La doctrine Bush expose les défis du Forum social mondial 2003
30/09/2002
- Opinión
Porto Alegre
L'ouverture du Forum social mondial 2003, le 23 septembre à Porto Alegre, a
coïncidé avec l'annonce officielle de la doctrine Bush : la nouvelle stratégie politique
et militaire des Etats-Unis pour conserver leur hégémonie sur la planète. Le ton
belliciste et agressif du document ne laisse aucun doute : les Etats-Unis prétendent
ne plus permettre que leur suprématie militaire et politique soit défiée. En d'autres
termes, le mot d'ordre est tirer d'abord, parler ensuite. L'offensive politico-militaire de
la Maison Blanche, plus marquée depuis les attentats du 11 septembre à New York,
vient accentuer la militarisation de l'agenda politique des nations et menace de
déclencher une escalade mondiale de conflits guerriers de dimensions imprévisibles.
Ce scénario présente des risques évidents et il représente l'un des principaux défis
stratégiques pour les forces politiques qui s'articulent autour du Forum social
mondial.
En 2001, l'ouverture du Forum social mondial à Porto Alegre avait coïncidé
exactement avec les attentats contre les tours jumelles. A ce moment, la question de
la paix mondiale représentait déjà un point essentiel de l'agenda du FSM. Depuis
lors, la situation s'est dégradée du point de vue de la mise en œuvre de solutions
diplomatiques des conflits. La situation explosive du Moyen Orient, la guerre en
Afghanistan et l'imminence d'une nouvelle guerre du Golfe sont les principaux
indicateurs de ce scénario. Depuis, le FSM a renforcé son architecture politique
internationale et a perfectionné son agenda par l'organisation de forums régionaux et
thématiques. Il est de plus en plus clair que le FSM peut devenir un acteur politique
international capable de proposer une alternative à l'agenda militariste de Bush. Mais
il s'en faut encore de beaucoup pour que cette capacité se transforme en réalité. La
complexité de la scène politique internationale et la diversité des mouvements qui
gravitent autour du FSM sont des obstacles qui ne peuvent être ignorés.
Le contenu de la doctrine Bush ne laisse pas de doutes : sans la construction d'une
structure politique internationale consistante, fondée sur d'autres principes que ceux
qui animent actuellement la Maison Blanche, le monde va, soit vers la guerre, soit
vers la consolidation d'une nouvelle tyrannie hégémonique (peut-être serait-il plus
juste de dire, vers les deux).
La doctrine de l'action préventive de Bush
Le document diffusé le 20 septembre par le gouvernement nord-américain
matérialise la doctrine Bush. Le texte fait clairement ressortir l'adoption d'une
stratégie militaire d'actions préventives et anticipées contre les « Etats voyous et les
organisations terroristes ». Il affirme également, pour la première fois, que les Etats-
Unis ne permettront plus jamais que leur suprématie militaire et politique soit défiée.
Dans ce document de 33 pages, le président George W. Bush dit que les Etats-Unis
vont utiliser leur pouvoir militaire et économique pour appuyer « des sociétés libres et
ouvertes », au lieu de rechercher des « avantages unilatéraux ». Et il définit cette
conjonction de valeurs et d'intérêts nationaux comme un « internationalisme
typiquement américain ». Autrement dit, un internationalisme selon les intérêts des
Etats-Unis. Ou, pour être plus direct, un monde sous contrôle de l'empire.
Selon le journal The New York Times, le document intitulé « La stratégie de sécurité
nationale des Etats-Unis » présente une approche beaucoup plus agressive de la
sécurité nationale qu'aucun autre depuis l'ère Reagan. Il inclut l'abandon de la plus
grande partie des traités de non-prolifération nucléaire au bénéfice de la notion de
« contre-prolifération ». C'est-à-dire que les Etats-Unis s'estiment en droit d'attaquer
unilatéralement tout pays ou mouvement qu'ils considèrent comme une menace. Le
texte déclare également que les stratégies de dissuasion, élément de base de la
politique américaine depuis les années 40, ont cessé d'exister. Il n'y a pas d'autre
façon, dans ce monde transformé, dit le document, de contenir ceux qui « haïssent les
Etats-Unis et tout ce qu'ils représentent ». Selon le NYT, un haut fonctionnaire de la
Maison Blanche a dit que le président Bush a publié le document in extenso « parce
qu'il trouvait qu'il y avait des passages dans lesquels nous paraissions arrogants ».
