L’automne de l’empire et du capitalisme
08/05/2013
- Opinión
Quand l’empire est incapable de maintenir son hégémonie en apportant des solutions aux crises systémiques il recourt à « l’hégémonie exploitante » [1], avec toute la violence et la destruction qui l’accompagne. C’est ce qui s’est passé avec la décadence de l’hégémonie impériale de la Hollande.
Elle a essayé de se sauver en imposant le libre-échange avec une hégémonie exploitante auquel l’empire britannique a mis fin, et quelque chose similaire mais d’une nature différente est ce dont depuis déjà environ trois décennies nous sommes témoin dans la décadence de l’hégémonie mondiale des États-Unis d’ Amérique.
Hégémonie exploitante sonne très bien comme nom de famille pour le néolibéralisme, cette extraordinaire expansion financière, commerciale et industrielle que l’impérialisme US veut porter à ses limites extrêmes, qu’on ne peut pas déjà plus contrôler, ni remédier à ses terribles séquelles de dissolution sociale et catastrophe économique, ni la concentration du pouvoir et de richesse dans les comptes de l’oligarchie qui possède les monopoles déjà présents dans pratiquement toutes les branches des secteurs économiques, sans parler de la destruction environnementale et du réchauffement global qui menace la vie de la planète.
Dans les cas de la Hollande et de la Grande-Bretagne, les phases de l’hégémonie exploitante ont été en effet l’ « automne » de ces empires, mais aussi les « printemps » dans le processus de développement du capitalisme, et en particulier du mode de production du capitalisme industriel.
Dans le cas de l’empire US, il y a des raisons pour penser que l’hégémonie exploitante n’est pas seulement l’ « automne » de l’empire mais aussi du mode de production capitaliste, qui se trouve déjà devant la « barrière insurmontable » que Karl Marx anticipait.
Sous l’empire US, le capitalisme industriel, acquiert sa forme la plus perfectionnée et développe – pas seulement aux US - les bases d’un mode de production basé sur l’automatisation, réussissant à concrétiser une partie du grand objectif du grand capital, c’est-à-dire celui de produire de manière continue et en se passant de la plupart ou de la totalité de la force de travail salariée.
Depuis plus d’un demi-siècle, de par les transformations que l’automatisation a produites de la façon de produire, le déroulement des structures patronales transnationales et le rôle croissant du capital financier dans la détermination des investissements à effectuer- qui a été possible via les investissements directs, les flux financiers et la délocalisation de la production- le système capitaliste s’ est universalisé, c’est-à-dire qu’il a complété la deuxième phase de l’objectif du grand capital.
Le grand rêve du capital, de se libérer de la force de travail salariée ou de payer les salaires plus bas possibles, et de s’universaliser, est devenu réalité avec l’automatisation et la délocalisation. Mais cette transformation a impliqué un remplacement croissant de l’extraction de la plus-value, l’usage de la force de travail salarié dans les sociétés avancées – qui créent les indispensables « points de consommation » pour la réalisation du capital, dont parlait Marx - pour la plus-value extraite à l’extérieur, dans d’autres sociétés, et qui arrive aux maisons mères dans le centre impérial comme rente différentielle, soit comme des gains qui vont vers les actionnaires et les dirigeants des entreprises.
C’est à partir de ce déroulement, selon mon opinion, qu’il est possible d’expliquer la nature de la crise structurelle du capitalisme et la réalité actuelle relativement irréversible dans les sociétés du capitalisme avancé.
Ainsi il serait possible d’expliquer cette crise de surproduction et de sous-consommation, le chômage technologique croissant de plus en plus chronique - comme John M. Keynes définissait le remplacement des travailleurs par des machines - dans un contexte de plus grande création de richesses qui se concentre dans les rares mains des monopoles et des financiers, et qui n’entre pas sinon marginalement dans la reproduction du capital dans les pays avancés.
De la même manière, il explique que la sous-consommation tend à devenir chronique par la diminution de l’emploi et de la masse salariale totale, facteur qui amplifie à son tour la spirale du chômage et du sous-emploi, qui finit par mettre en crise les branches encore non automatisées de l’économie.
