La classe politique, la société civile et les parjures (1 de 2)

15/08/2013
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Les pans du mur du pouvoir de Martelly s’effondrent.
 
D’abord, c’est la publication du rapport de la commission d’enquête du Sénat [1] confirmant la tenue de la réunion anticonstitutionnelle du 11 juillet 2013.
 
Puis, le président Martelly, à travers les recommandations de la Commission Présidentielle pour la Réforme de la Justice (CPRJ), effectue un tour de passe-passe en confiant au Collège Transitoire du Conseil Électoral Permanent (CTCEP) les attributions constitutionnelles du Conseil Électoral Permanent (CEP). Le CEP devient une simple excroissance parasitaire du pouvoir exécutif. Le président Martelly contourne le projet de loi électorale du CTCEP et aussi se met en question lui-même, en revenant à la loi électorale de 2008.
 
Enfin, c’est le refus des principaux partis et organisations politiques tels que MOPOD, FUSION, OPL et FANMI LAVALAS de répondre positivement à l’invitation du président Martelly à la réunion projetée pour le 14 août 2013. Le mouvement de distanciation à l’égard du pouvoir est d’une grande profondeur. De la droite à la gauche en passant par le centre, on observe un phénomène unique dans les annales politiques haïtiennes, celle d’une situation où des formations politiques si différentes adoptent une position commune.
 
La complaisance vis-à-vis du gouvernement ne fait plus recette. Abstraction faite des soirées dansantes à 300 $US le droit d’entrée. Le plein des votes est fait contre le gouvernement Martelly avec l’arrivée d’organisations telles que le Mouvement patriotique de l’opposition démocratique (MOPOD), qui a repris son élan en mettant sous le même parapluie une quinzaine de partis et d’organisations politiques, dont le PNDPH, le RDNP, la KID, le PLH, le PDCH, le PLB, le MOCHRENA, le MRN. L’effacement du gouvernement qui était lent, devient frénétique avec le rapport de la commission d’enquête du Sénat appelant à la mise en accusation du chef de l’État, du Premier ministre et du Ministre de la justice pour crime de haute trahison.
 
La mort de ce pouvoir de parjures est annoncée. Certains sont à genoux et pleurent. D’autres sont couchés à plat ventre et ont peur. Mais un pourcentage non négligeable de la population est debout.
 
Le refus des partis politiques de répondre à l‘invitation du Président Martelly ressemble étrangement aux circonstances dans lesquelles le premier ministre Garry Conille se trouvait en février 2012. 0n se souvient que le premier ministre avait démissionné de son poste par suite du refus des membres de son cabinet de participer à un Conseil de gouvernement qu’il avait convoqué. Le président Michel Martelly réagira-t-il à ce camouflet sonore avec autant d’élégance ?
 
Le refus des partis politiques de répondre à son invitation a un sens profond qu’il importe de bien comprendre et qu’on ne saurait prendre à la légère. Gêne. Méfiance. Fuite. Dans tous les cas de figure, on cherche à l’éviter comme un pestiféré. L’embarras du président Martelly devant la communauté nationale et internationale a de quoi affoler. Pour l’instant, il s’est contenté de renvoyer sine die la réunion avec les partis politiques.
 
Le fait que ces organisations politiques soient arrivées à prendre la même décision sans se consulter entre elles représente un élément de taille. Cela fait penser à l’hologramme où chaque partie contient en elle les informations du tout.
 
En annulant la réunion programmée, le président Martelly a montré que les entités politiques qu’il considérait comme des voleurs de poulets et de cabris, bref des quantités négligeables, sont beaucoup plus déterminantes. Les partis d’opposition n’acceptent pas son langage irresponsable et lui ont demandé de leur présenter des excuses avant toute discussion.
 
Il s’est donc mis, lui-même, dans une impasse et sa prestation à la radio du 14 août 2013 n’a pas été utile, car la crédibilité du personnage est nulle.
 
Situation d’autant plus complexe qu’au même moment, des milliers de personnes protestent dans les rues au Cap-Haïtien, en demandant sa démission du pouvoir.
 
En ce 14 août 2013, le sénateur Jean-Charles Moise était à la tête d’une manifestation, organisée à l’initiative de Base populaire Nord. Cartons rouges à la main, les manifestants criaient : « Martelly est un cadavre politique », et « la destitution et l’arrestation de Martelly sont à l’ordre du jour », « nou vle demokrasi san demagoji », « aba bidjè peze souse ».
 
Un pouvoir pernicieux
 
La société civile a un long chemin à parcourir pour rétablir les valeurs d’éthique et de civilisation.
 
