Mercosur : un dommage irréparable

10/05/2006
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Tandis que le gouvernement bolivien nationalisait les hydrocarbures (le 1er mai), le président uruguayen annonçait à Washington la sortie de son pays du Marché commun du Sud (Mercosur) [1], plongeant la plus importante alliance régionale dans une crise quasi terminale de laquelle il sera très difficile de sortir : les relations entre les présidents de ses pays membres se sont dégradées et la méfiance occupe maintenant la place de la nécessaire solidarité. Tabare Vazquez a été très clair. Deux jours avant son entrevue avec George W. Bush, il a annoncé son intention de « se détacher comme membre à part entière du Mercosur » avec l’objectif de concrétiser des accords commerciaux avec la superpuissance états-unienne pour gagner des marchés pour les exportations de produits primaires uruguayens [2]. En plus et malgré le fait que les écologistes argentins aient levé le blocage du pont principal international, il a avancé qu’il n’abandonnera pas les plaintes déposées devant les organismes internationaux pour « le dommage provoqué par les protestations contre les usines de cellulose » [3]. La nouvelle à peine diffusée, des membres du gouvernement uruguayen ont démenti l’éventualité d’une rupture du Mercosur et des porte-parole du même Vázquez ont nuancé ses affirmations. Cependant, les démentis ne sont pas crédibles, étant donné que Vázquez a forgé tout un style d’ambiguïtés et de va-et-vient, d’affirmations contradictoires tout de suite niées par ses porte-parole. Il y a un mois et demi, à Caracas, il a garanti d’un ton tranchant, avec Hugo Chávez, que l’Uruguay ne signera pas un traité de libre-échange avec les États-Unis. La semaine passée, avec le président Fox, au Mexique, il a dit le contraire. L’Uruguay ne peut pas prétendre à ce qu’un accord avec Washington soit reçu sans aucune conséquence par ses voisins. Surtout quand Vázquez soutient qu’il s’agit de rechercher « une nouvelle insertion de l’Uruguay dans le monde » et garantit que son objectif est de « libérer l’Uruguay » des problèmes que le Mercosur lui apporte. Ces objectifs et le lieu où ils ont été annoncés, au beau milieu de réunions avec le Fonds monétaire international et la Banque interaméricaine de développement, ne sont pas de bon augure quand la région traverse une conjoncture qui peut supposer un virage de longue durée quant à la dépendance traditionnelle face aux États-Unis et aux organismes financiers. En effet, le litige entre l’Argentine et l’Uruguay autour de la construction d’usines de cellulose est en voie de résolution. Les écologistes de l’Assemblée de Gualeguaychu ont dégagé la route et levé le blocage du pont international, ce qui était le principal argument du gouvernement uruguayen pour continuer à montrer les dents. Maintenant, le différend sera résolu par des institutions internationales, puisque le président argentin, Nestor Kirchner, a décidé de déposer une plainte devant le Tribunal de la Haye, qui avait posé la condition que les habitants lèvent le blocage. Les 100 mille manifestants qui ont pris d’assaut les alentours du pont dimanche dernier (30 avril) sont une preuve indéniable du fort rejet du projet et de l’appui massif dont bénéficient les écologistes. La forme démocratique et horizontale avec laquelle fonctionne l’assemblée, à laquelle participent des milliers d’habitants, capables de débattre et se mettre d’accord durant des heures, a été reconnue même par la droite argentine. L’incapacité de négocier et l’attachement de Vázquez aux accords avec des méga entreprises de cellulose a eu raison cependant de la mobilisation sociale. Nous sommes devant un triomphe des multinationales et un échec de la mobilisation sociale, dans lequel un gouvernement qui se dit de gauche a joué un rôle décisif. Le grave moment que traverse la région requiert de la grandeur. Tout indique que les axes traditionnels sont en train de se défaire et que d’autres émergent. L’axe Cuba - Venezuela - Bolivie est déjà une réalité, tant sur le terrain politique que dans la coopération économique. Par ailleurs, un autre axe « stabilisateur » semble se dessiner, formé à la base par le Brésil, le Chili et l’Uruguay, et qui a de bonnes relations avec Washington, les organismes financiers internationaux et les grandes entreprises. Le rôle de l’Argentine semble encore incertain, car si elle a besoin de maintenir sa solide alliance avec le Brésil, elle partage avec l’axe « bolivarien » ses racines ancrées dans la profonde mobilisation et révolte populaire qui