Les volontaires du nord dans le sud : des témoins directs

30/04/2008
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À quelques heures de son départ de la Direction du développement et de la coopération (DDC), qu'il dirige depuis quinze ans, l'ambassadeur Walter Fust a ébauché un bilan de cette période dans le cadre de rencontres tenues à Genève avec la presse accréditée auprès des Nations Unies. L'activité des ONG helvétiques, la coopération par le biais de l'échange de personnes -le volontariat nord-sud- et les politiques officielles sont quelques uns des thèmes qu'il a abordés.

 La coopération non-gouvernementale 

" Les organisations non-gouvernementales, en tant que partenaires de la politique de développement menée par la Suisse, ont joué et jouent encore un rôle très important ", affirme d'emblée l'ambassadeur Fust. 

Le panorama de la période qui va de 1993 -date de sa prise de fonction à la tête de la DDC - jusqu'à aujourd'hui met en lumière deux apports essentiels des ONG, " leur travail concret dans la mise en uvre de la coopération elle-même et leur rôle, en tant que partenaires, pour convaincre les Suisses et la classe politique de l'importance de la tâche qu'elles réalisent ". 

Walter Fust estime qu'il n'est pas nécessaire, pour collaborer, d'être d'accord sur tous les points. " Les ONG ont eu du mal à comprendre notre conception de la collaboration entre le public et le privé dans le domaine de la coopération ". Elles craignaient en effet d'être remplacées dans leur propre travail. " Mais je crois qu'elles ont compris".  

 L'un des critères importants aujourd'hui " est celui de la compétence et de la compétitivité ". Dans le contexte international actuel, les ONG doivent montrer un profil clair, et pour ce faire " elles doivent être fortes ". 

" Elles ne doivent absolument pas dépendre de nous. Elles ne peuvent diriger la DDC pas plus que cette dernière ne peut les diriger ", insiste-t-il. D'ailleurs, elles apportent au moins la moitié du montant des projets mis en place dans les pays du sud.  

Mais il n'a pas toujours été facile, selon Walter Fust, de convaincre la classe politique de l'importance des ONG. " Certains cercles politiques exigeaient qu'elles travaillent dans les pays où la DDC est présente. Cette condition aurait été incompatible avec leur indépendance ". 

D'autres proposaient de leur côté que seules les grandes organisations reçoivent un appui. " J'ai toujours combattu cette position, explique Walter Fust. En effet, dans un État multiculturel et multilingue comme la Suisse, cesser de soutenir les petites organisations nous aurait conduit à l'échec du point de vue de la diversité ". 

Walter Fust fait également certaines constatations sur ce qu'il a observé pendant quinze ans dans le monde de la coopération pour ce qui est de la dynamique interne, du contrôle de qualité et des objectifs.

  " Personne n'est vacciné contre les erreurs ", remarque-t-il, et la notion d'efficacité est relative. " On peut être efficace mais par de mauvais moyens, et à l'inverse faire de bonnes choses sans être efficace ". L'efficacité en soi " n'est pas un objectif. Il faut avant tout savoir ce que nous voulons et prendre des décisions dans ce sens ". 

Il est également nécessaire de comprendre la dynamique particulière des ONG. " Toutes sont passées -et je n'en connais pas qui n'ait pas vécu cette étape- par un processus de réformes internes, de réajustement et de redéfinition de leurs orientations ". 

L'apport significatif des volontaires 

" Je me sens mal à l'aise quand je vois que l'on mentionne toujours le Corps suisse pour l'aide en cas de catastrophes et que l'on oublie tous les volontaires qui ont un engagement vis-à-vis des pays du sud ". 

Pourtant, " près de deux cents volontaires appartenant aux organisations d'UNITE travaillent dans divers projets et différents programmes, recrutés par des ONG suisses à la demande d'organisations internationales ou de partenaires locaux ". 

Leur salaire dépend des circonstances et des conditions locales et n'est pas versé par la DDC. L'État assure seulement une contribution pour les assurances, la formation et la réintégration des volontaires lorsque qu'ils reviennent en Suisse ", rappelle l'ambassadeur Fust. 

Celui-ci, évaluant l'apport de cette forme particulière de la coopération au développement, ne cesse de manifester l'admiration qu'il nourrit à l'égard des volontaires : " Leur but n'est pas seulement d'enrichir leur expérience personnelle : ce sont des acteurs extrêmement importants pour nous, car ils sont des témoins directs de la réalité des pays où ils sont allés ".

  Il les a d'ailleurs souvent définis durant son mandat comme les ambassadeurs de la société civile suisse auprès de la société civile du sud. 

