Signes de débandade néolibérale ?

15/01/2013
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2013 commence avec davantage de signes que l’époque des « marchés autorégulés », le néolibéralisme, prend l’eau, avec la conscience que les politiques adoptées depuis la crise de 2008 peuvent avoir des conséquences politiques menaçantes pour le système, ce qui explique plusieurs opinions et analyses qui anticipent ou proposent des changements, pour que rien ne change et que le capitalisme perdure dans les pays du capitalisme avancé.

La possibilité ou l’impossibilité de ces propositions est un sujet que nous aborderons dans un deuxième article [1]. Dans le présent article, nous verrons quelques « signaux » qui semblent indiquer la fin de l’époque néolibérale mais, d’abord une brève promenade à travers la réalité des principales économies du capitalisme avancé.

La réalité

Pour la quatrième année consécutive la crise économique dans l’Union Européenne (UE), les États-Unis (EU) et d’autres pays du « capitalisme avancé » suit son cours. Le Japon, où d’abord se sont manifestées les principales causes de la crise structurelle comme « l’état permanent de décroissance ou de stagnation économique », vit la crise depuis deux décennies et vient de choisir un gouvernement qui promet des « changements ».

Dans une analyse récente, l’économiste Nouriel Roubini [2] synthétise assez bien le problème de l’euro-zone (ZE), soulignant que les politiques de la banque Centrale Européenne (BCE) ont significativement diminué, mais n’ont pas éliminé, les risques de sortie de la Grèce de la ZE, et ont réduit le coût du refinancement de la dette publique de l’Espagne et de l’Italie et par conséquent on a évité que les deux pays se soumettent, comme la Grèce, le Portugal et l’Irlande, au dictat de la Troika (trio composé par la Commission Européenne, la BCE et le FMI).

Mais Roubini remarque que la récession économique profonde dans la périphérie de la ZE s’étend maintenant aux parties centrales : la France souffrira d’une récession en 2013, et même en Allemagne, il y a une forte décélération à cause de la contraction de la demande dans la périphérie de la ZE et d’une moindre croissance économique en Chine. Cet économiste définit la situation entre les pays forts de la ZE et la périphérie comme un processus de « balkanisation » persistante de l’activité économique et bancaire – dans ce cas par la fuite des capitaux de la périphérie vers les pays centraux – à cause duquel la récession dans la périphérie de la ZE continuera en 2013.

En ce qui concerne le chômage, selon les statistiques officielles dans les 27 pays de l’UE, on compte déjà 26 millions de licenciés enregistrés, mais on ne parle pas des chômeurs chroniques et du sous-emploi. À la fin décembre, dans les 17 pays de la ZE, le chômage est arrivé à 11.8 % et on anticipe qu’il augmentera au cours de 2013.

Le chômage des jeunes a atteint des niveaux jamais vus dans l’ère moderne : 23.7% dans l’UE et 24.4 % dans la ZE. Le taux de chômage parmi les jeunes atteint 57.6% en Grèce, 56.5 % en Espagne et 37.1 % en Italie, pays qui a perdu un quart de sa production industrielle entre avril 2008 et octobre 2012.

En Grande-Bretagne, qui ne fait pas de partie de la ZE, à cause des mesures d’austérité qui touchent directement l’emploi et le niveau de vie des travailleurs, l’économie subit une troisième chute consécutive dans la récession : après une contraction au troisième trimestre, le PIB a chuté de 0.3 % au quatrième trimestre 2012, selon l’Institut National pour la Recherche Economique et Sociale.

La correction des prix du secteur immobilier qui touche les pays périphériques atteint maintenant les pays centraux, y compris la France, et à l’exception de l’Allemagne, ce qui signifie l’augmentation de la dette des particuliers qui ont acquis des logements et une baisse dans le secteur de la construction, source importante d’emplois.

Bien que l’on enregistre une certaine croissance du PIB, la situation n’est pas différente aux Etats-Unis, où le Président Barack Obama réélu a cédé au chantage de l’opposition Républicaine et devra bientôt administrer une dose d’austérité à travers des coupes budgétaires. Le chômage « officiel » aux Etats-Unis s’est situé en décembre en dessous de 8.0 %, mais a été supérieur à 14 % dans les statistiques du chômage étendu (U6) du Bureau de Statistiques du Travail.

La taux de chômage parmi les jeunes étasuniens – de 18 à 29 ans - attachés à vie à la dette d’un milliard de dollars pour les prêts bancaires demandé pour leurs études, est de 11.5 %, bien qu’en réalité il soit de 16.3 % si l’on compte les 1,7 million de jeunes exclus des statistiques officielles.