délimite la marge de manoeuvre de tout gouvernement. La politique de l’administration Bush de miser sur le Brésil comme le grand stabilisateur de la région soumise à des convulsions - exprimée d’une manière directe par Condoleeza Rice - n’était dans l’absolu ni absurde ni irréelle. Le gouvernement de Lula a adopté une position pacificatrice face à la nationalisation des hydrocarbures par le gouvernement d’Evo Morales. Un communiqué officiel mesuré a apaisé la colère du président de Petrobras et a reconnu le droit de la Bolivie à contrôler la commercialisation, le transport et l’industrialisation des hydrocarbures « comme un acte inhérent à sa souveraineté ». Mais il y a des contradictions insurmontables. Le Brésil dépend à 50% du gaz bolivien ; 75% du gaz consommé à São Paulo, le cœur de l’industrie de la dixième puissance industrielle du monde, provient de la Bolivie. En contrepartie, Petrobras produit 15% du produit intérieur brut bolivien et 30% du soja cultivé dans le département séparatiste de Santa Cruz est cultivé par des Brésiliens. Lula a modéré ses élans, mais tous les témoignages rendent compte de sa perplexité face à l’annonce surprise de Evo. Signes des temps nouveaux, Lula, Kirchner, Evo et Chavez se sont réunis pour voir comment aller de l’avant et surtout pour débattre du prix du gaz qui sera un des axes de la nouvelle politique bolivienne. Le dommage irréparable infligé au Mercosur qui jusqu’à il y a un an paraissait être en mesure de s’étendre en incluant la Bolivie et le Venezuela peut être maintenant le point de départ d’une autre intégration basée sur les hydrocarbures et sur des sociétés mobilisées. Cependant il est encore trop tôt pour crier victoire. Il y a trop de contradictions sur la table. Le Brésil continue à appuyer l’IIRSA [4], un projet d’intégration destiné à faciliter les flux de marchandises entre le Pacifique et l’Atlantique conformément aux besoins actuels du commerce mondial dicté par les multinationales. Un test décisif sera le futur Gazoduc du Sud [5] : s’il se concrétise, il sera le premier grand chantier Nord-Sud, destiné à relier les pays de la région à contre-courant des attentes des marchés. NOTES: [1] [NDLR] Le Marché commun du Cône Sud, ou Mercosur, a été créé en 1991. Il rassemble à l’origine le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay. Le Venezuela a entamé son processus d’adhésion en décembre 2005. Plusieurs pays ont le statut de "pays associé" : la Bolivie et le Chili, depuis 1996 ; le Pérou, depuis 2003 ; la Colombie et l’Equateur, depuis 2004. Consultez les articles sur le « Mercosur » sur RISAL. [2] [NDLR] Une telle intention entre pleinement en contradiction avec l’essence même du Mercosur, dont les statuts affirment que les pays qui ont choisi d’en faire partie comme membres à part entière doivent négocier des accords commerciaux en tant que bloc. [3] [NDLR] La volonté du gouvernement uruguayen d’installer deux usines de cellulose sur les bords d fleuve Uruguay, frontière entre l’Uruguay et l’Argentine a provoqué une crise entre ces deux pays et des mobilisations écologistes depuis plusieurs mois. Consultez le dossier « la guerre du papier » sur RISAL. [4] [NDLR] L’IIRSA est un vaste programme de construction de nouvelles routes, de ponts, de voies fluviales et de liaisons énergétiques et de communication spécialement dans les zones tropicales et andines. C’est un des résultats du premier sommet sud-américain des présidents (2000). Elle peut compter sur le financement de la Banque interaméricaine de développement (BID), de la Corporation andine de financement (CAF), du Fonds financier du bassin de la Plata (FONPLATA) et d’agences gouvernementales brésiliennes. Consultez le dossier « Initiative d’intégration de l’infrastructure régionale d’Amérique du sud (IIRSA) » sur RISAL. [5] [NDLR] Le gazoduc sud-américain est un projet qui consiste à transporter du gaz des gisements du sud de la mer des Caraïbes et de l’océan Atlantique, face aux côtes du Venezuela, vers le Brésil et l’Argentine. Il devrait avoir une longueur entre 7.000 et 9.300 kilomètres. Des estimations évaluent son coût à 25 milliards de dollars. Lire Humberto Marquez, Un super gazoduc coûteux et sujet à polémique, RISAL, 14 mars 2006. En cas de reproduction de cet article, veuillez indiquer les informations ci-dessous: RISAL - Réseau d'information et de solidarité avec l'Amérique latine URL: http://risal.collectifs.net/ Traduction : Frédéric Lévêque, pour le RISAL (www.risal.collectifs.net).
https://www.alainet.org/es/node/115246
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