Elections 2011
La morale de l’histoire
10/04/2011
- Opinión
« Quand nous serons tous coupables, ce sera la Démocratie »
Albert Camus, in La Chute (1956).
Albert Camus, in La Chute (1956).
« Yankee de mon coeur qui entre chez moi en pays conquis,…
Yankee de mon coeur j’attends dans ma nuit que le vent change d’aire ».
Anthony Phelps, in Mon Pays que voici (1960)
Yankee de mon coeur j’attends dans ma nuit que le vent change d’aire ».
Anthony Phelps, in Mon Pays que voici (1960)
En 2006 nous avons attiré l’attention des observateurs sur les dangers que représente le réflexe odocratique de notre Président sortant, au moment où il s’évertuait à se faire passer pour l’un des plus grands démocrates d’Haiti. On le savait boulanger, mais il semble que personne ne soupçonnait chez lui cette dextérité à rouler tout le monde dans la farine pour neutraliser, déséquilibrer ou même rendre dysfonctionnelles toutes les institutions du pays. Il a su comment s’y prendre pour empêcher la mise en place des organes des collectivités territoriales, le Conseil Electoral Permanent, le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire, etc. et réduire la Cour de cassation ou le Parlement à l’ombre de lui-même. Il a l’aversion du contre-pouvoir et n’aime écouter que l’écho de sa propre voix. C’est pour cela qu’il ne se sent à l’aise qu’au milieu de flatteurs qui lui chatouillent les oreilles ; qu’ils soient de gauche, de droite ou droite-et-gauche.
Ses actes personnels devront être crédités sans ménagement à son compte afin qu’il n’arrive pas à prendre d’assaut l’histoire et être vu par la postérité pour ce qu’il n’était pas. Les faits abondent pour prouver que l’absence ou le dysfonctionnement des institutions projette le pouvoir décisionnel dans la rue et ceux-là qui en récoltent l’usufruit ne sont nullement des démocrates, mais des odocrates. En bon militant populiste-gauchisant, Monsieur René Préval savait pertinemment ce dont la rue est capable et a façonné exclusivement sa gouvernance sur cette donnée. Se croyant investi de la force de la rue il s’imaginait que tout lui était permis et se laissait aller à la démesure dans tout ce qu’il a entrepris comme démarche politique. Il en est venu à sous-estimer ses adversaires et à les assimiler à de vulgaires objets qu’il peut utiliser n’importe où et n’importe comment. C’est fort de cette image d’homme politique invincible qu’il s’est évertué à réaliser- malgré vents et marées- les récentes élections.
Il vient d’apprendre à ses dépens qu’il se devait d’être humble et de gérer de manière moins égoïste les faveurs que la nature lui a faites. Mais c’est dommage que de petits dirigeants, comme lui, comprennent les choses surtout quand c’est trop tard, c’est-à-dire quand il n’y a aucune possibilité de remédiassions. Il a démantelé les partis politiques et en a récupéré les hommes et les femmes qu’il jugeait aptes à servir ses propres intérêts. Et, poursuivant son rêve fou de se retrouver un jour seul face à son ombre, il en est venu à se méfier même de ceux qui le servent avec la plus grande des docilités. En dépit de tout, nous lui reconnaissons un immense talent de vendeur d’illusions. Et pour cause, jusqu’à présent nous n’arriverons pas à comprendre comment il a pu vendre à la communauté internationale la fiction d’une démocratie sans parti politique digne de ce nom et l’illusion d’une stabilité par la domestication de toute forme d’opposition politique.
Au-delà de l’homme et de sa personnalité politique, il y a aussi les leçons qu’il nous a permis de tirer par les conjonctures qu’il a créées de toutes pièces. Avec lui, on a établi la preuve par quatre qu’il est honteux pour un pays qui se dit souverain de laisser financer ses élections par l’aide internationale. Comme de fait les joutes de 2010-2011 nous ont appris que les bailleurs peuvent s’autoriser le droit de fixer la date des opérations et même d’orienter les résultats dans un sens ou dans un autre.