Dans la tradition léguée par Emmanuel Lévinas [2], la minorité, qui n’a pas participé à cette dérive, doit aussi se sentir concernée. Sinon, nous ne verrons jamais le bout du tunnel.
 
Aussi, ne saurions-nous prendre, avec insouciance, l’expérience du gouvernement Martelly-Lamothe, qui se révèle tout aussi pernicieuse que celle des débuts de François Duvalier.
 
La responsabilité recommande d’oser regarder, en face, les fonds d’horreur qui ont conduit la société haïtienne à sa perte de souveraineté et à son immense décomposition d’aujourd’hui.
 
On ne peut qu’être effaré en regardant ce que la maison Haïti est devenue.
 
Nous avons, tous, une part de responsabilité devant une telle dégradation. Une société paranoïaque et anti-institutionnelle a été érigée sous nos yeux, en très peu de temps. Le gouvernement Martelly-Lamothe est cette malédiction ultime, cette punition dont il faudra longtemps encore exorciser les démons. Après ceux du duvaliérisme, du macoutisme, de la chimérisation, des zenglendos, qui ont contraint la grande majorité à se taire et à se boucher les oreilles.
 
Il importe d’approcher la conjoncture avec une éthique de la responsabilité du « un pour autrui », de « la responsabilité pour ce qui n’est pas mon fait, ou même ne me regarde pas [3]. »
 
Nous devons éviter de tomber dans la facilité consistant à refuser de voir notre propre responsabilité, en disant simplement que Martelly nous a été imposé. La classe politique doit assumer ses devoirs dans ce délire qui est devenu une réalité et que notre peuple partage en se déhanchant et en criant des ordures dans les trois carnavals annuels du gouvernement Martelly-Lamothe.
 
En effet, comme l’écrit, dans Les Frères Karamazov, le grand romancier russe Dostoïevski : « Nous sommes tous coupables de tout et de tous devant tout le monde, moi plus que les autres [4]. » La bêtise Martelly-Lamothe est devenue une norme de notre réel. Elle est devenue normale. Tous nos fantasmes de réalisation de soi dans le pouvoir d’État, fantasmes charriés depuis l’esclavage, se sont rencontrés, multipliés et développés collectivement.
 
L’État marron nous a, tous, légué la pulsion suicidaire conduisant à ce gigantesque corbillard qu’est devenue notre république. Avec cette angoisse fasciste dans nos têtes.
 
La beauté de l’enfer
 
Le pays entier place son avenir dans les mains d’un président de la République, présenté comme un chef providentiel. Et ce président est présenté comme un espoir pour les masses. Malgré le fait que tous ses antécédents démontrent qu’il est plutôt un « improvisateur ». Et si on tient compte de sa gestion abracadabrante, un « improvisateur médiocre ». Ou encore « improvisateur présumé assassin » à la lumière du sort cruel fait au juge Jean Serge Joseph.
 
Par déformation professionnelle, Martelly verse continuellement dans le spectacle et l’activisme. C’est ce qui compte pour lui. Il est mû par une incontrôlable bougeotte qui le porte à s’agiter continuellement pour donner l’impression qu’il fait quelque chose.
 
Toutefois, ce sont plutôt des scandales d’un volontarisme avéré qui pavent les chemins tracés par Martelly. De l’arrestation du parlementaire Bélizaire aux fausses écoles du PSUGO ; de la forfaiture du CSPJ à la participation de la Première dame et de son fils dans la gestion des deniers publics ; des attaques contre le pouvoir judiciaire aux activités mafieuses de personnalités liées au pouvoir exécutif ; des faux agents de douane de l’affaire Mòlòskòt à l’assassinat du juge Jean Serge Joseph.
 
La légèreté de ce volontarisme transparait dans ces actions, caractérisées par l’absence de réflexion. Et qui font d’Haïti la « risée du monde », surtout depuis qu’elle a accepté Martelly comme chef d’État, comme l’a fait remarquer le jeune philosophe Faubert Bolivar [5]. Continuation des distorsions introduites par le fasciste François Duvalier en imposant son fils Jean-Claude comme président de la République à 19 ans. La société haïtienne se disloque en silence, sous le poids d’une démagogie et d’une perversion politique défigurant la réalité.
 
L’autre face de la dérive volontariste est la fierté que nous sommes toujours prêts à inventer dans des situations qui appellent plutôt à la honte.
 
Nous ramons dans une Haïti en pleurs et nous en sommes fiers. Nous sommes séparés, divisés dans un océan de multiplications de calamités qui nous forcent à nous identifier à eux. Avec un sentiment d’irréalité, nous croyons trouver le salut dans une fausse fierté. Un voyou adepte du kale wès tout comme un rude professionnel gagnant sa vie à la sueur de son front peuvent être tous les deux fiers d’Haïti. Mais pas pour les mêmes raisons.
 
