Pour une globalisation plurielle et diversifiée

01/01/2001
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La globalisation n'est pas neutre, elle est fondée sur les mêmes vices que tous les modèles discriminatoires du passé et, comme tel, elle les renforce, les multiplie et les universalise, mais elle crée aussi des paramètres d'exclusion qui, par leur portée massive, n'avaient jamais été pressentis auparavant. C'est que, bien qu'avec des nuances, le monde globalisé du début du XXIè siècle n'est rien d'autre que l'héritier des relations inégales produites par le colonialisme passé et ses séquelles actuelles. Monde qui, avec certaines variantes contextuelles, a encore pour paramètre de l'humanité une seule civilisation qui écarte les autres en plaçant leurs populations au rang de citoyens de seconde classe. La structure pyramidale actuelle de l'économique, du social et du culturel est étroitement liée au maintien de relations discriminatoires dont les pratiques conjuguent le racisme, le sexisme, la discrimination sociale, l'homophobie et autres expressions d'exclusion sociale qui s'ajoutent à la relégation géopolitique historique. Tel est le cas des problématiques posées par les processus migratoires, fruits des inéquités dans lesquelles s'inscrit la globalisation où la libre circulation des capitaux et des biens ne s'accompagne pas d'une même libre circulation des personnes. Outre les manifestations xénophobes corrélatives à ces dynamiques, les populations des groupes et des pays relégués sont traitées comme des demi-citoyens et leurs limitations sont accentuées par leur situation éthnique, socio-économique, de genre, d'origine, de position dans le marché et maintenant, de plu en plus, par leur appartenance politique et religieuse. Dans ce contexte, la position défavorable des populations du Sud, de couleur et de tous les exclus, est indéniable. Le racisme, pour sa part, est présent de façon transversale dans toutes les relations humaines. Il est même impossible d'en exonérer les dynamiques de coordination des mouvements sociaux, particulièrement de ceux qui prétendent à une proposition générale en oubliant d'inclure les problématiques inhérentes aux collectivités ou aux personnes touchées par diverses formes de discrimination. Les questions relatives au racisme ont fait partie, presque invariablement, d'un agenda parallèle, mis en place, en général, par les peuples et les groupes concernés. Mais cette dynamique de lutte, loin de faire partie d'une nécessaire affirmation collective et d'agendas communs desdites collectivités, met clairement en évidence l'isolement qui affecte ces problématiques. Ceci se produit même dans le cadre de quelques initiatives alternatives qui n'ont pas réussi à mettre en relation leurs préoccupations avec les questions inhérentes aux diverses formes de discrimination ou qui n'ont pas considéré ces revendications comme faisant partie des thèmes dits d'intérêt général. Des situations similaires se retrouvent, avec des nuances, dans les propositions formulées par des mouvements qui luttent contre le sexisme, l'homophobie, la discrimination religieuse, entre autres. Dans certains cas, ces groupes sont prisonniers de particularismes et ils commencent tout juste à faire le saut vers des espaces plus généraux. Parfois, les relations discriminatoires sont tellement assimilées que, en l'absence d'une pensée critique et d'une mise en question du pouvoir, elles deviennent imperméables au changement. C'est pourquoi un processus de changement intègre la critique du pouvoir du modèle structurel, d'un point de vue masculin, mais aussi du pouvoir qui s'exerce dans la sphère du quotidien, du symbolique et des représentations. Ainsi, les questions relatives à la mise en pratique de la diversité, conçue comme un espace où toutes les singularités interagissent dans une égalité de conditions, font partie des défis présents et futurs, puisqu'elles supposent l'élaboration de pensées incluantes qui devront être validées par des pratiques intégrantes. Dans ce sens, la décolonialisation des esprits qui relèguent les groupes considérés comme « différents » ainsi qualifiés selon leur proximité ou leur éloignement du modèle de l'homme blanc pris comme référence, constitue une première étape. De même, ces groupes sont réduits au statut de « minorités » par une opération idéologique et mathématique incompréhensible, qui soustrait au lieu d'additionner, et qui, de cette façon, renvoit les préoccupations et les revendications de ces « minorités » dans le domaine du particulier, alors qu'en réalité la somme de toutes et de tous les « différent(e)s » représente la majorité de l'humanité. Pour tout cela, notre appel à la construction d'un millénaire diversifié et pluriel mentionne l'urgence d'établir un agenda mondial alternatif qui parte de propositions incluantes et humaines, qui approfondisse autant que nécessaire l'éradication de toute forme de discrimination, moderne ou ancienne et qui élimine l'exclusion et autres bêtises qui s'expriment dans le contexte de la globalisation néolibérale. Cela suppose de multiplier les efforts pour inclure dans les projets pour cet « autre monde possible » l'analyse des expressions actuelles du fossé structurel historique sur lequel se sont construites les sociétés élitistes du présent, qui prétendent se projeter vers le futur à partir d'un amoncellement de relations sociales inégales. C'est que les grands processus d'accumulation, que nous mettons en question ici, n'auraient pas été possibles sans l'ancien esclavage et sans l'exclusion