ministres des Affaires
étrangères qui se tiendra en 2003 en Uruguay.
Pour des représentants comme Jorge Rojas, de la Consultation pour les Droits
humains et le Déplacement, de Colombie, la vision qu'ont les gouvernements sur la
question des migrations est, dans de nombreux cas, radicalement opposée à celle
que défendent les représentant(e)s de la société civile. Rojas explique que les
gouvernements essayent d'administrer de façon bureaucratique ce qu'ils considèrent
comme un problème, alors que la société civile persiste à voir les migrant(e)s non
seulement comme sujets de droit, mais aussi comme participants des processus de
construction de la richesse sociale, culturelle et économique.
De même, les représentants de la société civile ont mis l'accent sur l'analyse des
causes de la migration et ont fortement mis en question les modèles de
développement économique adoptés par les gouvernements sud-américains,
modèles qui ont accru la pauvreté, la discrimination et la violence et par là ont forcé
de nombreuses personnes à quitter leur pays. La Déclaration de Quito relève que le
Plan Colombie a provoqué la militarisation des frontières de nombreux pays voisins
et a augmenté le nombre de déplacés. Les initiatives pour créer une Zone de Libre
Echange des Amériques (ZLEA) ont également été mises en question en
considérant qu'à la mettre en place « on court le risque de générer un plus grand
appauvrissement et d'accentuer l'inégalité entre classes sociales ».
De leur côté, les gouvernements sont plus brefs pour identifier et analyser les causes
de la migration ; ils se contentent de souligner qu'il existe une corrélation entre
pauvreté et mobilité migratoire.
Le fait que les politiques migratoires des Etats-Unis et de l'Union Européenne se
durcissent, surtout depuis les événements du 11 septembre et les accords du
Sommet de Séville en juin dernier, est un thème qui a été discuté aussi bien dans la
Rencontre de la Société Civile que dans le Sommet des vice-ministres. Les
gouvernements et la société civile s'accordent sur le fait que ces politiques
restrictives ont pour conséquence l'augmentation des flux migratoires illégaux et le
développement par des groupes sans scrupules du trafic d'hommes et de femmes
migrants.
Face à cette réalité, les gouvernements sud-américains ont reconnu le caractère
indispensable d'une co-responsabilité de la migration entre les pays d'origine et les
pays de destination ; la responsabilité partagée dans la lutte contre le trafic de
personnes et la responsabilité internationale face au phénomène des réfugiés.
La réalité migratoire en Amérique Latine
On estime que quelques dix millions d'hommes et de femmes d'Amérique Latine
vivent hors de leur pays de naissance. La plus grande partie émigre vers les Etats-
Unis. La migration inter-régionale est moindre et, bien qu'elle ait baissé encore plus
ces dernières années du fait de la crise à laquelle est confrontée la région, on peut
dire que jusqu'aux années 90, l'Argentine était le pays qui recevait le plus grand
nombre d'immigrant(e)s latino-américain(e)s, alors que le Pérou, la Bolivie et la
Colombie étaient les pays les plus « expulseurs » de population.
Aujourd'hui, quelques quinze millions de migrants d'origine hispanique vivent aux
Etats-Unis ; auxquels s'ajoutent plusieurs millions de migrants « sans papiers »,
principalement mexicains.
Pour Amy Gottlieb, de l'American Friend Service Comitee (AFSC), une ONG nord-
américaine, il existe bien aux Etats-Unis des problèmes de préjudice envers les
migrant(e)s latino-américain(e)s, bien qu'il fasse observer qu'il s'agit d'un problème
difficile à résoudre pour autant « qu'on ne peut légiférer sur l'amour du prochain ».
Gottlieb, qui a participé à la rencontre de la société civile, signale que le contexte
migratoire aux Etats-Unis a changé depuis le 11 septembre, mais il explique que les
changements ont eu lieu non pas du fait de nouvelles lois, mais du fait de lois déjà
existantes qui n'étaient pas appliquées jusqu'alors. Par exemple, il fait état d'une loi
qui date de 50 ans et qui exige des étranger(e)s qu'ils signalent tout changement de
domicile dans un délai de 10 jours. Cette loi qui n'était pas appliquée est aujourd'hui
mise en pratique avec l'avertissement que tout étranger qui y déroge court le risque
d'être expulsé, y compris ceux qui sont en situation régulière.
Traduit de l'espagnol par ALAI.
https://www.alainet.org/fr/articulo/108208