Dans aucun des pays du capitalisme avancé émerge la possibilité de créer les dizaines de millions d’emplois qui ont disparu ces dernières années pour donner du travail aux chômeurs, et encore moins de créer des postes de travail pour les millions de jeunes qui dans cette période devraient être entrés sur le marché du travail.

Néanmoins, rien de tout cela n’inquiète le monde financier. Les principaux indices boursiers ont clos 2012 et commencé 2013 par des hausses (25 % en Allemagne, 8 % à Londres et plus de 15 % pour l’indice 500 S&P aux Etats-Unis), confirmant ainsi que dans le système actuel les bourses montent quand l’austérité s’applique, le chômage et la pauvreté augmentent, quand la consommation et l’économie baissent ou stagnent, ce qui confirme la déconnexion totale entre l’économie réelle et le monde financier.

Les limites du néolibéralisme dans l’UE.

Après avoir quitté de sa fonction de président du Conseil des ministres de l’Économie et des Finances de l’euro-zone (Eurogroupe) du Parlement Européen, le Premier ministre, en charge de l’Économie du Luxembourg, Jean-Claude Junker, a dit ce qu’il pensait réellement, il a critiqué sa propre complaisance face aux politiques d’ajustement structurel et a lancé « une attaque furibonde contre la gestion de la crise de l’euro imposée par Berlin », comme le soulignent le correspondant du journal espagnol Cinco Días à Bruxelles [3] et le portail Eurointelligence.com.

Une attaque en règle qui, comme il fallait s’y attendre, fut à peine mentionnée dans la grande presse européenne et internationale, plus intéressée par l’affirmation du Président de la Commission Européenne, Manuel Barroso, selon laquelle, la crise existentielle de l’euro était une chose du passé, ce qui contraste avec la réponse de Junker, qui a dit qu’il ne partageait pas « cette analyse brumeuse des problèmes qu’ affronte à l’euro (parce) qu’il continue d’y avoir des problèmes sérieux dont la solution requerra une grande dose de courage politique. Nous ne devons pas donner au public ou aux parlements nationaux l’impression que le pire est passé, comme le suggèrent certains hommes politiques. La monnaie unique continue d’exister et l’eurozone est dans une meilleure position qu’il y a douze mois », mais on n’est pas sorti de la crise, a signalé Junker.

L’important des déclarations de Junker est que, grosso modo, c’est une critique aux politiques néolibérales appliquées dans l’UE, comme quand il a dit qu’il était en désaccord complet avec le rythme des ajustements d’austérité « imposés à certains pays » et a dénoncé que l’Eurogroupe n’avait pas évalué les conséquences politiques de ces ajustements structurels, se limitant à estampiller les recommandations présentées par les institutions qui forment la Troika, « dont la légitimité démocratique n’est pas tout à fait claire ».

Il a aussi critiqué la politique qui consiste à faire retomber le poids de l’ajustement « sur les plus faibles, simplement parce qu’ils sont plus nombreux », lui qui a sous-estimé « le drame du chômage » et que dans la lutte entre la politique et les finances « le bras monétaire de Frankfurt (où sont les sièges de la BCE et de la banque Centrale Allemande) est fort, et le bras de la politique économique (les parlements nationaux) est faible ».

Dans cette critique et autocritique Junker a fixé, comme tache à son successeur, la nécessité que « tous les États membres se mettent d’accord sur un ‘salaire social minimal’ (et asseyent) la base des droits sociaux minimaux pour les travailleurs », avertissant que dans le cas contraire « nous perdrons l’appui des classes laborieuses ».

Il n’est pas faux de penser que cette critique est le signe du fait que quelques hommes politiques européens, et même peut-être quelques technocrates qui dirigent les institutions qui forment le système rigide néolibéral de l’UE, commencent à avoir des réserves sur les politiques néolibérales, qui, en définitive, font courir des graves risques économiques, sociaux et politiques à l’ensemble du système capitaliste de l’UE.

Sur ces risques implicites dans la situation prolongée de récession, de faible croissance économique et de chômage massif, et « l’extrémisme politique que cela peut générer » - comme celui qui a suivi à la crise monétaire et économique des années 20 en Europe - Stephen Fidler a écrit dans le Wall Street Journal [4] .