Il n'y a aucune ambiguité dans le document. Il dit pour qui veut bien entendre que « le
Président ne veut pas permettre qu'une quelconque puissance étrangère réduise
l'énorme avance militaire assumée par les Etats-Unis depuis la chute de l'Union
soviétique ». « Nos forces disposeront du pouvoir suffisant », poursuit le texte de
Bush, « pour dissuader les puissances adverses d'entamer une escalade militaire
dans l'espoir d'égaler, ou de dépasser, le pouvoir des Etats-Unis ». Quand des
intérêts américains importants seront en jeu, il n'y aura pas de discussion : « Nous
n'hésiterons pas à agir seuls, si besoin, à exercer notre droit à l'autodéfense, en
agissant de façon préventive et anticipée ».
La nouvelle stratégie représente un changement significatif par rapport à la dernière,
élaborée par le gouvernement Clinton fin 1999 ; alors que la doctrine Clinton se
basait dans une large mesure sur l'instauration d'une série de traités internationaux,
Bush abandonne toute subtilité diplomatique.
Le FMI et la Banque mondiale comme armes
Une partie du document traite de comment l'assistance aux autres pays et les
changements au sein du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque
mondiale peuvent être utilisés pour vaincre ce que le texte décrit comme une bataille
autour des valeurs et des idées contraires, incluant ici la « bataille pour l'avenir du
monde musulman ». Le texte décrit l'engagement de l'administration Bush
d'augmenter l'aide externe américaine aux « pays dont les gouvernements
gouvernent de manière juste, investissent dans leur population et stimule la liberté
économique ». L'Argentine est déjà en train de subir les conséquences de cette
stratégie. Après avoir appliqué pendant des années les recettes économiques du
FMI, avec des conséquences désastreuses pour la population, le pays reçoit
aujourd'hui les menaces au lieu de l'appui du Fonds.
La vice-directrice générale du FMI, Anne Krueger, a dit le 20 septembre dernier, que
l'Argentine deviendrait un « paria international » -au même titre que l'Afghanistan,
l'Irak, le Congo, la Somalie ou le Soudan- si elle ne tenait pas ses engagements
internationaux. En octobre, le paiement d'une dette de 800 millions de dollars que
l'Argentine doit à la Banque mondiale arrive à échéance. Selon Krueger, le pays
pourrait utiliser ses réserves pour ce paiement. Comme le gouvernement argentin a
écarté cette hypothèse, absolument impossible, le Fonds a répondu par des
menaces de sanctions économiques. C'est un exemple clair de comment des
institutions comme le Fonds ou la Banque mondiale peuvent être utilisées pour
construire « l'internationalisme typiquement américain » de Bush.
Le directeur gérant du Fonds, Horst Koehler, a fait preuve d'autant de subtilité que
Krueger, en affirmant qu'une guerre rapide contre l'Irak serait préférable pour les
marchés. Dans les rêves de Koehler, une guerre rapide et un nouveau gouvernement
irakien, dûment associé à Washington, permettrait que certaines entreprises
pétrolières respectables, comme celles qui appartiennent aux occupants actuels de
la Maison Blanche, puissent administrer les champs pétrolifères irakiens. La
deuxième plus grande réserve pétrolière du monde serait incorporée au monde libre,
les prix chuteraient et les marchés pourraient dormir tranquilles.
La doctrine Bush représente la consolidation de l'unilatéralisme dans la politique
extérieure des Etats-Unis. Elle est l'affirmation explicite de la capacité de la plus
grande superpuissance mondiale d'attaquer quelque pays ou groupe de pays que ce
soit représentant une menace pour les Etats-Unis. Elle signifie aussi, à très court
terme, que l'attaque de l'Irak est une question de semaines. Elle exprime
indubitablement le désir de consolidation d'un nouvel empire mondial et de
l'extension de l'hégémonie culturelle, politique, économique et militaire des Etats-
Unis sur toute la planète. Le texte ne laisse aucun doute sur ces intentions.
Un autre monde est possible ?
Face à ce scénario, les organisateurs, les simples sympathisants et les participants
du Forum social mondial n'ont pas le droit de s'illusionner. La lutte pour la
construction d'un « autre monde » est une lutte contre cette volonté hégémonique
impérialiste. Il s'agit exactement de cela, c'est-à-dire d'assumer un gigantesque
travail politique pour la construction d'un mouvement international capable de
s'opposer à cette volonté impérialiste. L'ouverture du Forum à la participation de
gouvernements et de partis politiques constitue un pas important en ce sens. Si la
tâche est possible -la construction d'un autre monde-, il est sûr qu'aucune avancée
dans cette direction ne sera acquise à partir des seules bonnes intentions des ONG
et desdits mouvements sociaux. Pour qui en douterait encore, la diffusion de la
doctrine Bush est un choc salutaire de réalisme. Il s'agit de rester ou de fuir.
Texte publié en espagnol dans la revue América Latina en Movimientos, n° 359, 1er
octobre 2002, Quito, Equateur.
Traduit de l'espagnol par ALAI.
https://www.alainet.org/es/node/108193
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