La régulation financière ou qui va mettre le grelot à la queue du chat ?
- Opinión
Si
je devais résumer la situation par deux phrases ce seraient
:
« La crise financière est le résultat d´un
processus qui a consisté à faire toujours plus pression
sur les ménages, comme sur les peuples, pour les priver de
leurs ressources et les livrer au capital financiarisé en
substituer à ces ressources leur endettement. »
La
deuxième phrase serait « face à cette crise, il
s´agit pour le capital de privatiser toujours plus les profits
mais désormais de socialiser les pertes, d´où le
nouveau recours à l´Etat ».
La plupart des
commentateurs insistent sur le fait que cela ne peut plus durer, que
le système est au bord de l´implosion, mais il faut
également mesurer que leurs propositions indiquent les
fragilités du système et l´impossibilité
dans laquelle se trouve le capitalisme de les mettre en œuvre. En
lisant les petits génies de la finance, les doctes économistes
et notre madame Lagarde, je ne peux m´empêcher de songer
à cette fable de Lafontaine où les rats avaient trouvé
le remède : il fallait mettre un grelot à la queue du
chat, oui mais le problème était bien de trouver qui
pouvait mettre un grelot à la queue du chat ?
Disons
tout de suite qu´il y a au moins un point sur lequel l´accord
peut se faire, c´est sur l´importance de la circulation
des liquidités et du crédit en particulier entre
nations. On peut effectivement considérer qu´il s´agit
du sang de l´économie et que dans le contexte de la
mondialisation il est impossible de s´en passer. Aussitôt
le problème apparaît, depuis que Nixon a fait le coup de
force de substituer à l´or le dollar, nous sommes
confrontés à une monnaie qui revient à faire
payer à tout le reste de la planète le formidable
endettement des Etats-Unis, en particulier tous les peuples y compris
le notre sont obligés d´acheter des dollars pour entrer
sur le marché alors que les Etats-Unis n´ont qu´à
actionner la planche à billet et ne s´en privent pas. Ce
système de traite de cavalerie se double de la facture
énergétique qui grâce à l´alliance
crapuleuse entre les Saoudiens et les Etasuniens consiste à
faire payer la facture énergétique pétrolière
en pétrodollars.
Donc cela pose la question d´une
première réforme : comment sortir du dollar pour
trouver une autre monnaie étalon ?
Ça je crois
que tout le monde l´a à peu près compris. Mais
ce qu´il faut encore voir c´est comment tout le système
institutionnel financier s´est organisé autour de cette
domination. Il y a plusieurs niveaux de réformes
envisageables. Les institutions dites de Bretton Wood mises en place
après la seconde guerre mondiale ont été
complètement détournées. Pour faire bref,
disons qu´il n´y aura pas de monnaie internationale,
d´institutions de régulation indispensable, sans une
profonde transformation de l´ordre international, une
reconsidération de l´échange inégal et de
la souveraineté des nations.
Et là se pose la
première question de savoir qui va attacher le grelot à
la queue du chat ? Quand Chavez propose à l´OPEP de se
retourner vers l´euro, il incite les pays producteurs et
au-delà tous les pays asphyxiés par la facture
énergétique à entrer dans une autre logique.
C´est pour cela qu´il y a aujourd´hui dans le
polycentrisme qui est en train de se mettre en place quelque chose
d´important, il s´agit d´une remise en cause
essentielle de la domination du dollar et d´un système.
D´un côté cette remise en cause constitue un
ébranlement possible d´un système d´inégalité
et de menace permanente contre la souveraineté des peuples.
De l´autre côté, si ce polycentrisme n´aboutit
pas à un nouvel ordre international plus juste cela portera la
concurrence et les menaces de guerre à un niveau plus
élevé.
Le paradoxe est que dans cette crise
émerge la conscience de l´impossibilité de
continuer comme avant. Prenons un autre diagnostic : nous sommes
dans un univers en expansion de liquidités qui vont de crise
en crise, de bulle en bulle et on ne voit pas comment cela
s´arrêtera.