moderne des peuples indigènes et noirs, sans la relégation géopolitique de tout le Sud, sans le travail domestique gratuit des femmes qui, partout, perdure en toute impunité siècle après siècle. A l'ère de la globalisation uniformisante, alors qu'apparait comme jamais auparavant l'interconnection entre les réalités et les processus, il est difficilement concevable de proposer un monde différent sans envisager l'éradication de toutes les formes de discrimination. Ainsi, l'élaboration d'une pensée différente nécessaire concerne, à notre époque, non seulement la construction de visions différentes du modèle économique dominant, mais aussi la définition de sociétés incluantes. Cet exercice créatif implique de mettre sur le tapis la diversité des contextes dans lesquels s'élaborent les propositions des groupes dits différents. Il implique également le développement d'un cadre d'analyse et de proposition qui tienne compte de la multiplicité de perspectives et de priorités inhérentes à chacune des inter-relations entre genre, classe, ethnie, situation géopolitique, choix individuels, etc. qui composent les réalités actuelles et toutes leurs manifestations. Penser un monde différent, dans un processus de construction collective comme celui du FSM, invite à produire des façons d'envisager la diversité et à les mettre en pratique ici et maintenant, en contribuant au renforcement de cet espace démocratique qui permet l'interaction créative de tous les secteurs, points de vue et expressions, dans la construction d'un imaginaire et, enfin, d'une culture globale différente de la culture excluante. En cela, les centaines d'exposés, d'études de cas, de témoignages, de mobilisations quotidiennes, d'expressions culturelles, de publications et autres formes d'expression qui se développent dans le FSM, mettent en évidence que, dans le processus de construction d'un monde différent, l'exercice de production d'une pensée diversifiée est un ciment solide pour la construction de démocraties viables. Parce que ce n'est qu'en forgeant des formes de pensée ouvertes et incluantes, qui reconnaissent les différentes cosmovisions des peuples, les formes multiples d'expression, de production de la connaissance, de création, d'art et de savoir, qu'on s'achemine vers la rupture nécessaire avec la pensée unique qui rend hégémoniques les valeurs d'une minorité dominante en les prétendant universelles. De même, la participation directe des acteurs des luttes, expérimentée dans ce Forum, n'est pas seulement une aspiration mais une condition de la vigueur de la démocratie, interne et externe, dans ce monde globalisé. Puisque, après des siècles de production d'une histoire reposant sur la soumission des majorités à la volonté et aux intérêts d'une minorité, la pensée plurielle et diversifiée ne peut surgir par génération spontanée, elle doit être le fruit d'un processus de construction collective et d'élaboration de consensus. Dans cette ligne, parmi les propositions exprimées pour le développement d'une orientation humaine et incluante de la globalisation, propositions élaborées par les secteurs discriminés qui aspirent à cesser d'être perçus comme problèmes particuliers pour être compris comme partie prenante du discours et de la proposition commune pour un monde différent, on peut noter : la fin de l'impunité qui pèse sur le racisme, la xénophobie et toutes les formes de discrimination ; en conséquence, la pénalisation de ces pratiques et l'indemnisation des victimes ; le renforcement des propositions alternatives au modèle libéral, comme condition nécessaire à l'éradication du racisme structurel qui continue à pousser les peuples et les groupes discriminés vers les cercles de l'exclusion ; le droit à la libre circulation des personnes ; la reconnaissance du droit à la communication pour les peuples et les groupes discriminés, comme faisant partie de son droit à la participation pleine et à la citoyenneté ; la validation des diverses cultures et cosmovisions ; l'éradication de la discrimination selon l'orientation sexuelle, le genre, l'âge, l'état de santé ; la reconnaissance universelle de la qualité de peuples, avec des territoires et une autodétermination, pour les peuples indigènes. L'émergence de modèles alternatifs, fondés sur l'égalité des personnes, ne sera viable que si on comble le fossé du racisme structurel et de toute forme de discrimination. Ce n'est qu'ainsi que s'ouvrira le chemin de la réconciliation universelle, fondée sur la valorisation de toutes et de tous, des peuples et des collectivités. Ainsi, rêver de la globalisation à partir de la diversité, ce que l'on m'a demander de faire ici, est à l'opposé du cauchemar actuel d'un monde uniformisé par le marché et son autoritaire pensée unique. C'est le rêve collectif et possible de l'expression polychrome de la multiplicité des peuples et des cultures, des différentes alternatives de développement, des formes multiples de pensée et d'action. Car seule la création de sociétés plurielles et diversifiées, fondées sur les principes de l'égalité, sur l'autonomie des peuples et des personnes, sur la reconnaissance de la citoyenneté universelle et sur l'indépendance vis-à-vis de tout colonialisme ou néo- colonialisme, permettra à l'humanité d'aller vers cette grande avancée de la civilisation qui défie l'humanité en ce début de millénaire. *Irene León, sociologue équatorienne, directrice de Area Mujeres de ALAI. Traduit de l'espagnol par ALAI.
https://www.alainet.org/es/node/108201?language=es
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