" Je ne peux compter les fois où j'ai participé à des débats avec des hommes et des femmes appartenant au monde politique, qui parlaient d'abondance du développement sans jamais avoir mis un pied dans un pays en voie de développement. À l'inverse, les volontaires suisses sont les témoins agissants de la situation dans laquelle se trouvent des pays du sud ".   Walter Fust signale que depuis quelques années on a vu apparaître des formes de volontariat différentes qui méritent réflexion. 

" J'ai par exemple constaté l'apparition de volontaires qui sont des cadres supérieurs d'entreprises suisses ou internationales. Au cours des trois dernières années, nous avons reçu environ deux cents demandes émanant de cadres qui souhaitent faire une coupure dans leur carrière et travailler dans un pays en voie de développement, non en tant qu'experts mais comme volontaires, et selon les conditions locales ". Selon Walter Fust, on pourrait avoir là une tendance chez les cadres " qui veulent prendre une distance vis-à-vis de leurs activités professionnelles, souvent très stressantes ".  

En revanche, il se montre préoccupé de la situation pour ce qui est des jeunes. " Ils viennent d'achever leurs études et voudraient se mettre au service d'un programme ou d'un projet dans un pays en voie développement, mais ils trouvent toutes les portes fermées, pour diverses raisons ".  

Ce problème " doit être analysé, puisqu'on voit que d'autres pays, comme l'Allemagne font des efforts pour le résoudre ". En effet, une telle expérience représente pour les jeunes un enrichissement irremplaçable.   

" Je quitte mon poste rempli d'espoir "

  Walter Fust se retire de la direction de la coopération suisse au moment où plus de cinquante organisations de la société civile suisse lancent la pétition *Ensemble contre la pauvreté*, afin d'obtenir que 0,7 % du produit national brut soit consacré à la coopération internationale, comme le requièrent les Objectifs du Millénaire. 

Walter Fust pourrait se sentir déçu que sous son mandat cette revendication n'ait pas été satisfaite par l'État helvétique et avoir  le sentiment qu'il n'a pas achevé son travail. Ce n'est pourtant pas le cas. " Je ne suis en rien déçu, explique-t-il. Depuis mon arrivée à la tête de la DDC, l'aide publique au développement est passée de moins de 1 milliard de francs à plus de 1,3 milliard ". 

Par ailleurs, " les autorités ont décidé, avec un remarquable courage, que la coopération serait le troisième poste du budget fédéral, après l'éducation et les dépenses sociales ". 

Même si la Suisse pourrait faire encore mieux, il reste plein d'espoir. " Je garde toutes mes illusions. Il faut avoir des illusions pour avoir une vision. Sans vision, on ne sait quelle direction prendre : or la coopération suisse sait où elle va. Je suis convaincu que tôt ou tard, l'aide publique au développement va connaître une progression encore plus importante que celle que l'on prévoit aujourd'hui ".  

 ________________________________________________________   QUINZE ANS APRÈS, UN MONDE DIFFÉRENT 

" En ces temps de crise alimentaire mondiale, on pourrait apporter de multiples preuves que les subventions allouées par les pays du nord à leur produits agricoles d'exportation font avorter les efforts des paysans du sud pour avancer sur le chemin du développement ". Walter Fust aborde ainsi franchement la question de la mondialisation, qui crée une conjoncture complexe et a provoqué au cours des quinze dernières années des changements importants dans les paradigmes de la coopération pour le développement.  " Les thèmes et les secteurs concernés se sont élargis et le cadre de référence international, qui est valable pour tous y compris la Suisse, a subi une mutation ".

 La tendance helvétique est à la concentration. " En 1994, 24 pays étaient prioritaires. Ils sont aujourd'hui 14 et passeront à 12 en 2012. Par ailleurs, la coopération multilatérale est en progrès : 37 % en 1994, 44 % aujourd'hui -mais notons que cet aspect est encore en débat et que le pourcentage équitable n'est pas défini ".

 Quant aux " dix défis que doit relever la coopération suisse ", déjà inclus dans les orientations décidées par le gouvernement il y a deux ans, ils restent la grande référence conceptuelle. Ils seront à nouveau à l'ordre du jour lors des débats du parlement en juin et septembre prochains. " Les enjeux sont notre contribution à la réduction de la pauvreté et à la réalisation des Objectifs du Millénaire ainsi que l'amélioration de la sécurité des êtres humains et la promotion d'une mondialisation plus équitable et tournée vers le développement "

 -Sergio Ferrari
Traduction Michèle Faure Collaboration UNITE 

https://www.alainet.org/de/node/127362
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