On nous parle souvent du rôle
nouveau et de la puissance nouvelle des pays émergents, de la
masse des liquidités qu´ils possèdent. Il est
intéressant de voir les solutions préconisées,
deux au moins sont tout à fait intéressantes, il faut
que les pays émergents arrêtent d´épargner
et dépensent pour le bien être de leur population et la
question des fonds souverains. Si l´on considère
les préconisations et les comportements réels on ne
peut là encore manquer d´être frappé par le
fait qu´à chaque fois les solutions envisagées se
rapprochent du socialisme mais ne peuvent s´y résoudre
parce qu´il faut maintenir la domination du capital financier.
Je n´explorerai pas la question des fonds souverains que j´ai
bien des fois analysé par ailleurs, je dirai simplement que
comme il faut bien trouver ce qui desserre un peu l´étau,
ces fonds souverains ont l´immense mérite de fonctionner
de manière un peu moins rapide et un peu moins usuraire que
les fonds spéculatifs. Ils n´exigent pas a priori la
mise au chômage de salariés pour faire monter les
actions, ils sont un peu facteur d´équilibre, mais il
s´agit de palliatifs d´une économie en crise
systémique profonde.
Prenons la nécessité
de freiner la masse des liquidités en expansion en
rééquilibrant pays ayant déficit et pays
créditeurs. Aujourd´hui, nous avons une situation
qui au dire des financiers les plus acquis aux bienfaits du
capitalisme devient impossible : les Etats-Unis et l´Union
européenne (ce que l´on appelle le nord) ont un déficit
extérieur, tandis que les pays émergents et pétroliers
affichent un excédent extérieur gigantesque. Il est
proposé « une coopération internationale »
pour réduire les taux d´épargne dans les pays
émergents exportateurs de matière première et on
assiste à ce que l´on croyait impensable : la Banque
mondiale priant la Chine de bien vouloir entamer des dépenses
publiques en matière de santé, d´éducation,
d´infrastructures publiques, bref créer un système
de protection sociale que l´on continue à démanteler
dans le Nord. Puisque en même temps que l´on recommande
aux pays émergents de se préoccuper des « besoins
» de leur population, il s´agit d´accroître
le taux d´épargne dans les pays « cigales »
en faisant pression sur « les déficits publics »
et en mettant en œuvre une politique monétaire plus
restrictive. Notons que l´on ne touche pas au capital
financier.
En fait ce qui butte sur la recherche de solution
est le refus de toucher au capital financier, à ses profits
comme d´ailleurs à la pression sur les revenus des plus
pauvres ou des moins riches, autant que l´idée
d´envisager un autre type de distribution et d´investissement,
en particulier dans des domaines non marchandisés comme la
santé, l´éducation, dans nos pays capitalistes,
il s´agit au contraire de toujours plus privatiser ces
dépenses. Comme d´ailleurs comme réponse
immédiate à la crise de fournir de l´endettement
pour accroître la marchandisation de l´économie.
Ce
qui a été mis en œuvre comme réponse à
la crise, les mesures de Bush et la baisse des taux d´intérêt
de la FED, ne va pas dans ce sens, ni d´ailleurs la politique
de Sarkozy. Il s´agit de poursuivre l´endettement pour la
plus grande gloire du capital financier. Il n´est pas question
de rétablir la justice en matière salariale mais
d´inciter à la consommation comme dans le cas du
bouclier fiscal. Donc il est continué ce qui est dénoncé
par les économistes les plus orthodoxes : l´expansion
sans frein d´une liquidité qui ira de « bulle »
en « bulle ». Les économistes supplient :
ralentissez au moins pour que le temps entre « bulles »
soit réduit. Les plus dogmatiques comme Trichet sont prêts
à aller jusqu´à l´asphyxie totale des
salariés dans nos pays, ils notent à juste raison que
lorsque les taux d´intérêt de prêts de
liquidité sont inférieures au taux de croissance, les
contraintes de remboursement ne jouent pas et tout le monde est très
excité à l´endettement. Mais le vrai problème
est la pression sur les salaires, sur les revenus réels de
l´économie réelle qui sont sacrifiés à
ce cancer financier que l´on continue à entretenir.