Avec l’aide de Monsieur Préval, nous avons pu vérifier les propos de Raul Peck (1998) disant qu’à force de pousser à gauche, on peut se retrouver de l’autre coté de l’écran. En effet, notre légendaire Président s’est identifié comme étant idéologiquement de gauche, et pourtant, il a pu – dans une longue foire d’empoignes – se débarrasser de Fanmi Lavalas, de l’OPL, de Konakom, de Panpra, de PLB etc. pour organiser - avec un Conseil Electoral bidon, honni, corrompu et décrié – des élections consacrant (avec un soutien populaire incontestable) la victoire d’une nébuleuse politique de l’extrême droite. D’aucuns disent qu’il s’agit d’un vote-sanction de la classe politique traditionnelle qui s’est accoquinée pendant trop longtemps à tous les dirigeants qui se sont succédés au pouvoir depuis des lustres, au détriment du peuple, et qui se sont montrés incapables de réaliser quelque chose de positif pour le pays. C’est peut-être vrai, car pour qu’il y ait vote d’adhésion il faudrait qu’il y ait au préalable un projet politique rendu public. En tout cas, ce qui est certain c’est que la gauche haïtienne n’a que le Parlement comme base de dernier retranchement et on peut parier gros qu’il y sera traqué avec la dernière rigueur par le camp Martelly. Et, cela dit, il y a lieu de se demander comment ces parlementaires vont faire pour ne pas capituler, s’ils sont privés des ressources financières dont ils se sont régalés au cours des dernières années.
Monsieur Préval, nous a rendu service en facilitant l’irruption de ce Martelly qui nous a démontré que la religion n’a qu’une influence marginale, pour ne pas dire négligeable, sur la vie des haïtien(ne)s ; n’en déplaise à notre admirable et grandissime sociologue Lahennec Hurbon. Même les sermons réalisés avec la plus grande des convictions n’ont pas pu convaincre les fidèles de ne pas voter le chanteur ou d’aller lui administrer un vote-sanction. A l’inverse, les visites systématiques de Madame Manigat ne lui ont pas permis non plus de gagner un appui ferme des hommes et des femmes d’église, elle qui a su faire montre d’une conduite exemplaire en tant que mère de famille et appliquer dans sa vie tous les fondamentaux de l’éthique judéo-chrétienne.
N’eut été Monsieur Préval, on continuerait à se tromper sur la velléité et la force réelle des organisations féministes qui ne se fatiguaient pas de battre la grosse caisse depuis plus de 20 ans en Haiti pour faire savoir que leur plus grand souhait a été d’apporter une femme à la magistrature suprême, fortes de leur poids relatif de plus de 52% dans la société haïtienne. Et puis, quand survint la candidature de Mirlande on les cherchait comme une aiguille dans une botte de foins, on ne les voyait pas. La plupart d’entre elles ont vécu très mal cette expérience et les chroniqueurs ou les animateurs de talk-show s’en donnaient à cœur joie en suivant attentivement ces leaders féministes qui se démarquaient de Mirlande pour aller se jeter « tèt kale » dans les bras de Sweet Micky. Et ce dernier, dans un style « laisser-venir-à-moi », ne demandait pas mieux que de recevoir ces brebis égarées dans son bercail, au grand dam de sa concurrente. Soit dit en passant que les organisations féministes ne sont pas à leur coup d’essai, si l’on se rappelle de leur mutisme révoltant lors du débat sur le salaire minimum, thématique dans laquelle les femmes ouvrières comptaient beaucoup sur leur appui.
Grace à Monsieur Préval, nous savons désormais ce que peuvent faire les proconsuls de la communauté internationale et la bourgeoisie haïtienne quand ils sont mis en difficulté. En novembre 2010, ils ne juraient que par Ti Jude et ayant remarqué que cette carte n’était pas jouable à tous les coups, ils s’en étaient débarrassés avec une aisance étonnante et, sans transition aucune, ils se sont mis à « serrer Micky » et à « assurer Micky », comme pour permettre à Martelly d’entrer dans l’histoire comme un grand « bouffeur » de bourgeois et de diplomates, en plus d’être un bouffeur d’organisations féministes et religieuses.
Somme toute, même s’il appartient à tout(e) haïtien(ne) de donner son opinion sur Monsieur Préval, cet homme de Marmelade qui a dirigé le pays pendant 10 ans, nous devons tous laisser à l’histoire le soin de le juger et de prononcer un verdict à son endroit. Dans un délai pas trop lointain, il aura à passer l’écharpe présidentielle au cou de son successeur Michel Martelly, ce dernier le remerciera peut-être à sa manière…
- Gary Olius est économiste, spécialiste en administration publique. golius_3000@hotmail.com
Source: AlterPresse
https://www.alainet.org/es/node/149014?language=es
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