Résistance contre le militarisme
18/04/2006
- Opinión
À Porto Rico, l’année 2005 a été marquée par la hausse du prix de la plupart des services publics et la faible réaction que ces augmentations ont suscitée au sein des syndicats et des mouvements sociaux. Parmi les services publics touchés, citons les services de l’eau, les transports en commun, les péages, le lait, le café et l’inscription à l’université de Porto Rico (UPR). À cela, il faut ajouter la proposition du gouvernement, qui a fait long feu, visant à faire passer la semaine de travail des fonctionnaires à quatre jours et donc à baisser leur salaire de 20 %. Enfin, on a enregistré une intensification de la répression exercée par les agences fédérales des Etats-Unis à Porto Rico.
Hausse du prix des services publics
La première hausse annoncée a été celle de l’inscription à l’UPR. Invoquant un déficit budgétaire, la direction de l’université a décidé fin mars 2005, de manière unilatérale et sans consulter personne, d’augmenter les frais d’inscription ainsi que le prix de tous les services administratifs de 33 %. L’annonce en a été faite peu de temps avant la fin du semestre, de manière à tenter d’éviter une grève estudiantine de grande ampleur, car, historiquement, la hausse des frais d’inscription a toujours été la plus grande cause de conflit entre les étudiants et l’administration universitaire.
Les étudiants ont réagi immédiatement. Sur les onze campus que compte l’université, cinq se sont mis en grève illimitée alors que les autres ont mené des grèves limitées. La grève décidée sur le campus Rio Piedras, la première de la liste, a duré 26 jours et a été la plus longue depuis 1982.
Cette grève estudiantine n’a toutefois pas empêché la hausse, ni réussi à obtenir l’appui de la population en général. Mis à part celui de quelques syndicats, les étudiants de l’université n’ont pratiquement reçu aucun soutien. Selon certaines analyses, la hausse et la réaction de la population qui s’en est suivie ont servi de baromètre pour imposer les hausses de prix relatives aux autres services publics.
Une fois la grève terminée, le rectorat de l’UPR à Rio Piedras a décrété, au moyen du Règlement 90 établi par la direction, l’interdiction totale de fermer les portes de l’établissement durant un conflit universitaire. Le rectorat a également créé une agence de sécurité dans le but prétendu de « veiller au bien-être des étudiants » selon la rectrice Gladys Escalona de Motta. Cependant, bon nombre d’étudiants considèrent qu’il s’agit d’une forme supplémentaire de répression et d’une reprise de la politique d’intimidation des années 1960 et 1970.
La réaction suscitée par les hausses du prix des autres services publics a été beaucoup plus modérée et désorganisée. Certains dirigeants ont appelé à la grève générale, mais les syndicats et les militants n’ont pas trouvé le terreau qui aurait permis à leur proposition de prendre.
Les chauffeurs et les propriétaires de camions ont été les seuls à parvenir à articuler une protestation offensive exigeant du gouvernement de Porto Rico la réduction des droits de douanes en raison de l’augmentation alarmante des prix du pétrole. En juillet 2005, ils ont instauré une assemblée permanente et empêché les produits et les biens de sortir du port de San Juan. Cela a entraîné le rationnement des carburants et mené l’économie au bord de l’effondrement, si bien que le gouvernement a été forcé de déclarer un moratoire sur l’augmentation des tarifs.
En 2006, le gouvernement portoricain envisage d’entreprendre une réforme fiscale qui instaurerait l’imposition d’une taxe sur les ventes de 7%, c’est-à-dire une taxe bien plus élevée que dans la plupart des états des Etats-Unis [1].
Cette taxe viendrait s’ajouter aux autres augmentations déjà imposées aux Portoricains, qui affectent de plus en plus les travailleurs. La proposition de réduire la semaine de travail des fonctionnaires à quatre jours et donc de baisser leur salaire de 20 %, qui devait entrer en vigueur en janvier 2006, n’a pu être mise en œuvre en raison de la forte opposition de l’opinion publique.
La guerre en Irak
Depuis le début de la guerre en Irak, 49 soldats portoricains sont morts sur le champ de bataille. Historiquement, le nombre de soldats portoricains tués au combat a proportionnellement toujours été supérieur à celui des soldats des autres états. Ainsi, en raison de la situation coloniale de l’île, les Portoricains servent dans l’armée des Etats-Unis.
La Legislatura (l’organe législatif) de Porto Rico s’est penchée sur un projet de résolution demandant le retrait des soldats portoricains qui combattent en Irak. Bien que la résolution n’ait pas été adoptée, cette démarche a été perçue comme un progrès par les organisations pacifistes opposées à la guerre. En effet, lors de la guerre du Vietnam, la Legislatura de Porto Rico avait été le seul corps législatif des Etats-Unis à adopter une résolution appuyant la guerre et l’envoi de soldats.
