Aides empoisonnées au menu européen

18/04/2011
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En mai 2010, la Commission européenne a créé un Fonds européen de stabilisation financière (FESF), doté de plusieurs centaines de milliards d’euros[i]. Les aides devaient durer trois ans, mais il est déjà certain que ce délai sera dépassé. Elles sont conditionnées à la mise en place, par les pays concernés, de programmes d’austérité censés restaurer leur solvabilité. Le FESF s’inscrit dans un plan d’aide plus large, qui comprend également un financement du FMI à hauteur de plusieurs centaines de milliards d’euros, soumis aux mêmes conditions, dans la droite ligne des plans d’ajustement structurel du FMI imposés depuis les années 1980 aux pays en développement et aux économies issues de l’ex-bloc soviétique. Par ailleurs, la BCE a décidé d’acheter des titres de la dette émis par les pays en difficulté mais, et c’est fondamental, elle fait cette acquisition auprès des banques privées sur le marché secondaire de la dette. Au lieu de prêter directement aux Etats membres de la Zone euro, la BCE prête donc des capitaux au taux de 1% aux banques privées qui ensuite prêtent cet argent aux Etats en difficulté à un taux doublé ou triplé pour les prêts à court terme. Ensuite, la BCE achète auprès des mêmes banques privées les titres des Etats[ii] auxquels elle s’interdit de prêter directement ! Evidemment, il est tout à fait logique de considérer que la BCE devrait prêter à 1% directement aux Etats qui en éprouvent le besoin au lieu de passer par les banques qui font de juteux bénéfices au passage et prennent dans leurs politiques de prêt des risques inconsidérés, que les Etats finiront par assumer à leur place en cas de risque de faillite. Mais il ne faut surtout pas se contenter demander que la BCE prête aux Etats, il faut d’abord et surtout obtenir l’annulation de la partie illégitime de la dette publique et une réduction importante du reste de la dette[iii]. Si on ne donne pas la priorité à cette exigence, le nœud coulant de la dette sera à peine desserré et les populations devront payer les pots cassés de la crise pendant des décennies.
 
Plusieurs dispositions des traités qui régissent l’Union européenne, l’eurozone et la BCE doivent être abrogées[iv]. Par exemple, il faut supprimer les articles 63 et 125 du traité de Lisbonne interdisant tout contrôle des mouvements de capitaux et toute aide à un État en difficulté. Il faut également abandonner le Pacte de stabilité et de croissance. Au-delà, il faut remplacer les actuels traités par de nouveaux dans le cadre d’un véritable processus constituant démocratique afin d’aboutir à un pacte de solidarité des peuples pour l’emploi et l’écologie. Il faut revoir complètement la politique monétaire ainsi que le statut et la pratique de la Banque centrale européenne.
 
L’émission des eurobonds
 
Devant l’ampleur de la crise, les dirigeants européens ont décidé de créer et d’émettre des obligations européennes, des « eurobonds », afin de financer partiellement le Fonds qui fournit des prêts aux pays les plus endettés. Ce mécanisme nouveau permet d’emprunter dans les meilleures conditions sur les marchés en bénéficiant d’une note AAA, équivalente à celle dont disposent l’Allemagne ou la France en 2010. De nouveau, il s’agit d’emprunter sur les marchés, donc auprès des banques privées et autres zinzins, au lieu de financer directement les besoins des pouvoirs publics par la Banque centrale européenne ou les banques centrales des Etats membres.
 
La perspective d’un plan Brady pour les pays européens les plus endettés
 
Au cours de l’année 2010, les dirigeants européens se sont rendus compte que la Grèce, l’Irlande et probablement d’autres pays verront leur situation empirer au cours des prochaines années car un effet boule de neige est enclenché. Bien que ces gouvernements remboursent leur dette, son volume poursuit inexorablement sa hausse à cause de la charge des intérêts et de la faible croissance économique. Le poids du remboursement de la dette deviendra vite insoutenable pour un certain nombre d’entre eux. C’est pour cela que fin 2010, les dirigeants européens ont annoncé qu’à partir de 2013, lors des nouvelles émissions de titres de la dette, des nouvelles règles seront adoptées afin de prévoir la possibilité d’une restructuration de dette avec à la clé une réduction de son montant. A partir de juin 2013 tous les titres émis par les États européens comprendront une « clause d’action collective » indiquant que si un pays en détresse n’est pas en mesure de rembourser sa dette, tous les investisseurs devront se réunir et indiquer comment restructurer la dette et éventuellement la réduire. Ce type de mécanisme avait déjà été débattu au sein du FMI au début des années 2000, dans la foulée de la suspension du paiement de la dette par la Russie en 1998 et par l’Argentine en 2001.
 