Donc Trichet n´a pas tort de considérer que la baisse
des taux d´intérêt est une prime à la
nouvelle bulle, mais cette « orthodoxie » est
complètement folle quand l´on voit le même
personnage protester contre l´idée même d´un
salaire minimum garanti.
Parce que le déséquilibre
est structurel, international mais il a aussi une dimension
institutionnelle que nous a un peu découvert l´histoire
du trader fou de la société générale.
Il
y a ce qu´est le capitalisme financier. Nous avons donc une
fonction du capitalisme, destinée à assurer le crédit,
le paiement, l´achat, la vente, la trésorerie qui s´est
autonomisée et qui engendre d´énormes profits
sans aucune mesure avec ce que produit l´économie
réelle. Nous pourrions prendre le problème par
plusieurs biais, un des plus essentiels est le fait que désormais
les frais financiers qui pèsent sur l´entreprise sont
plus lourds que les salaires, et que pourtant on continue à
considérer que c´est là-dessus qu´il faut
peser.
Mais ce dont a témoigné l´affaire
de la société générale, c´est de la
profonde mutation du secteur bancaire. Comme le note Aglietta : «
transférer le risque jusqu´à l´épargnant
final est devenu l´alpha et l´oméga des
professions financières depuis les banques qui empochent des
commissions et vendent le risque des crédits après les
avoir recomposés dans des titres financiers, jusqu´au
fonds de pension dits « à cotisation définies »,
qui refusent les engagements sociaux et s´alignent sur les
comportements court termistes des fonds d´investissements
spéculatifs ».
La fameuse opacité dont ne
cessent de se plaindre nos gouvernants fait partie du système,
là encore on se retrouve devant la question « qui va
attacher le grelot à la queue du chat », qui va créer
de la transparence alors même que tout le système
prospère sur les traites de cavalerie et que nos gouvernants
sont les simples employés des financiers. La banque, à
qui nous sommes obligés de confier nos salaires et qui nous
assure crédit et découvert, est devenue le courtier des
marchés financiers. Nos élus, qu´ils soient de
droite ou de gauche, achetés ou trop imbéciles pour
penser autrement, ne remettent pas en cause le système, ils
sont convaincus que le capitalisme est tout de même le meilleur
système. Ils n´ont ni le courage, ni la moindre
ambition à même expliquer la nature de la terrible crise
à laquelle nous sommes confrontés.
Alors que les
banques, les marchés, les investisseurs institutionnels, les
agences de notation, l´organisation de la supervision, les
banques centrales et le politiques monétaires, j´en
oublie sûrement, tout est à transformer et la simple
rustine n´y suffira pas, mais on voit mal qui va opérer
une telle transformation.
Voilà pourquoi je suis
convaincue que seule l´intervention des peuples, les luttes
obstinées et têtues pour exiger leur dû tant au
niveau des nations que des ménages sont les seules
susceptibles de renverser la vapeur. Seuls les peuples sont capables
d´attacher le grelot à la queue du chat, et ils le sont
à travers deux exigences : celle de souveraineté et
celle de justice sociale immédiate.
Il me semble que
nous avons un rôle à jouer : tenter de faire mesurer la
nature de la gigantesque escroquerie dont nous sommes victimes. Le
mieux serait effectivement que toutes les victimes comprennent de
quoi il est question, mais à défaut il suffit de
refuser de comprendre ce que vous racontent tous ces gens et exiger
votre dû...
Danielle Bleitrach
(1) Aglietta.
Comment réguler la mondialisation financière? numéro
spécial. alternatives économiques. hors série.
premier trimestre 2008, p.50
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