Pourquoi rechercher le temps perdu ?

08/06/2014
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Doucement, la quête de mémoire prend corps en Haïti, meurtrie par des expériences autoritaires, dont une sanglante dictature de 29 ans, celle des Duvalier père et fils.
 
L’Université d’État, à travers l’École normale supérieure, vient d’initier une démarche de réflexion sur les sorties de dictature, avec un colloque international tenu à Juvénat (Pétionville, périphérie est) du 2 au 4 juin. Le thème : « De la dictature à la démocratie ? Transition, mémoire, justice ».
 
Ce colloque a, pour le moins, bousculé la vision routinière en favorisant une production d’idées fraiches sur la problématique en question qui renferme à la fois des dimensions collectives et individuelles.
 
C’est ce que confirme une parente de victime de la dictature duvaliériste, rencontrée par AlterPresse sur les lieux des assises, baignés par un flot d’interrogations de la part d’universitaires, d’experts, d’étudiants et de militants haïtiens et étrangers.
 
Le temps d’un échange autour des « mécanismes de l’oubli », des inquiétudes et des enseignements sont mis en relief.
 
D’abord, précisément en ce qui concerne la dictature des Duvalier, « n’est-on pas en train de noyer la mémoire du duvaliérisme ? », se préoccupe un participant.
 
Le constat est fait qu’il n’y a « pas de mémoire officielle du duvaliérisme » qui a enveloppé Haïti d’un manteau de terreur entre 1957 et 1986, laissant une blessure toujours ouverte après avoir anéanti des milliers de vies.
 
« Il a fallu le retour de Jean-Claude Duvalier pour mettre en branle la mémoire », regrette un autre. « Pourquoi si tard ? La peur ? », s’interroge-t-il.
 
Revenu en Haïti le 16 janvier 2011 après un exil de 25 ans en France, l’ancien tyran avait dirigé Haïti d’une main de fer à partir de 1971, après avoir hérité du régime de son père François.
 
Haïti entreprend actuellement une procédure judiciaire contre Duvalier pour crimes contre l’humanité et détournements de fonds publics, alors que des tentatives de réhabilitation de l’ancien dictateur sont observées.
 
C’est une voix étrangère qui souligne « une sorte de catastrophe de la mémoire » là où éventuellement il faut parler de « la mémoire de la peur ».
 
C’est dans le sang que l’armée noie, le 26 avril 1986, une tentative citoyenne de rappeler la sanglante répression du 26 avril 1963. Les militaires massacrent des manifestants devant le Fort-Dimanche (une prison politique sous le régime), symbole de l’ère Duvalier, non loin du bord de mer de la capitale.
 
Au gré des exposés, on capte des concepts qui interpellent. « Mémoire dominante, mémoire minorée », suivant la décantation d’Edelyn Dorsmond, professeur à l’Université d’Etat d’Haïti. « Mémoire anesthésiée, fragmentée, éclatée », suivant Jerry Michel, doctorant en sociologie à l’Université Paris 8, qui pose la question du « lieu de mémoire ».
 
« Mémoire et lieu entretiennent des rapports intimes ». Or, « les ruines de la dictature des Duvalier n’ont pas été sauvegardés ».
 
La mémoire est vue comme un parcours personnel en interaction avec la société. « Dire je me souviens est le début d’une réécriture de soi », avance Jerry Michel.
 
Pourtant, « le néant guette des blocs entiers de passé », alerte Christophe David, maitre de conférence à l’Université de Rennes, en évoquant le philosophe allemand Gunter Anders.
 
Il faut donc, comme le souligne un participant, « une politique publique de la mémoire en Haïti ». Sans quoi, le pays « ne peut pas s’en sortir ».
 
« La mémoire n’est pas une finalité en soi », prévient le professeur David.
 
Il rappelle que les Allemands doivent éprouver du remords à propos du camp de concentration d’Auschwitz, mis en place dans les années 40 par les Nazis, que les Américains doivent avoir un problème de conscience vis-à-vis d’Hiroshima, où ils ont effectué des bombardements atomiques en aout 1945.
 
La reconstruction suite à ce genre de folie meurtrière commence par le « remords », soutient Christophe David. « Il faut que les bourreaux disent ‘je regrette’ ou que leurs descendants disent ‘j’ai honte’ ».
 
lundi 9 juin 2014
 
 
https://www.alainet.org/es/node/86404?language=en
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