Le premier trouve son compte dans la situation abjecte du pays, tandis que le second est fier par simple réflexe. Cette seconde attitude provient du fait que l’histoire d’Haïti a traditionnellement été enseignée dans une perspective d’instruction civique plutôt que d’objectivité. Au mieux, il faut être neutre, c’est-à-dire ni être fier ni avoir honte, car nous avons trouvé Haïti comme elle est aujourd’hui avec ses défauts et ses qualités. Il faut être fier de l’héritage qui nous a été légué et avoir honte de ce que nous en avons fait.
 
En ce qui concerne cet héritage reçu, on peut être fier de l’héritage de 1804, tout en ayant honte de la lutte contre la qualité, le bon pa donnen , qui jalonne nos deux siècles de peuple libre. La chute vertigineuse de notre pays vient aussi de l’accent que nous mettons sur la fierté par rapport à ce que nous aurions dû mettre sur la honte. Nou san wont . La faible prise de conscience de notre état social est liée à l’absence de honte.
 
Comme disait Karl Marx, « la honte est déjà une révolution ; [...] La honte est une sorte de colère, la colère rentrée. Et si toute une nation avait tellement honte, elle serait comme le lion qui se ramasse sur lui-même pour bondir [6]. »
 
On ne saurait être fier d’un pays qui collectionne des dictatures depuis deux siècles, qui détruit sa surface végétale à 98%, qui assassine ses meilleurs fils et filles, quand il ne les envoie pas mourir en exil, tels que Dumai Lespinasse, Edmond Paul, Anténor Firmin, Pierre Frédérique, Rosalvo Bobo, Madeleine Bouchereau Sylvain, Marie Vieux Chauvet, etc.
 
C’est justement la fierté d’une pourriture qui bloque nos capacités de révolte pour changer les choses et créer un pays vivable pour tous ses citoyens. Nous ne cessons de cultiver la fierté pour l’absence d’eau potable, des zécoles bolèt, l’insécurité, la concentration du pouvoir à la capitale, la saleté, le brigandage, et enfin le blackout en disant Ban m fè nwa mwen, Ban m blackout mwen tande . Les plumes ont beau se cabrer, elles finissent par se délier d’aise devant la faillite, devant la beauté de l’enfer. En ce sens, la fierté de la mascarade constitue un obstacle, un ballon à crever, pour aller de l’avant. Ce qui demande de se démarquer de toute politique de la débauche.
 
 

Vie privée et politique publique

 
Sur la voie de cette vérité, on ne saurait éprouver aucune fierté à regarder la photo de Martelly presque nu, exhibant ses fesses dans une culotte de femme. Peut-être que Martelly se sent fier dans son érotisme de pacotille, mais il ne saurait le faire valoir à toute la population.
 
Il faut analyser la présidence Martelly à partir d’une problématique de plaisanterie et de comédie. Cette manière de voir empêche de tomber dans la trappe du présidentialisme qui constitue le plus grand piège de notre histoire nationale. Ce qui explique la faiblesse des institutions face à la Présidence.
 
Tout en étant victime de cette trappe, le président Martelly la met à son profit en refusant d’organiser les élections législatives et municipales exigées par la Constitution pour novembre 2011. De toute façon, le comportement qu’il affiche, depuis son arrivée au pouvoir le 14 mai 2011, a porté les observateurs objectifs à ne voir en lui qu’un « mégalomane ». C’est le diagnostic énoncé par le docteur et sénateur Wesner Polycarpe sur les ondes de Radio Kiskeya, le 8 octobre 2012.
 
À cette étape, il importe de clarifier un point fondamental sur les rapports entre morale individuelle et politique. La vie privée de Martelly est son affaire personnelle et il n’est pas question de s’y immiscer, sous aucun prétexte. La préoccupation des démocrates est la politique qu’il mène en Haïti. Le fait que Martelly ait été chassé de plusieurs institutions scolaires ne saurait constituer un argument même accessoire dans la condamnation de ses politiques. Dans sa jeunesse, Winston Churchill a été chassé de nombreuses institutions scolaires, fumait de l’opium et se gavait de whiskey tous les soirs ; pourtant, il demeure le plus grand homme politique de l’Angleterre du 20e siècle.
 