Cela explique aussi l’augmentation de la dette familiale - manque de postes de travail et bas salaires - et l’endettement des États par la contraction de la recette fiscale - la charge fiscale repose fondamentalement sur les revenus des travailleurs - et l’augmentation de la dépense publique pour pallier le chômage, entre autres aspects.
Et, n’oublions pas, cette universalisation du capitalisme et des nouvelles technologies qui permet d’expliquer aussi l’émergence rapide des nouvelles puissances industrielles en Asie, où les transnationales ont du s’intégrer à un système capitaliste partiellement réglé par les États qui n’ont pas cédé toute leur souveraineté devant le néolibéralisme.
Peut-être cela peut expliquer aussi que, à la lumière des expériences asiatiques et par manque d’un vrai développement économique, on voit apparaitre dans les pays en développement qui ont souffert d’abord de l’expérience néolibérale, comme ceux de l’Amérique Latine, la recherche de nouvelles stratégies de développement pour réparer l’héritage néolibéral, comme le chômage et le sous-emploi, la pauvreté et la pauvreté extrême, la destruction des systèmes étatiques et des programmes sociaux de santé, d’éducation et de retraites.
L’hameçon sans appât.
Selon les sociologues Giovanni Arrighi et Beverly J. Silver, il n’est pas possible savoir quand, mais il est sûr que cette hégémonie exploitante de l’empire US finira très mal [2].
Pour le moment, nous constatons que face à son impuissance, à sortir de cette crise, l’impérialisme est revenu et il s’accroche aux politiques prédatrices– comme une plus perfide institutionnalisation du libre-échange qui permet d’augmenter l’extraction de rentes - et aux côté de ses alliés il renvoie aux politiques guerrières et colonialistes du passé, avec leurs terribles conséquences sociales, économiques et politiques pour tous les peuples touchés.
Avec l’automatisation et la délocalisation remplaçant les travailleurs, et en ayant fait disparaître la « menace » communiste avec le démembrement de l’URSS, le capitalisme US a totalement démantelé le programme basique que décrivait Immanuel Wallerstein : « satisfaire les demandes combinées du Tiers Monde (relativement peu pour chacun, mais pour beaucoup de gens) et de la classe ouvrière occidentale (pour relativement peu de gens, mais beaucoup pour chacun) ».
En réalité, comme Wallerstein observait bien il y a presque deux décennies, le capitalisme a entrepris un retour à « la situation précédente à 1848, dans laquelle, dans les foyers de l’État libéral … les ouvriers seraient payés mal et en dehors du cadre des droits politiques et sociaux » [3]
Sans réelle possibilité, à court, moyen et long terme, d’une reprise économique vigoureuse, les sociétés transnationales et les banques des pays avancés continuent d’être « assises » sur des milliards de dollars et n’ utilisent pas les prêts presque gratuits que les banques centrales ont mis à leur disposition. Comme le remarque le chroniqueur canadien Thomas Walkom, du quotidien Toronto Star, ces entreprises et financiers n’investiront pas dans la production qui créera des emplois « à moins qu’ils n’aient un marché pour leurs produits ».
Cette situation générale et les politiques d’austérité pour maintenir la déflation qui favorise le système financier couvent déjà une crise politique et d’importantes protestations sociales, qui dans l’Union Européenne commencent à faire peur à la classe politique, comme le montre les efforts de plusieurs gouvernements pour que s’étendent – et non pour éteindre - les termes pour tenir les objectifs d’austérité fiscale.
Et au milieu de ces crises simultanées l’objectif principal des Etats-Unis est de développer et d’approfondir la libéralisation avec l’Accord Stratégique Trans-Pacífico d’Association Économique (TPP, selon son sigle en anglais), tandis que l’UE s’efforce de conclure un accord de libéralisation économique et financière avec le Canada, pour commencer à négocier un similaire avec les Etats-Unis.
Ce n’est même pas la peine de se demander si, après avoir négociés ces accords, les gouvernements répondront aux intérêts de leur pays ou simplement à ceux des multinationales et des monopoles qui contribuent pour peu ou rien dans ces pays du point de vue fiscal, en matière de création d’emploi et de demande intérieure.
Il est bien connu que les Etats-Unis ont arrêté d’être l’ « usine » du monde, qui est maintenant en Chine et dans le reste d’Asie orientale, et ont aussi perdu – comme remarquent Arrighi et Silver - le rôle unique de « caissier » de la finance mondiale. Et même si c’était peu, la baisse de la consommation aux EU lui a interdit de continuer d’être la « locomotive » de l’expansion économique mondiale.