Fidler cite Patricia Clavin et David Vines, professeurs de l’université d’Oxford, qui dans une conférence à la fin 2012 se sont référés aux parallèles existants entre la situation dans les années 1920 et la situation actuelle, comme par exemple le rôle que la Société des Nations a joué comme défenseur des créanciers de la dette publique, au point d’envoyer un fonctionnaire pour administrer le respect de l’austérité imposée à l’Autriche, quelque chose de similaire au rôle joué actuellement par la Troika (CE, BCE et FMI).

Ils soulignent aussi le parallèle avec ceux qui furent désignés pour peser par le poids l’ajustement dans les politiques actuelles d’austérité budgétaire : dans les deux cas, selon les professeurs cités, on a fait porter la responsabilité sur les pays débiteurs et déficitaires, qui ont dû supporter l’ajustement au lieu des pays créanciers, qui disposaient d’ excédents [5].

En décrivant les conférences de Clavin et de Vines le journaliste du quotidien Wall Street Journal souligne qu’il n’est pas surprennent que des dirigeants politiques « s’inquiètent de tout ce que cela implique pour la politique en Europe continentale, et si cela ne pourrait pas générer un extrémisme politique comme celui qui a suivi la dure réalité économique en Europe dans les années 1920 »

Après avoir analysé les « désordres mondiaux à moyen terme », le sociologue Immanuel Wallerstein (La Jornada, 13 janvier 2013) prévoit que grâce à la crise structurelle du capitalisme il y aura, vers la fin de la décennie, quelques réalignements importants qui « n’auront de résultats heureux pour presque personne », et que « ceux qui ont une richesse et des privilèges aujourd’hui, ne s’assiéront pas sans rien faire. Il sera de plus en plus clair pour eux, qu’ils ne peuvent pas assurer leur avenir à travers le système capitaliste existant. Ils chercheront à mettre en application un système qui n’est pas basé sur un rôle central du marché, mais sur une combinaison de force brute et de tromperie. L’objectif clef est d’assurer que le nouveau système garantit la poursuite de trois axes clefs pour le système actuel : hiérarchie, exploitation et polarisation ».

Cette combinaison de « force brute et de tromperie » que Wallerstein anticipe est plus que probable, avec une emphase plus grande sur la « force brute » si on ne met pas rapidement un terme à l’application des programmes d’austérité qui ont un impact si grave sur la vie des peuples de la périphérie de l’UE, et si ne sont pas adoptées des politiques pour générer des emplois, bien que ce soit une tromperie temporelle.

Le système actuel, et il est probable que c’est ce qui a motivé la sincérité de Jean-Claude Junker, peut être maintenu seulement à travers des niveaux de régulation sociale et de répression policière-militaire, c’est-à-dire, la force brute, comme celles appliquées par les dictatures militaires et quelques gouvernements civils d’Amérique Latine à l’époque où les pays étaient le terrain d’essai des politiques du FMI et du Consensus de Washington.

Depuis le 19e siècle, d’abord avec l’empire britannique et ensuite au 20e siècle avec l’impérialisme étasunien, nombre de pays latinoaméricains ont servi de cobayes pour les politiques impériales qui se sont appliquées par la suite dans le monde entier, comme le dit l’historien étasunien Greg Grandin.

Il n’est pas étonnant que quelques hommes politiques et intellectuels de diverses tendances commencent à s’interroger, en Europe et aux États-Unis, sur le fait que pour maintenir le néolibéralisme ou pour sauver le capitalisme, la classe dominante ne pense pas déjà remplacer le « pouvoir illusoire des votes » par le « pouvoir concret des bottes ».

Alberto Rabilotta. La Vèrdiere, France

Traduit de l’espagnol por El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi

Notes

[1] Dans la deuxième partie « Le capitalisme (néolibéral) est mort. ¡Vive une forme de capitalisme corporativiste ! », nous analyserons les propositions et anticipations de plusieurs économistes pour retourner à un système de régulation du marché.

[2] Nouriel Roubini, http://www.economonitor.com/nouriel...]

[3] Voir http://www.cincodias.com/articulo/e... et « Finally telling the truth – Junker’s shocking farewell statement to the European Parliament  », Eurointelligence,com

[4] Voir « Parallels With 1920s Raise Worries over Extremism », Stephen Fidler, Wall Street Journal http://online.wsj.com/article/SB100... ; Sur le sujet , la source la meilleure et la plus complète demeure le livre de Karl Polanyi, La Grande Transformation, et en particulier les derniers chapitres c (19 al 21)dans l’édition en français, de Gallimard, 1983.

[5] Voir http://www.cincodias.com/articulo/e... et « Finally telling the truth – Junker’s shocking farewell statement to the European Parliament  », Eurointelligence,com

https://www.alainet.org/de/node/164024?language=es
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