Un autre exemple est celui du président John F. Kennedy, dont l’élection présidentielle a été financée par les réseaux mafieux de Chicago : les Sam Giancana, Jack Ruby, Santos Trafficante, Carlos Marcello. Selon le journaliste et prix Pulitzer, Seymour Hersh, le président John F. Kennedy, affecté d’une érection permanente (priapisme), était quotidiennement ravitaillé en de jolies prostituées par la mafia américaine [7].
 
Pourtant, Kennedy a mené une politique publique correcte et s’est entouré de collaborateurs de haut niveau. Le dictateur François Duvalier a été apparemment austère dans sa vie privée, pourtant il a mené une politique publique des plus réactionnaires. Ce n’est donc pas la nature de la vie privée qui importe. Il s’agit donc de bien comprendre qu’il n’est pas question de s’arrêter aux frasques personnelles de Martelly, même s’il mélange publiquement lui-même sa vie privée et la politique.
 
Le manque à penser d’un mulâtrisme en quête d’essence
 
Dans la réalité haïtienne sortie du noirisme duvaliériste et du mulâtrisme jeanclaudiste, l’acte de voir ne se réalise pas nécessairement, parce qu’on a les yeux ouverts. Nombre de choses restent invisibles pour bien des gens, la plupart du temps. La société haïtienne est dans un état lamentable de servitude à un moment où, après un cycle de carnavals, 2 millions d’Haïtiens sont menacés par la famine.
 
Dans la pendule de malheur du noirisme et du mulâtrisme, ces deux mamelles du néant haïtien, l’alternance constante du passé et du présent ne saurait être dissimulée.
 
Le président Martelly a contourné le tabou du discours noiriste, instauré en 1946, qui veut que le pouvoir exécutif haïtien aille toujours à des Noirs. Mais en même temps, il introduit une lecture superficielle qui ne permet pas de discerner le mensonge de la vérité, la fiction de la réalité, l’essentiel de l’accessoire.
 
L’alternance automatique, du pareil au même, dans le gouvernement Martelly-Lamothe, se donne bonne conscience, en acceptant ce qui l’arrange et en rejetant ce qui lui déplait. Le tout, assaisonné d’une forme de mulâtrisme, dangereuse dans les deux cas.
 
La paresse d’esprit est flattée et encouragée dans un environnement qui privilégie l’émerveillement.
 
Par delà le magma de son indécence personnelle, le président Martelly profite du curieux retournement de situation, offert par sa prise de pouvoir facilitée par le soutien des diplomates américains, puis du groupement INITE de René Préval, après le 14 mai 2011.
 
Mais, s’il a des idées vagues et banales, il comprend très bien l’image claire qu’il projette. Ce que cette image claire a d’essentiel et de spécifique dans les représentations idéologiques et imaginaires haïtiennes. Bien que cette image n’ait plus, comme autrefois, la force du pouvoir, du savoir et de l’avoir.
 
Se trouve ainsi démoli et perverti par le gouvernement Martelly-Lamothe ce qui restait de la fausse projection et des prétentions d’excellence du mulâtrisme déjà révélées par l’ambassadeur américain en Haïti en 1994 comme l’utopie de l’élite moralement répugnante [8] (MRE acronyme anglais).
 
Cette image ne fonctionne plus que par la ruse, en profitant des confusions qui foisonnent dans le milieu.
 
En ce sens, la médiocrité du gouvernement Martelly-Lamothe apporte une dose supplémentaire à la pollution amère du mulâtrisme, qui le mine de l’intérieur et menace de l’achever.
 
L’irresponsabilité devient désastreuse. Le désarroi s’accroît. Ce qui était camouflé est dévoilé [9]. Les représentants de l’élite moralement répugnante, qui avaient applaudi au coup d’État de septembre 1991, ont ouvert une boîte de Pandore et accéléré le déclin éthique.
 
Haïti est enracinée dans le cauchemar de la bamboche, des préjugés et autres passions ataviques. Ce qui ne manquera pas de donner de l’entrain aux forces de la décomposition sociale, fécondes en cette évolution mentale à rebours que nous connaissons depuis. Expression du Pi ta pi tris .
 
Les prestations publiques du couple Martelly-Lamothe cassent tous les symboles du mulâtrisme. Bien des illusions se sont envolées devant les incohérences et erreurs de ce tandem. Par son côté arbitraire et son approche confuse, le gouvernement Martelly-Lamothe expose et accélère la décomposition du mulâtrisme.
 
On n’est manifestement plus au temps où les Solon Ménos, Abel Léger, Roger Corvington, Victor Duncan, etc. occupaient le haut du pavé.
 
