Lettre Circular 2008

Arrêter la roue en bloquant ses rayons

03/03/2008
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J'étais en train de penser à la circulaire de 2008 lorsque m'envahit, comme un fleuve biblique de lait et de miel, une véritable inondation de messages de solidarité et d'affection à l'occasion de mes 80 ans. Ne pouvant répondre à chacun et à chacune en particulier, y compris parce que le frère Parkinson fait ses caprices, je vous prie de recevoir cette circulaire comme un abrazo personnel, chaleureux, de gratitude et de communion renouvelées.

Je suis en train de lire une biographie de Dietrich Bonhoeffer, intitulée de manière très significative, “ Nous aurions dû avoir crié ”. Bonhoeffer, théologien et pasteur luthérien, prophète et martyr, fut assassiné par le nazisme le 9 avril 1945 dans le camp de concentration de Flossenbürg. Il avertissait aussi que “ celui qui n'a pas crié contre le nazisme n'a pas le droit de chanter le grégorien ”. Et finalement, il arrivait, déjà à la veille de son martyre, à cette conclusion militante : “ Il faut arrêter la roue en bloquant ses rayons ”. A cette époque il ne suffisait pas de secourir ponctuellement les victimes maltraitées par le système nazi, qui pour Bonhoeffer était la roue ; et aujourd'hui l'assistencialisme et les réformes-emplâtres ne peuvent nous suffire face à cette roue qui, pour nous, est le capitalisme néolibéral avec ses rayons qui sont le marché total, le profit général, la macro-dictature économique et culturelle, les terrorismes d'Etat, la course à l'armement qui croît à nouveau, le fondamentalisme religieux, la dévastation écocide de la terre, de l'eau, de la flore et de l'air.

Nous ne pouvons demeurer stupéfaits devant l'iniquité structurée, en acceptant comme une fatalité l'inégalité injuste entre les personnes et entre les peuples, l'existence d'un Premier Monde qui possède tout et d'un Tiers Monde qui meurt d'inanition. Les statistiques se multiplient et nous prenons connaissance de nouveaux drames, de nouvelles situations infrahumaines. Jean Ziegler, rapporteur des Nations Unies pour l'alimentation, affirme, avec toute son expérience, que “ l'ordre mondial est assassin, car aujourd'hui la faim n'est plus une fatalité ”. Et il affirme aussi que “ destiner des millions d'hectares à la production de biocarburants est un crime contre l'humanité ”. Le biocombustible ne peut être un festival de profits irresponsables.

L'ONU alerte que le réchauffement global de la planète avance plus rapidement qu'on ne le pensait, et à moins que ne soient adoptées des mesures urgentes, il provoquera la disparition de 30 % des espèces animales et végétales, des millions de personnes se verront privées d'eau et il y aura prolifération des sécheresses, des incendies, des inondations. On se demande avec angoisse qui va adopter ces “ mesures urgentes ”. Le grand capital agricole, faisant de la terre et de l'eau un négoce, avance sur la campagne, concentre terre et revenus, expulse les familles paysannes, les jette errantes, sans terre, dans des campements, et accroît encore les périphéries violentes des villes. Dom Edwin Kräutler, évêque de Xingú et président du CIMI, dénonce que “ le développement en Amazonie est devenu synonyme de déboiser, brûler, arracher, tuer ”. Selon Roberto Smeraldi, des Amis de la Terre, les politiques contradictoires de la Banque Mondiale promettent d'une part de “ sauver les arbres ”, et d'autre part “ contribuent à détruire l'Amazonie ”.

Mais l'Utopie continue. Comme dirait Bloch, nous sommes des “ créatures pleines d'espoir ” (et d'encouragement). L'espérance persiste, comme une soif et comme une source. “ Contre toute espérance nous espérons ”. C'est de cette espérance, précisément, que parle la récente encyclique de Benoit XVI. (Dommage que le Pape, dans cette encyclique, ne cite même pas une fois le Concile Vatican II qui nous donna la Constitution Pastorale Gaudium et Spes – Joie et Espérance - Soit dit en passant, le Concile Vatican II continue, aimé, accusé, réduit au silence, laissé de côté… A qui Vatican II fait-il peur ?). Face au discrédit de la politique, dans le monde entier ou presque, notre Agenda Latino-américain 2008 parie pour une nouvelle politique ; jusqu'à dire “ nous demandons, en rêvant tout haut, que la politique soit un exercice d'amour ”. Un amour très réaliste, militant, qui subvertit les structures et les institutions réactionnaires, construites avec la faim et le sang des majorités pauvres, au service du condominium d'une minorité ploutocrate.

De leur côté les entités et les projets alternatifs réagissent en essayant de conscientiser, de provoquer une sainte rébellion.Le FSM 2009 va se tenir, précisément, dans l'Amazonie brésilienne et l'Amazonie sera l'un de ses thèmes principaux. La 12ème Rencontre Interecclésiale des CEBs, en 2009, aura lieu également en Amazonie, à Porto Velho, Rondônia. Notre militance politique et notre pastorale libératrice doivent assumer de plus en plus ces défis majeurs qui menacent notre planète. “ Choisissons donc la vie ” dit le slogan de la Campagne de la Fraternité 2008. L'apôtre Paul, dans sa Lettre aux Romains, nous rappelle que “ toute la Création gémit dans les douleurs de l'enfantement ” (Rom 8,22). Les cris de mort se croisent avec les cris de la vie, dans cet accouchement universel.

C'est le temps des paradigmes. Aujourd'hui je crois qu'il faut citer comme paradigmes majeurs et parmi les plus urgents, les droits humains fondamentaux, l'écologie, le dialogue interculturel et interreligieux, et la coexistence plurielle entre personnes et entre peuples. Ces quatre paradigmes nous affectent tous, parce qu'ils vont à l'encontre des convulsions, des objectifs et programmes que vit l'Humanité maltraitée, mais toujours pleine d'espérance.

Avec des faux pas et des ambigüités, Notre Amérique avance vers la gauche ; “ de nouveaux vents soufflent sur le continent ”.Nous passons “ de la résistance à l'offensive ”. Les peuples indigènes d'Abya Yala ont salué dans l'allégresse la Déclaration de l'ONU sur les Droits des Peuples Indigènes, qui concerne plus de 370 millions de personnes dans 70 pays du Monde. Et ils revendiqueront leur mise en pratique.

A Aparecida, notre Eglise d'Amérique Latine et des Caraïbes, si elle ne fut pas la Pentecôte dont nous voulions rêver, fut une profonde expérience de rencontre entre les évêques et le peuple ; et elle confirma les traits les plus caractéristiques de l'Eglise de la Libération : l'imitation de Jésus, la Bible dans la vie, l'option pour les pauvres, le témoignage des martyrs, les communautés, la mission inculturée, l'engagement politique.

Soeurs et frères, quels rayons allons-nous briser dans notre vie quotidienne ?comment aiderons-nous à bloquer la roue fatale ? aurons-nous le droit de chanter le grégorien ? saurons-nous intégrer dans nos vies ces quatre paradigmes majeurs en les traduisant en pratiques quotidiennes ?

Recevez un abrazo chaleureux dans l'espérance subversive et dans la communion fraternelle de l'Evangile du Royaume. Allons toujours vers la Vie.

https://www.alainet.org/es/node/126019?language=es
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