Mercosur-Europe : un projet historique

25/02/2002
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Au début des années 50, la pensée éco-nomique latino-américaine produisit, surtout au sein de la Commission écono-mique pour l’Amérique latine (CEPAL), une abondante littérature sur l'importan-ce de l'intégration économique. A cette époque on ne pouvait imaginer qu'une politique de coopération sidérurgique entre quelques pays européens qui, peu auparavant, s'entretuaient dans une guer-re odieuse, parviendrait à constituer cette oeuvre colossale de la coopération humaine qu'est aujourd'hui l'Union euro- péenne En Amérique latine nous dûmes assister, impuissants, aux difficultés de la colla-boration régionale, initiée par l’Association latino-américaine de libre échange (ALALE) en 1960. Il nous fal-lut restreindre nos prétentions intégra-tionnistes sous la pression de la doctrine du panaméricanisme mais, surtout, en raison du lourd héritage de notre passé colonial et de dépendance. Nos infra-structures dans le domaine des routes et des voies de communication étaient essentiellement orientées vers l'exporta-tion de matières premières en direction des centres de l'économie mondiale Nous ignorions, et jusqu'à aujourd'hui il en est ainsi, ce qui se passait chez nos voisins. Notre diplomatie regardait vers le haut, vers les centres du pouvoir mon-dial, et accordait une importance secon-daire à l'Amérique latine. Dans cette ambiance peu favorable, nous assis-tâmes à l'affaiblissement de l'ALALE, en cherchant souvent les raisons tech-niques de son échec, alors qu'en réalité nous subissions les conséquences d'une structure du pouvoir mondial où nous étions plus spectateurs qu'auteurs Depuis les années 60 jusqu'à la décennie 80, nous avons réussi à progresser vers une structure économique davantage tournée vers nos marchés internes. Et nous avons intensifié nos relations diplo-matiques régionales jusqu'à créer le MERCOSUR. Cette coopération dans le Cône Sud de l'Amérique révéla les potentialités de l'échange entre des éco-nomies de développement moyen comme le Brésil et l'Argentine. Le suc-cès du MERCOSUR aboutit à stimuler des initiatives diplomatiques régionales qui eurent une grande répercussion sur le destin des Amériques et de nos relations avec le reste du monde. Aujourd'hui nous constatons l'enthousiasme que cette expérience, même restreinte et localisée, a suscité dans tout le sous-continent sud- américain Les pays qui forment le Pacte andin et le Pacte amazonien désirent ardemment se joindre au MERCOSUR, considéré comme une expérience réus-sie de coopération économique et diplo-matique Nous avons réussi à rompre l'immobilis-me diplomatique fondé sur la peur d'af-fronter le panamericanisme dominant sans partage. Nous avons réussi a construire une coopération ibéro-améri-caine, avec l'appui manifeste de l'Union Européenne. En 1989, les présidents d'Amérique latine purent se rencontrer, pour la première fois, lors du premier sommet ibéro-américain. Nous avons rompu, en définitive, les amarres qui Alors que va s’ouvrir à Madrid la seconde rencontre au sommet entre les Quinze et les pays d’Amérique latine, les 18 et 19 mai, nous proposons à nos lec-teurs un point de vue sur les relations du MERCOSUR (Marché commun du Sud, qui regroupe l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay, avec le Chili et la Bolivie comme membres associés) avec l’Europe Texte de Theotonio Dos Santos, professeur d'écono-mie, coordinateur de la chaire et du réseau Unesco-Université des Nations unies sur économie globale et développement durable, président du Conseil consul-tatif des relations internationales de l'Etat de Rio de Janeiro, paru dans ALAI- America latina en movi-miento, 26 février 2002 (5).nous empêchaient de nous percevoir nous-mêmes comme une identité cultu- relle complexe, comme des frères ayant des intérêts économiques et politiques communs. Pour cette raison, nous qui aspirons depuis toujours à une unité de l'Amérique latine, avons vu avec une grande satisfaction que l'Union euro-péenne ait compris l'importance géopoli-tique de la coopération de l'Amérique latine et des Caraïbes (de plus en plus identifiées à nous) avec la nouvelle Europe, qui naît de la ferme décision de créer sa propre monnaie et de garder, jusqu'à ses conséquences ultimes, l'esprit de coopération entre les peuples. Nous voulons faire partie de cette aventure européenne. Nous ne partageons en aucune manière les doutes et le scepti-cisme de ceux qui ne croient pas à la capacité des Latino- Américains et des Européens à construire une coopération active et fructueuse. Nous ne réduisons pas la proposition européenne d'une inté- gration entre le MERCOSUR et l'Union européenne à un projet de zone de libre-échange Nous savons que la perspective européenne n'est pas celle d'une ZLEA (Zone de libre-échange des Amériques) inter-atlantique. Il s'agit de la création d'un espace de coopération économique, sociopolitique et culturelle. Nous ne sommes pas d'accord sur la réduction de ce débat à un dessein avoué de nos tech-nocrates d'exiger des Européens une cohérence avec les idées néolibérales, lesquelles n'ont jamais vraiment orienté la réalité