Irak, guerre, dette et G8
15/04/2003
- Opinión
Quelques jours après le début de l'invasion de l'Irak par
les troupes des Etats-Unis, de Grande Bretagne et
d'Australie, George W. Bush a estimé devant le Congrès que
le coût de la guerre pour le Trésor US s'élèverait à 80
milliards de dollars. Selon le PNUD et Unicef, c'est
précisément la somme annuelle nécessaire à l'échelle de la
planète pour garantir l'accès universel à l'eau potable, à
l'éducation de base, aux soins de santé primaire, à une
alimentation décente et aux soins gynécologiques et
d'obstétrique (pour toutes les femmes). Cette somme qu'aucun
sommet mondial des dernières années n'est parvenu à réunir
(à Gênes, le G7 en 2001 n'a permis de réunir qu'un peu moins
d'un milliard de dollars pour le fonds de lutte contre le
sida, la malaria et la tuberculose), le gouvernement des
Etats-Unis réalise la prouesse de la réunir et de la
dépenser en quelques mois. Les 80 milliards obtenus par Bush
au Congrès constituent les fonds nécessaires pour détruire
l'Irak et assurer l'occupation du territoire jusqu'au 31
décembre 2003. On n'a évidemment pas pris en compte le coût
financier des dommages provoqués par cette intervention.
Cette agression néo-coloniale a utilisé une fois de plus un
prétexte humanitaire : la volonté d'offrir au peuple irakien
un régime démocratique et de préserver l'humanité des armes
de destruction massives. Ce prétexte est à ajouter à la
longue liste des justifications humanitaires données pour
couvrir de viles opérations de conquêtes de territoire, de
rapines et de pillage économique : de l'évangélisation des
Amériques par les conquistadors à la lutte contre le
terrorisme en passant par la lutte contre l'esclavagisme qui
a couvert l'opération coloniale de Léopold II au Congo…
Qui va véritablement payer le prix de cette agression ? La
guerre n'était pas encore terminée que les argentiers des 7
pays les plus industrialisés, réunis à Washington les 10 et
11 avril 2003 pour préparer l'assemblée de printemps de la
Banque mondiale et du FMI ainsi que le sommet annuel du G8
(début juin à Evian), s'entendaient pour fixer à 120
milliards de dollars la dette extérieure de l'Irak, soit un
montant supérieur à la dette de la Turquie (qui est près de
trois fois plus peuplée que l'Irak). Et ce, sans compter les
compensations dues par l'Irak au titre de l'invasion du
Koweït en 1990. S'il faut en croire les argentiers du G7, si
ces compensations étaient prises en compte, la dette de
l'Irak s'élèverait à 380 milliards de dollars. L'Irak post
Saddam aurait ainsi le triste privilège d'être le pays le
plus endetté du Tiers Monde, dépassant de très loin le
Brésil, recordman actuel avec 230 milliards de dollars.
L'accord arbitraire autour de ce chiffre vise
essentiellement à justifier la main mise sur les ressources
pétrolières de l'Irak sous prétexte d'assurer le
remboursement de la dette. Fixer la barre de la dette aussi
haut a l'énorme avantage d'obliger les nouvelles autorités
irakiennes à se soumettre aux exigences des créanciers
pendant des dizaines d'années. Même si l'occupation
militaire était limitée dans le temps, même si l'ONU
assurait la gestion de la reconstruction, en réalité, la
politique de cet Etat serait déterminée par les créanciers
et par les multinationales pétrolières qui y obtiendront des
concessions.
C'est pourquoi la revendication de l'annulation de la dette
publique externe de l'Irak est non seulement légitime mais
elle est une condition sine qua non du rétablissement de la
souveraineté après l'ignominieuse agression militaire qu'il
a subie. En droit international, la doctrine de la dette
« odieuse » s'applique parfaitement au cas de l'Irak. Selon
cette doctrine, « si un pouvoir despotique (=le régime de
Saddam Hussein, NDLR) contracte une dette non pas selon les
besoins et les intérêts de l'Etat, mais pour fortifier son
régime despotique, pour réprimer la population qui le
combat, cette dette est odieuse pour la population de l'Etat
entier. Cette dette n'est pas obligatoire pour la nation :
c'est une dette de régime, dette personnelle du pouvoir qui
l'a contractée ; par conséquent, elle tombe avec la chute de
ce pouvoir » (Alexander Sack, Les effets des transformations
des Etats sur leurs dettes publiques et autres obligations
financières, Recueil Sirey, 1927). Les Etats-Unis ont
appliqué cette doctrine au moins à deux reprises dans
l'histoire. En 1898, après avoir attaqué victorieusement la
marine de guerre espagnole au large des côtes cubaines afin
de « libérer » Cuba de la domination espagnole, le
gouvernement des Etats-Unis a obtenu de Madrid qu'elle
renonce à ses créances sur Cuba.
Vingt-cinq ans plus tard, en 1923, la cour suprême des
Etats-Unis donnait tort aux créanciers du Costa Rica après
le renversement du dictateur Tinoco(1) arguant qu'ils ne
pouvaient s'en prendre qu'au dictateur déchu et non au
nouveau régime. En 2003, gageons que les membres du G8 tant
les quatre qui ont soutenu la guerre (Etats-Unis, Grande
Bretagne, Italie, Japon) que les quatre qui s'y sont opposés
(Allemagne, France, Canada, Russie) vont tomber d'accord
pour ne pas appliquer la doctrine de la dette odieuse à
l'Irak.
Il revient au mouvement pour une autre mondialisation de
mettre en avant la revendication de l'annulation de la dette
extérieure publique de l'Irak, combinée à d'autres
revendications telles le retrait des troupes d'occupation et
l'exercice plein et entier de la souveraineté par les
Irakiens eux-mêmes.
Des contradictions manifestes ont divisé les membres du G8
avant le déclenchement de l'agression contre l'irak. Il est
à prévoir qu'ils vont tenter de réduire ce qui les divise de
manière à aborder unis d'autres échéances et pousser plus
loin la mondialisation néo-libérale. Ils vont essayer de se
mettre d'accord pour affronter la crise économique mondiale
(krach boursier rampant, instabilité monétaire, endettement
massif du secteur privé dans les pays les plus
industrialisés) et pour aborder la réunion
interministérielle de l'OMC prévue à Cancun (Mexique) début
septembre 2003. Ils ont tiré la leçon de Seattle : ils sont
conscients que l'absence d'un accord entre Etats-Unis et
Union européenne sur l'agenda du commerce pourrait aboutir à
l'échec de Cancun. Ils se réuniront à Evian du 1er au 3 juin
2003 afin de rapprocher leurs points de vue.
Les mouvement altermondialiste et anti-guerre seront au
rendez-vous.
(1) Voir Damien Millet, Eric Toussaint, « 50 questions /50 réponses sur la dette, le FMI et la Banque mondiale »,
coédition CADTM / Syllepse, Bruxelles / Paris, 2002, p. 163 à 179 et 184 à 187.
* Eric Toussaint (CADTM)
https://www.alainet.org/en/node/107349
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