Les protestations contre la guerre se sont fait entendre constamment grâce à des groupes comme Madres Contra la Guerra (Mères contre la guerre), qui organise mensuellement des piquets de grève devant les bureaux de recrutement de l’armée, et Coalición Ciudadana Contra el Militarismo (Coalition citoyenne contre le militarisme), qui mène en outre une campagne sur ce thème dans les écoles publiques. De plus, le tout récent groupe Pueblo Contra la Guerra (Peuple contre la guerre), regroupant un grand nombre d’organisations, prépare une manifestation pour commémorer le troisième anniversaire de déclaration de la guerre [2] et entend continuer de faire pression sur les médias et d’exiger le retour des soldats et la fin de la guerre contre l’Irak et l’Afghanistan.
L’assassinat de Filiberto Ojeda Rios
Le 23 septembre 2005, malgré les querelles intestines des indépendantistes, a eu lieu la commémoration du Cri de Lares qui, en 1868, a marqué le début de la révolution portoricaine contre l’Empire espagnol. Le même jour, le FBI (Federal Bureau of Investigation) a encerclé la maison de Filiberto Ojeda Rios, chef de l’Armée populaire Boricua-Los Macheteros [3]. Durant cette journée, la couverture médiatique, notamment à la radio, a été très confuse, étant donné que le FBI n’a voulu faire aucune déclaration sur l’opération et qu’il a empêché la presse de pénétrer à l’intérieur du périmètre qu’il avait délimité en collaboration avec la police de Porto Rico.
De multiples appels ont été lancés, y compris par les journalistes, pour que Ojeda Rios ne soit pas assassiné. Le 23 septembre, vers midi, la presse a commencé à rapporter l’assassinat du dirigeant clandestin. Ce n’est que quelques jours après l’opération que l’on a appris qu’Ojeda Rios avait été blessé par balle et que le FBI l’avait laissé pendant des heures se vider de son sang.
C’est la presse qui a mis le gouvernement portoricain au courant de l’opération. Le gouverneur Anibal Acevedo Vila a gardé le silence et le chef de la police, Pedro Toledo, s’est contenté de faire savoir qu’il avait été contacté par le FBI et que ce dernier lui avait demandé de surveiller le périmètre de l’opération sans lui donner de plus amples explications. Le ministre de la Justice, Roberto Sanchez Ramos, a indiqué qu’une enquête serait ouverte, mais elle est toujours en cours et l’on ignore à ce jour où elle en est.
La réaction de la population a été immédiate : dans la nuit du 23 septembre, un groupe de jeunes a pris l’avenue Roosevelt, une des principales artères de la région métropolitaine [de San Juan, la capitale], pour dénoncer l’opération. Des milliers de personnes se sont rassemblées devant la Cour fédérale des Etats-Unis à Porto Rico pour protester contre l’assassinat d’Ojeda Rios. Il y a également eu des marches de protestation spontanées dans la partie ouest de l’île, où s’est déroulée l’opération. Le 25 septembre, à la suite d’une manifestation de milliers d’étudiants condamnant l’assassinat, l’université de Porto Rico a été fermée pour permettre à tous ceux qui le désiraient d’assister aux funérailles du leader indépendantiste.
La dépouille de Filiberto Ojeda Rios a été exposée, le 25 septembre, dans l’Ateneo portoricain où des milliers de personnes sont venues lui rendre un dernier hommage. Le 26, son corps a été transporté dans les locaux de l’Ordre des avocats de Porto Rico en attendant d’être inhumé le 27 à Naguabo, le village où Ojeda Rios est né et où il a grandi. Des milliers de personnes, y compris les étudiants des écoles publiques, lui ont dit adieu avec des fleurs et des pancartes depuis l’autoroute. Le trajet de San Juan à Naguabo, qui habituellement dure une heure, a duré quatre heures et demie. Certains ont estimé que, jamais dans l’histoire du pays, des obsèques avaient attiré un si grand nombre de personnes.
La Coordinadora Nacional Rompiendo el Perímetro (Coordination nationale Briser le périmètre), née à la suite de l’assassinat, a organisé des journées d’action pour dénoncer l’assassinat et les interventions fédérales à Porto Rico. Cette coordination réalise des activités commémoratives tous les 23 du mois. Dans diverses villes des Etats-Unis, les communautés portoricaines ont également organisé des activités en signe de protestation.
La communauté internationale a, elle aussi, exprimé sa solidarité et notamment l’Assemblée nationale du Venezuela, qui a adopté et fait parvenir à la veuve de Filiberto Ojeda Rios une résolution faisant l’éloge du leader indépendantiste.