La mutation du mulâtrisme se fait dans de nouvelles formes ridicules avec une consistance grossière, un vide à l’intérieur et un mauvais emballage. On est en plein dans le travesti et le vaudeville. Avec toutes les pulsions vulgaires et consternantes. Le mulâtrisme, qui tentait de retrouver son essence pure, sa sensibilité et les prétentions des clairs à dominer, est déçu. Malgré tout, dans la confusion, les élites mulâtristes hésitent à jeter la carte Martelly.
 
Ayant intériorisé leur faiblesse démographique, elles préfèrent vivre leurs légitimes frustrations devant l’amateurisme aux commandes politiques. Elles ne savent pas quoi dire devant les images de débilité du gouvernement exhibées à la télévision, le 4 juin 2013, lors de la séance de convocation du sénat de la République.
 
Aucune lumière n’a émergé de l’obscurité entourant l’utilisation des 5 milliards de gourdes, dilapidées à l’occasion de l’état d’urgence décrété fin 2012. On ne peut être plus clair. D’où leur silence devant l’indignation causée par la mort subite et suspecte du juge Jean Serge Joseph.
 
Curieusement les associations patronales, d’habitude si promptes à réagir, tardent à se prononcer sur la crise nationale majeure, provoquée par le cadavre d’un homme de loi. Les circonstances de ce décès sont révoltantes et indiquent la complicité sous-jacente du chef de l’État, du premier ministre et du ministre de la justice, à partir de la tenue de la réunion illégale et anti-constitutionnelle du 11 juillet 2013.
 
La déchéance haïtienne touche un nouveau palier.
 
La démarche Martelly-Lamothe embrouille plus qu’elle n’éclaircit. Elle permet d’asseoir cette hégémonie, comme le voudrait le duo, après les années du duvaliérisme noiriste et l’intermède mulâtriste jean-claudiste. De recommencer avec la même horreur des politiciens du « totalitarisme à l’haïtienne » [10] comme l’explique l’anthropologue Michel Rolf-Trouillot.
 
Il écrit : « De Toussaint Louverture à François Duvalier, en passant par Dessalines et Salomon, ils misaient tous dans un certain futur clair. Ce n’est pas sans raison que Jean-Claude Duvalier fut mulâtriste dans sa pratique : les présupposés venaient d’en haut. Fou qui croit que Jean-Claude Duvalier trahissait le rêve : C’était ça, le rêve ! [11] »
 
Ce scénario, dressé par Trouillot en 1986, prend de nouvelles dimensions depuis l’accession de Martelly au pouvoir. (à suivre)
 

Leslie Péan

Économiste, écrivain

Source: AlterPresse

 
[1] Rapport final de la commission spéciale d’enquête du Sénat sur la mort suspecte du juge Jean Serge Joseph, 9 août 2013. Voir aussi Haïti-Justice/ Affaire Jean Serge Joseph : La mort du juge, directement liée aux « menaces subies de l’exécutif », Conclusion du rapport de la commission sénatoriale spéciale d’enquête, AlterPresse, 9 août 2013
 
[2] Emmanuel Lévinas, Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, Paris, Le livre de poche, 1978, p. 35.
 
[3] Emmanuel Lévinas, Éthique et Infini, Paris, Fayard, 1982, p. 91.
 
[4] Fédor Dostoïevski, Les Frères Karamazov, Paris, La Pléiade, 1952, p. 310.
 
[5] Faubert Bolivar, « Martelly, président », Le Matin, 5-10-2012.
 
[6] Marx-Engels, Correspondance Marx-Engels, Tome 1, Paris, Éditions sociales, 1978.
 
[7] Seymour Hersh, The dark side of Camelot, Boston, Little, Brown & Company, 1997. Seymour Hersh, La Face cachée du clan Kennedy, Paris, Editions de l’Archipel, 1998.
 
[8] Patrick Cockburn, « Haiti’s elite haunted by fear of revenge », The Independent, UK, July 18, 1994. Lire aussi Arnaud Robert, « Les nantis d’Haïti », Le Monde, Paris, 6 janvier 2012. Ce texte est aussi publié en anglais dans Arnaud Robert, « Haiti’s 1 Percent, look at the lives of plenty in the land of the poor”, Foreign Policy, January 12, 2012.
 
[9] Kenneth Freed, « MREs Falling Hardest in New Haiti : Caribbean : Morally Repugnant Elite are paying for their loyalty to deposed regime with money, homes and freedom », Los Angeles Times, October 22, 1994.
 
[10] « Haiti-Libérée rencontre Michel Rolph-Trouillot », Haiti-Libérée, 17 février 1987, p. 12.
 
[11] Michel Rolf-Trouillot, Les racines historiques de l’État duvaliérien, P-au-P, Deschamps, 1986, p. 136.
 
https://www.alainet.org/es/node/78526?language=es
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