Bref, dans les années qui suivront 2013, les prêteurs privés devront s’attendre à une restructuration de la dette des pays concernés, ce qui signifie une réduction de son volume suite à des négociations forcées. Mais que l’on ne s’inquiète pas trop pour les dividendes des principaux actionnaires des institutions privées créancières : entre-temps, les créanciers auront réussi à se faire rembourser des montants tout à fait considérables, tout en réduisant leur exposition aux pays à risque car le FMI, la BCE et la Commission européenne prennent progressivement de plus en plus de place en tant que prêteurs. Patrick Artus, chef économiste de la banque Natixis, fait la même analyse : "Au début de la prochaine décennie, la quasi-totalité de la dette détenue par les investisseurs privés aura été remboursée, et la quasi-totalité de la dette publique des pays en difficulté sera dans les mains des prêteurs publics (Fonds européen de stabilité financière (FESF) et son successeur, Union européenne, FMI...)" (Flash Economie, 24 mars 2011, http://gesd.free.fr/flas1218.pdf ).
 
Au fond, cela rappelle la gestion de la crise de la dette du tiers-monde au cours des années 1980 avec la mise en place du Plan Brady[v]. En effet au début de la crise qui a éclaté en 1982, le FMI et les gouvernements des Etats-Unis, de la Grande Bretagne et d’autres puissances sont venus à la rescousse des banquiers privés du Nord qui avaient pris des risques énormes en prêtant à tour de bras aux pays du Sud, surtout d’Amérique latine (un peu comme dans le secteur des subprimes et à l’égard de pays comme la Grèce, les pays d’Europe de l’Est, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne). Lorsque les pays en développement, à commencer par le Mexique, se sont trouvés au bord de la cessation de paiement, le FMI, les pays membres du Club de Paris leur ont prêté des capitaux à condition qu’ils poursuivent les remboursements à l’égard des banquiers privés du Nord et qu’ils appliquent des plans d’austérité (les fameux plans d’ajustement structurel). Ensuite, comme l’endettement du Sud se poursuivait par l’effet boule de neige, ils ont mis en place le Plan Brady (du nom du secrétaire d’Etat au Trésor états-unien de l’époque) qui a impliqué une restructuration de la dette des principaux pays endettés avec échange de titres. Le volume de la dette a été réduit de 30% dans certains cas et les nouveaux titres (les titres Brady) ont garanti un taux fixe d’intérêt d’environ 6%, ce qui était très favorable aux banquiers. Cela assurait aussi la poursuite des politiques d’austérité sous le contrôle du FMI et de la Banque mondiale. Aujourd’hui, sous d’autres latitudes, la même logique provoque les mêmes désastres.
 
- Éric Toussaint, docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, président du CADTM Belgique, membre du Conseil international du Forum social mondial et de la Commission présidentielle d’audit intégral de la dette (CAIC) de l’Équateur, membre du Conseil scientifique d’ATTAC France, auteur de divers livres sur la dette et les IFIs.
 
Source: CADTM
 


[i] Au départ, il s’agissait de 440 milliards d’euros mais vu la poursuite de la crise et des attaques spéculatives, le montant alloué ne cesse d’augmenter.
[ii] Pour garantir que les zinzins continuent à acquérir leurs titres et tout en leur assurant que la BCE est l’acheteur de dernier ressort.
[iii] Voir Eric Toussaint, Huit propositions urgentes pour une autre Europe, proposition 1, http://www.cadtm.org/Huit-propositions-urgentes-pour
[iv]Voir « 8. Refonder démocratiquement une autre Union européenne basée sur la solidarité » in Eric Toussaint, Huit propositions urgentes pour une autre Europe, http://www.cadtm.org/Huit-propositions-urgentes-pour  
[v] Voir Éric Toussaint, Banque mondiale : le Coup d’État permanent, CADTM-Syllepse-Cetim, 2006, chapitre 15.
 
https://www.alainet.org/es/node/149166?language=es

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