Le vent va-t-il tourner ?

26/04/2006
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Le « vent tourne » en Haïti, dit une chanson populaire du carnaval de février dernier, au lendemain des élections du 7, qui ont vu la victoire de René Préval, de la plate-forme politique Espoir, un regroupement de plusieurs structures politiques à vocation régionale ou nationale. Préval se prépare à assumer pour la seconde fois la présidence d’Haïti le 14 mai après avoir été chef de l’État de 1996 à 2001. Une fois au palais présidentiel, Préval devra rapidement passer le cap de la formation d’un gouvernement capable de faire face aux divers défis de l’heure, qui sont nombreux, et gagner la confiance de plusieurs secteurs, dont les intérêts sont plutôt très souvent opposés. Un certain calme Cependant, dès maintenant on observe un certain apaisement au niveau politique et en ce qui concerne la situation de violence et d’insécurité qui a pris des proportions extraordinaires durant les deux dernières années, avec un bilan d’au moins 1500 personnes tuées, dont 80 policiers, 9 casques bleus des Nations Unies et 4 journalistes. Moins de cas d’assassinats ou de kidnappings sont rapportés, ce qui ne veut pas dire que la machine de la criminalité a cessé de tourner, car plusieurs familles s’en plaignent en privé. Le fait est que les conditions objectives génitrices de l’insécurité n’ont en rien changé, car aucun désarmement réel n’a été effectué. Selon des organismes internationaux, 210 mille armes à feu, détenues par la police et des groupes armés, circulent à Port-au-Prince. Cette situation est, en partie, alimentée par un ensemble de conditions socio-économiques dominées par la morosité et la précarité. Des augmentations successives des prix des produits pétroliers ont eu des conséquences directes sur les prix du transport en commun et ceux des produits de première nécessité. La récente augmentation des prix de la gazoline atteignait plus de 12%, causant de la grogne dans divers secteurs. Or, selon des données communiquées par des économistes, le taux de chômage non officiel tourne autour de 80% et environ 65% de la population vit au-dessous du seuil de la pauvreté avec moins d’un dollar par jour. Au plan politique, la polarisation qui s’est accrue en Haïti durant les 6 dernières années, avec la crise électorale de 2000-2001, parait être désamorcée. Un certain silence est observé du coté des chefs de la majorité des partis politiques, dont le score au scrutin du 7 février a été extrêmement faible (entre 0 et 12 %). Le verdict des dernières présidentielles oblige à une certaine réserve de la part de formations politiques, dont la représentativité n’est pas prouvée. Sur la trentaine de partis et regroupements politiques qui ont pris part à la course électorale, seulement 6 se sont maintenus au deuxième tour des législatives : L’Espoir, la Fusion des sociaux-démocrates, l’Union, la Famille Lavalas, l’Alliance démocratique et l’Organisation du peuple en lutte (OPL). La formation d’un gouvernement devra se jouer avec ces acteurs, le regroupement de Préval n’ayant pas la capacité de dégager une confortable majorité au parlement formé de 30 sénateurs et 99 députés. Il ne pourra pas choisir seul un premier ministre et former un gouvernement. Après son élection, Préval, dont le premier mandat a été marqué par des relations conflictuelles entre l’Exécutif et le parlement, a engagé des consultations avec des responsables de partis en bonne position en vue de s’assurer du soutien par ces derniers de l’action du futur gouvernement. Des ambitions mesurées Préval se donne des ambitions mesurées au cours de ses cinq prochaines années de mandat, mais il prend la mesure des défis qui l’attendent. Il affirme que le futur gouvernement aura deux missions essentielles, dont l’une sera la mise en place des institutions prévues par la Constitution, afin de créer les conditions de la stabilité du pays. L’autre sera la création de conditions propices à l'investissement privé de manière à générer des emplois. Préval promet également de lutter contre la corruption dans l'administration publique, de dialoguer avec les différents secteurs du pays pour pouvoir trouver des réponses consensuelles à certaines difficultés et garantir la continuité de l'Etat. Le 27 mars, devant le Conseil de Sécurité des Nations Unies, Préval a déclaré qu’Haïti est « un pays à construire. (…) La pauvreté, le chômage généralisé, l’état de délabrement des infrastructures de base indispensables au développement, l’insécurité chronique, représentent des défis majeurs auxquels doit faire face le prochain gouvernement ». « Une assistance internationale importante est indispensable au développement durable d’Haïti », estime Préval, qui souligne l’existence d’une « corrélation étroite entre la démocratie et le développement économique ». Préval veut aussi jouer sur les relations