européenne. Cela n'a pas de sens d'exiger que l'Europe abandonne son concept de sécurité alimentaire (qui, indiscutablement, doit beaucoup à un grand Brésilien, Josué de Castro, aujour-d'hui oublié à cause de la dictature brési-lienne) comme condition de progrès pour l'intégration, qui a une si grande signification pour les deux communau-tés Il est tout à fait possible d'avancer point par point et d'établir des accords spécifiques et bilatéraux tels qu'ils per-mettent une plus grande participation de nos produits agro-industriels à l'écono-mie européenne. Il est aussi possible d'avancer sur des accords de coopération scientifique et sur l'échange d'investisse-ments Il existe un précédent important dans ce sens : le progrès de la coopéra- tion ibéro-américaine. Si nous prêtons attention à la constitution et au dévelop- pement des sommets ibéro-américains, nous verrons qu'ils représentèrent un bond géopolitique pour l'Amérique lati-ne La première réunion des présidents latino-américains eut lieu à l'occasion de la création de ces sommets ibéro-améri-cains Nous avons toujours été interdits, par les Etats-Unis, de réunion hors pré- sence du géant du nord. La doctrine Monroe voulut nous assujettir à un pan- américanisme suicidaire. Le leader auto-proclamé des Amériques et du monde ne voyait pas et continue de ne pas voir d'un bon oeil notre identité ibéro-américaine Cependant les faits démontrèrent que lorsque la communauté européenne sou- tint le projet de reconstitution d'un héri-tage historique si profond, comme l'est l'ibéro-américanisme, ce projet se déve-loppa, prit racine et s'établit définitive-ment Il en fut de même quand le Brésil et l'Argentine surmontèrent une rivalité, manipulée historiquement par des inté-rêts favorables à une balkanisation de l'Amérique latine, et établirent le MER-COSUR Le saut obtenu dans notre commerce extérieur en moins d'une décennie est une preuve de la force d'une perspective de coopération latino-améri-caine L'Argentine vit à nouveau ce pro-jet après que ses ennemis aient essayé d'empêcher sa continuation en tentant d'établir un faux dilemme entre le MER-COSUR et notre intégration dans l'éco-nomie mondiale A l'inverse de ce que pensent ces mes-sieurs qui representent une vieille oligar-chie d'inspiration coloniale, notre inté-gration dans l'économie mondiale ne sera pas réalisée par la soumission aux diktats des grandes puissances, mais par notre intégration régionale et nationale Seules les nations bien intégrées inté-rieurement peuvent occuper une position privilégiée dans le commerce mondial Voyez l'exemple récent du Brésil. En ouvrant unilatéralement toutes ses portes au commerce mondial, il n'a obtenu que l'effondrement de ses exportations et maintenant de ses importations, après l'inévitable dévaluation de sa monnaie en janvier 1999. Comme résultat de cette intégration subordonnée au marché mondial, le Brésil a diminué sa partici- pation au commerce mondial, passant de 1,2% à 0,8%. Ce qui veut dire que la politique d'ouverture irresponsable, au lieu de nous mondialiser, comme elle nous le promettait, n'est parvenu qu'à nous déglobaliser Il ne s'agit pas de fermer des économies qui, contrairement à ce que l'on dit, ont toujours été ouvertes et soumises au marché mondial. Il s'agit d'assurer un chemin efficace d'intégration dans le marché mondial, et pour cela nous devons savoir respecter nos origines his-toriques, nos héritages culturels et nos intérêts géopolitiques réels. Et notre pro-jet d'affirmation culturelle passe évidem-ment par la reconnaissance de nos racines ibériques et de notre aventure commune latino-américaine. A l'heure actuelle, les investissements espagnols ont acquis un rôle spécial au Brésil et dans toute l'Amérique latine. C'est bon signe. Il ne s'agit pas d'éloigner les capi-taux nord-américains, mais de contreba-lancer n'importe quelle domination uni-latérale dans la région Bien entendu, nous reconnaissons la réa-lité de notre hémisphère, sans pourtant avoir jamais joué un rôle quelconque de protagoniste dans sa configuration stra-tégique Juscelino Kubitschek, par exemple, lança l'Opération panamé-ricaine (OPA) en 1959, mais il sut en même temps rompre avec le Fonds monétaire international qui voulait blo-quer son Plan d'Objectifs grâce auquel le Brésil progressa de 50 ans en 5 ans L'OPA fut sûrement un des antécédents de l'Alliance pour le progrès, mais on ne lui a reconnu aucun rôle dans la formu-lation et l'implantation de cette dernière L'Organisation des États américains (OEA) reçut un puissant soutien brési- lien, mais elle est devenue, pendant des années, un simple appendice de la poli-tique extérieure nord-américaine Tout cela est très différent du projet de coopération ibéro américaine que déve-loppe l'Amérique Latine en lien avec l'Espagne et le Portugal, et qui commen-ce à porter ses fruits dans plusieurs sec-teurs Nous pouvons trouver là les pré-mices d'une future coopération euro-lati- no- américaine qui changera positive-ment la direction de notre insertion inter-nationale avec l'ouverture de nouvelles options commerciales, technologiques et culturelles Traduction Dial
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