Si la réalité a changé il faut changer la manière de penser.
En février dernier, l’historien et économiste Robert Skidelsky décrivait la vague d’automatisation dans l’industrie des pays occidentaux – qui arrive en Chine - et que la substitution du travail salarié par le capital (l’automatisation) va au-delà de l’industrie et « mange » pas seulement les travaux peu payés, mais aussi « les meilleurs travaux », du niveau technique et qui semblaient sûrs [4]
En faisant référence au « chômage technologique » de John M. Keynes, Skidelsky pense que la solution est de réduire la journée de travail : « Si une machine peut réduire à la moitié le besoin de main-d’œuvre humain : pourquoi au lieu de se passer de la moitié des travailleurs nous ne les employons pas à tous pendant la moitié du temps ? Pourquoi ne pas profiter de l’automatisation pour réduire la semaine de travail moyenne de 40 heures à 30, après à 20 et après à dix, en comptabilisant cette journée de travail décroissante comme un emploi à temps complet ? Ce serait possible si l’intérêt de l’automatisation, au lieu de rester exclusivement dans des mains des riches et de puissants, était distribué ’équitablement’ ».
Et voilà qu’il finit par remarquer qu’il faut se préparer « à un avenir dans lequel l’automatisation nous laissera plus de temps libre. Mais pour cela une révolution de la pensée sociale sera nécessaire. »
En 1996, l’ essayiste et femme de lettres française, récemment disparue, Vivianne Forrester [5] affirmait, dans un entretien avec le quotidien L’Humanité, que « l’horreur économique (de la société néolibérale) se doit en grande partie, au fait dont nous vivons avec des critères du 19e siècle pour ce qui concerne l’emploi », en soulignant qu’elle ne confondait pas « l’idée du travail, une valeur fondamentale, avec l’idée de l’emploi ».
Mais après avoir conservé les critères du 19e siècle - disait Forrester- on culpabilise ceux qui souffrent de la situation. Toute l’argumentation se fonde sur la nécessité de trouver un emploi. Finissons donc de dire constamment aux personnes – en particulier aux jeunes - qui ne peuvent pas trouver un salaire pour survivre, que le seul modèle autorisé de vie, est la vie salariée. Les programmes des partis politiques sont sensiblement identiques à ce qu’ils étaient quand ils croyaient la crise de l’emploi temporaire. Les politiques doivent prendre en considération la mondialisation, les technologies de pointe, et ne pas laisser ces réalités être la propriété de la seule économie.
Pour la brillante analyste, la question était déjà posée de « que faire dans une société dans laquelle le travail salarié, l’emploi salarié » est constamment réduit, et qu’il était temps de se demander si « nous continuerons de dire que la dignité dépend du fait d’avoir un emploi ».
Interrogée par L’Humanitési elle attendait quelque chose « d’un parti comme le Parti Communiste » français, l’essayiste a répondu qu’elle n’était pas adhérente de ce parti, mais que « j’attends de tous les partis, y compris le votre qu’ils considèrent la situation de manière réaliste, moderne et actuelle. Qu’ils s’ occupent plus de mondialisation et des technologies de pointe, et de la résultante réduction de l’emploi, de telle façon à arrêter de prétendre que l’on puisse régler une ère industrielle déjà dépassée, et ne pas continuer de nourrir la honte que beaucoup de licencies souffrent d’être chômeurs, ou la peur que ceux qui travaillent encore ont de perdre leurs postes de travail ».
Alors, pourquoi et pourquoi faire le TPP et d’autres accords …
Une caractéristique du TPP et des accords de libéralisation économique et financière que l’Union Européenne négocie avec le Canada et prochainement avec les Etats-Unis c’est que ces négociations sont secrètes, et ont lieu entre des technocrates gouvernementaux et les représentants des multinationales, et qu’ils ne seront pas présentées devant les parlements pour être discutés, corrigés et mis à vote [http://www.elcorreo.eu.org/Otono-de... Sur ces négociations voir http://rabble.ca/blogs/bloggers/cou...]