de proximité Sud-Sud. Lors d’une récente visite à Cuba, il a plaidé en faveur de l’intégration d’Haïti à la Caraïbe et l’Amérique Latine. « Si nous ne nous intégrons pas à la région, nous aurons de grandes difficultés pour nous développer », a-t-il déclaré à la presse. Préval fait part de son assurance de pouvoir compter sur l’aide de ce pays dans divers domaines, dont, entre autres, celui de l’énergie et de la santé publique. Selon le nouvel élu haïtien, Cuba est disposé a dépêcher en Haïti un groupe de techniciens afin d’évaluer la crise de l’électricité, dont seulement 30 mégawatts sont disponibles à la capitale, Port-au-Prince. Parallèlement, Préval annonce qu’Haïti va bientôt intégrer l’initiative Petrocaribe du gouvernement vénézuélien, qui offre la possibilité aux États membres (de la Caraïbe) de se procurer du pétrole à un prix préférentiel. Le nouveau président se dit assuré également de l’augmentation de l’aide médicale cubaine. Actuellement, environ 400 travailleurs cubains de la santé sont à pied d’œuvre dans la majeure partie des régions du pays, tandis qu’environ 600 jeunes Haïtiens effectuent des études de médecine à Cuba. Préval, qui a effectué une tournée au Brésil, en Argentine et au Chili en mars dernier, salue la « volonté de coopération » rencontrée dans ces trois pays latino-américains, qui assument la plus grande part de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation d’Haïti (MINUSTAH), composée de 7.300 militaires et environ 1.700 policiers de plusieurs pays. L’élu du 7 février, qui ne compte pas remettre sur pied l’armée d’Haïti, souhaite le maintien de la MINUSTAH avec « une nouvelle orientation » et ne se prononce pas sur la durée du mandat de la force onusienne. Résurgence de revendications de fond A la veille de la prise de fonction prochaine de Préval, les débats sont relancés au sein des secteurs sociaux sur les priorités de l’heure. Le Mouvement Démocratique Populaire (MODEP), l’organisation Tèt Kole Ti Peyisan (Union Paysanne) et Solidarité entre Jeunes (SAJ) croient que dans l’actuelle conjoncture, les secteurs populaires doivent s’organiser davantage et se mobiliser sur des revendications concrètes, entre autres, « contre l’occupation (étrangère) du pays », contre la privatisation des entreprises publiques, pour la baisse des prix des produits alimentaires, « le contrôle » des prix du logement et une « véritable réforme agraire ». Pour sa part, l’organisation Batay Ouvriye (Lutte ouvrière) souhaite immédiatement des mesures visant la révision à la hausse du salaire minimum. C’est aussi le moment de « forcer les bourgeois » au respect de la liberté syndicale et la négociation des contrats de travail collectif. Le Forum Citoyen pour la Réforme de la Justice, qui réunit plusieurs institutions de défense des droits humains, soumet déjà au nouveau président des propositions de réforme judiciaire, afin de corriger la « forte dépendance » de la justice par rapport au pouvoir exécutif, l’inefficacité de l’appareil judicaire dont les enquêtes « n’aboutissent presque jamais » et couper court à « la corruption qui gangrène le système ». Pour la Plate-forme Haïtienne de Plaidoyer pour un Développement Alternatif (PAPDA), le « principal enjeu de la conjoncture » est « l’émergence d’un nouveau système politique ». Selon l’organisation, le peuple « doit pouvoir enfin trouver un espace politique adéquat » pour « construire une démocratie participative avec une vision moderne et inclusive ». Un ensemble de mouvements, dont le Collectif Solidarité Identité et Liberté, Kay Fanm (La maison des femmes), l’Union des Médecins Haïtiens et la Coordination Régionale des Organisations du Sud-Est pronent en ce « moment historique » la mise sur pied « d’un camp solide (Force Sociale Solidaire) pour refonder la nation (et) asseoir le pouvoir de la société ». Marc Arthur Fils-Aimé, directeur de l’Institut Culturel Karl Léveque, estime que Préval a devant lui « 5 longues années difficiles ». Il pense que « ses limites idéologiques et matérielles ne l’aideront pas à satisfaire la plupart des revendications populaires », tandis que « ses ennemis politiques de divers horizons ne tarderont pas non plus à lui mettre des bâtons dans les roues ». Selon Fils-Aimé, « la seule planche de survie de Préval demeure le soutien infaillible politique des masses ». Pour cela, il faudra que Préval « maintienne le cap de ses prétentions : changer ou du moins améliorer la vie de la majorité avec la promotion de la production nationale ». Mais ces « prétentions » sont « incompatibles avec le choix néolibéral » du premier quinquennat de Préval. - Gotson Pierre - AlterPresse - Une traduction à l'espagnol de cet article est apparue dans la revue: América Latina en Movimiento, No. 407, ALAI, Quito, 26 avril 2006.
https://www.alainet.org/es/node/115011?language=en
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