La répression du FBI
Le 24 septembre 2005, le Movimiento Independentista Nacional Hostosiano (MINH -Mouvement indépendantiste national hostosien [4]) a déclaré qu’il avait été informé que le FBI avait lancé près de 125 mandats d’arrêt contre d’autres dirigeants indépendantistes dans le cadre de la stratégie de démantèlement des réseaux indépendantistes après la mort de Filiberto Ojeda Rios.
Le 10 février 2006, le FBI a perquisitionné la maison de cinq indépendantistes et un centre communautaire sous prétexte de « prévenir une éventuelle attaque terroriste de l’Armée populaire Boricua dans l’île, visant des intérêts privés et le public en général ». Ces perquisitions ont été conduites en vertu du Patriot Act états-unien qui donne carte blanche à des services de renseignements, comme le FBI, pour réaliser des opérations de ce type sans consulter le gouvernement local.
Tout comme pour l’opération du 23 septembre, le gouvernement de Porto Rico n’avait pas été mis au courant de ce qui allait se passer et, selon le chef de la police, ses services ont reçu du FBI un « appel téléphonique de politesse » après le début des perquisitions. Bien qu’il n’y ait pas eu d’arrestations des activistes mentionnés dans les mandats d’arrêt, le FBI s’est emparé de documents et d’ordinateurs.
Cette opération de grande envergure s’est déroulée dans les villes de Mayaguez, San German, Rio Piedras et Trujillo Alto. À Rio Piedras, le FBI s’est livré à une violente répression contre la presse, qui s’est fait asperger de gaz lacrymogène pendant qu’elle couvrait la perquisition de la maison de la leader indépendantiste Liliana Laboy. Deux associations de journalistes ont condamné la répression qui s’est abattue sur la presse dans l’exercice de ses fonctions.
Le Movimiento Socialista de Trabajadores (MST - Mouvement socialiste des travailleurs) a immédiatement appelé à manifester devant la Cour fédérale des Etats-Unis dans la nuit du 10 février, et des centaines de personnes ont répondu à l’appel.
Durant les années 1960 et 1970, la police de Porto Rico et le FBI avaient, dans le cadre du programme COINTELPRO élaboré par le gouvernement des Etats-Unis [5], persécuté plus de 100 000 sympathisants portoricains de la cause indépendantiste dans l’île.
Les mouvements sociaux face à la situation actuelle
Une manifestation de grande ampleur pour dénoncer les guerres en Irak et en Afghanistan est en cours de préparation. Le groupe Mères contre la guerre a appelé à manifester le 18 mars et le groupe Peuple contre la guerre, le 19 mars. Ces manifestations s’inscriront dans le cadre de la Journée mondiale contre la guerre décidée par les mouvements sociaux lors du 6e Forum social mondial qui s’est tenu à Caracas, au Venezuela.
Enfin, le 1er Forum social de Porto Rico (FSPR) se déroulera du 26 au 28 mai 2006, à Rio Piedras. Ce Forum offrira aux organisations et aux mouvements sociaux un espace qui leur permettra de se rencontrer et de débattre sur les événements actuels. Un des objectifs du FSPR sera de faciliter, dans le cadre de la lutte menée par chacun d’entre eux, la création d’alliances et de réseaux entre les mouvements sociaux, et de leur permettre de découvrir les convergences de vues qui passent habituellement inaperçues.
NOTES:
[1] [NDLR] Rappelons que Porto Rico a le statut d’ « État libre associé aux Etats-Unis ».
[2] [NDLR] Cet article a été écrit et publié avant le week-end de mobilisation mondiale contre la guerre les 18 et 19 mars 2006.
[3] [NDLR] Ojeda Ríos était recherché par le FBI pour l’attaque à main armée du dépôt de la banque Wells Fargo, à West Hartford, dans le Connecticut, ainsi que pour s’être enfui alors qu’il était libre sous caution en septembre 1990.
[4] [NDLR] « Hostosien », de Eugenio María de Hostos y Bonilla (1839-1903), écrivain portoricain qui a consacré sa vie à la lutte pour l’émancipation de son pays et l’unité des Antilles.
[5] [NDLR] Cointelpro, Counter Intelligence Program, créé en 1956 par Edgar Hoover (directeur du FBI de 1924 à 1972) pour surveiller notamment les activités des membres et sympathisants du Parti communiste américain.
En cas de reproduction de cet article, veuillez indiquer les informations ci-dessous:
RISAL - Réseau d'information et de solidarité avec l'Amérique latine
URL: http://risal.collectifs.net/
Source : revue América Latina en Movimiento (www.alainet.org/), n°404-405, février 2006.
Traduction : Arnaud Bréart, pour RISAL (www.risal.collectifs.net/sommaire.php3).
https://www.alainet.org/en/node/114995
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