A propos du pourquoi de ces négociations il faut mentionner ce qu’Arrighi et Silver soulignent dans le livre cité, sur l’intégration économique transnationale lancée par les Etats-Unis, qui en Asie orientale a été « moins institutionnalisée et concrètement plus ouverte » que celle produite par l’intégration dans l’Union Européenne.
Les deux observaient que les Etats-Unis avaient eu peu de réussite dans « l’utilisation de leur pouvoir politique-économique encore considérable, mais déclinant pour réorienter l’intégration économique régionale vers des formes institutionnalisées, qui créeraient un milieu plus favorable pour leurs exportations et investissements ».
D’autre part, les groupes multinationaux US, en particulier les industries de haute technologie, ne se comportaient pas effectivement comme « des cales pour maintenir les portes de l’Asie orientale ouvertes » à l’influence des Etats-Unis, et pouvaient agir même en sens contraire. Par cela même, ils ajoutaient, « les forces de l’économie transnationale minent clairement le pouvoir des États mais, dans ce processus, ceux de certains grandit », comme celui du Japon et d’autres pays asiatiques.
Plus loin ils signalent « la vitesse surprenante avec laquelle cette formation régionale est devenue le nouvel atelier et le caissier du monde sous le leadership ‘invisible’ de l’État patronal (Japon) et une diaspora patronale (la Chine) » qui a contribué à généraliser la ‘crainte de la chute’ dans les centres principaux de la civilisation occidentale.
En effet, si la délocalisation industrielle occidentale en Asie, est un phénomène connu et étudié, on parle moins des « caissiers » asiatiques, les importants centres financiers (Hong Kong, Singapour et autres) où opèrent les transnationales et dans lesquels les décisions régionales importent autant que celles de Wall Street, de la City de Londres ou de Francfort.
Et aussi il y a le rôle clef qu’ont joué et jouent les autorités monétaires et les banques centrales, publiques et privées du Japon, de la Chine et de la Corée du Sud.
Un empire en décadence voulant vivre de rentes.
La transnationalisation et délocalisation de la production industrielle et des finances dans le contexte de l’Asie orientale, et particulièrement celui de la Chine, a augmenté le pouvoir des États de cette région, et a réduit le pouvoir hégémonique d’Etats-Unis, ce qui explique l’ardeur de Washington et des monopoles dans la récupération grâce à l’institutionnalisation des règles (camisole de force) du néolibéralisme, qui comprennent les aspects économiques, financiers et commerciaux, comme le respect crucial du droit de propriété intellectuelle qui figure dans le TPP.
En ce qui concerne « à quoi servira-il le TPP », il est clair qu’une institutionnalisation implique une tentative d’imposer cette hégémonie exploitante grâce à l’application extraterritoriale des lois US sur les marchés des pays signataires, pour appliquer strictement la protection du droit de propriété intellectuelle, parmi d’autres aspects, et ainsi augmenter le captage de la rente de la part des sociétés transnationales.
Telle institutionnalisation fournirait à Washington et aux intérêts US un puissant levier – via l’arbitrage obligatoire en dehors des tribunaux - pour opérer dans un cadre politique et légal des autres pays signataires et pour disposer ainsi d’un pouvoir de veto en matière de changements politiques ou économiques qui touchent ses intérêts. Voilà ce que Washington et Ottawa voulaient avec l’ALCA, mais qu’ils n’ont pas pu obtenir.
La négociation du TPP a accéléré l’intérêt de l’Union Européenne de négocier avec le Canada et les Etats-Unis, et éventuellement avec les pays de l’Amérique Latine.
Les objectifs sont similaires : avancer dans l’institutionnalisation qui constitue la camisole de force qui maintient l’ordre établi pour empêcher que se renforcent en Asie les pouvoirs étatiques qui restreignent le néolibéralisme, et se consolide en Amérique Latine, le chemin d’une intégration régionale basée en principes de nos institutions, comme ALBA, l’UNASUR, le MERCOSUR et la CELAC.
Enfin, tout cela définit l’hégémonie exploitante qu’a mise en marche l’impérialisme US, et qui peut très bien signaler autant le déclin de l’empire que de celui du capitalisme.
La Vèrdiere, France.
- Alberto Rabilotta est journaliste argentin-canadien.
https://www.alainet.org/en/node/75920?language=en
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